Le moral des patrons après les élections : y a-t-il des raisons d’espérer ?

Face à la situation économique actuelle, faut-il demeurer pessimiste ou avoir foi en l’avenir ? Albert Yuma qui engage la FEC positive, à condition que le prochain gouvernement fasse le choix d’une politique économique de développement. Extrait de son message du 29 janvier aux membres du principal patronat.

(…) JE LE CROIS. Je le crois pour des raisons circonstancielles d’abord sur lesquelles je vais revenir tout de suite. Et je le crois plus largement parce que la RDC pourrait, si elle faisait le choix de s’engager de manière résolue en faveur d’une politique économique de développement, poser les fondations d’une croissance durable et d’une prospérité pérenne équitablement partagée.

Mesdames et Messieurs,

Distingués invités,

Nous avons vécu depuis deux années dans une situation caractérisée par une certaine instabilité gouvernementale, peu favorable à la mise en œuvre des politiques pérennes et durables. Si l’on ajoute à cette instabilité certaines complexités issues des compromis politiques qui ont conditionné ces équilibres, il n’est pas étonnant que les réformes majeures appelées de nos vœux n’aient pu être mises en œuvre par les Gouvernements successifs et que certaines administrations se soient parfois senties autorisées à prendre certaines libertés avec les textes. Cette situation a abouti à une forme d’immobilisme généralisé dans un grand nombre de départements ministériels, pas tous heureusement, qui n’a que rarement permis d’aller au-delà de la gestion des affaires courantes.

Dans le même temps, la période n’a pas été propice – je ne parle pas du secteur minier qui est un cas à part – aux investisseurs dans tous les secteurs d’activités, et notamment l’agriculture ou l’industrie. Nos opérateurs qui ne craignent rien tant que l’incertitude et le risque, ont préféré attendre le dénouement du processus électoral dans une position de retrait.

La situation est désormais bien différente

La situation est désormais bien différente. Les élections ont eu lieu et les perspectives sont désormais claires pour les cinq années à venir. Je pense donc que la période qui s’ouvre profitera mécaniquement au niveau de l’État pour la mise en œuvre de ses politiques publiques et dans le management de ses administrations, ainsi qu’au secteur privé, dans le cadre du développement de ses affaires. Je ne serais donc pas étonné que 2019 soit une année de reprise, ainsi que les années qui suivront.

Un autre élément favorable me permet d’envisager avec optimisme l’avenir. C’est le raffermissement constaté des cours des matières premières en 2018 et l’application des dispositions fiscales du nouveau Code minier qui devraient apporter à l’État des marges budgétaires supplémentaires par rapport aux années passées.

J’ai bien constaté que le cours du cobalt avait baissé de 30 % depuis le 31 décembre dernier et de plus de 50 % depuis juillet 2018. Je rappelle que le cours actuel est toujours de 25 % supérieur à la période 2012-fin 2016, avant le début du rallye vers les sommets qui a amené le cobalt à près de 100 000 dollars la tonne.

Je ne crois pas à une chute durable des cours de cobalt pour deux raisons. La première, c’est que les fondamentaux de la demande sont bien présents, notamment du côté des véhicules électriques, dont les besoins vont croissants et pour lesquels les investissements ont été massifs.

La seconde, c’est que cette chute n’est pas le fait du hasard ou de la spéculation, mais principalement celui de l’afflux massif sur les marchés du cobalt issu de l’artisanat minier congolais non contrôlé, qui représenterait, selon les différentes études, autour de 30 % de la production nationale, soit l’équivalent de 24 000 tonnes de cobalt par an. Pour information, le deuxième producteur au monde de cobalt derrière la RDC est l’Australie avec 5 000 tonnes par an.

Cet afflux de minerais, à prix cassés, obtenus souvent auprès des populations les plus fragiles et dans des conditions dangereuses, est un fléau social, autant qu’économique, par l’effet baissier qu’il produit sur les cours.

Je souhaite donc que le nouveau Gouvernement engage une action résolue sur ce sujet prioritaire pour réguler la situation, améliorer tant les conditions de vie des mineurs que leurs revenus, et mettre un terme à cette chute des cours qui handicape l’État et toutes les entreprises de l’industrie minière en RDC.

Mesdames et Messieurs,

Distingués invités, 

Au-delà de ces éléments de contexte qui me paraissent néanmoins essentiels, je voudrais ne pas vous submerger avec une litanie de réformes particulières, qui bien qu’importantes, c’est d’ailleurs pourquoi nous les transmettrons au nouveau Gouvernement dès son installation, ne conviennent pas à mon sens à l’occasion qui nous est offerte aujourd’hui de contribuer au débat en proposant une perspective pour les cinq prochaines années.

Une feuille de route claire

C’est pourquoi, je souhaiterais plus parler de stratégie aujourd’hui. Aujourd’hui, nous sommes convaincus que ce dont le pays a besoin, c’est de disposer d’une feuille de route claire, cohérente et convergente entre les attentes du secteur privé et celles du secteur public.

Je forme donc le vœu que le nouveau Gouvernement de RDC puisse mettre en place une politique économique volontariste, une politique des leviers et des secteurs, et qu’il puisse s’y tenir malgré les difficultés qu’il ne manquera pas de rencontrer.

Je forme le vœu que le prochain Gouvernement puisse lever la tête un instant, s’abstraire des contingences politiques, et se donner le temps de doter le pays d’une politique réellement stratégique.

C’est le modèle qu’ont adopté la plupart des pays qui ont récemment émergé. Je suis persuadé que ce n’est que dans la concentration des efforts et dans la constance de leur application par le Gouvernement que des résultats tangibles seront perceptibles par nos concitoyens.

Mais cela nécessite une volonté politique forte pour aligner les intérêts de chacun sur l’intérêt collectif. Comme cela a été rappelé à diverses reprises par le Président Kabila durant son mandat, mais également par le Président Tshisekedi lors de sa prestation de serment, ce nouveau Gouvernement devrait avoir pour seule boussole la lutte contre la pauvreté, pour offrir à tous les Congolais et à leurs familles des conditions de vie décentes.

Cet objectif ne pourra se concrétiser qu’à la condition de favoriser la croissance inclusive de l’économie congolaise. Il me semble donc urgent pour le prochain Gouvernement de pouvoir mettre en place des politiques intégrées favorisant : le développement de l’investissement et la création de richesses locales, dans les domaines qui suscitent prioritairement la création d’emplois en RDC, et qui contribuent à favoriser l’équilibre territorial de la République démocratique du Congo. 

Aujourd’hui, nous faisons le constat que les principales industries de notre pays ne répondent que très partiellement à chacun de ces trois critères et ne nous permettent donc pas d’envisager fonder notre développement sur les seuls apports.

Pour favoriser ce développement économique endogène, le Gouvernement devra donc mettre en place une politique qui s’appuie sur des leviers communs à l’ensemble de la sphère économique et des secteurs qui garantiront les objectifs prioritaires du Gouvernement, notamment en termes de création d’emplois.

Mais comment faire ? Car si le constat est connu, ce sont souvent les moyens qui manquent. C’est partiellement vrai. Il manque souvent les moyens, mais il manque aussi souvent la constance et la volonté, alors que, comme le disait un homme politique célèbre, « là où il y a une volonté, il y a un chemin ».

Il manque aussi la confiance. Celle qui permettrait au secteur privé de s’engager résolument, comme un partenaire actif, aux côtés de l’État, pour simplement permettre aux politiques publiques de produire tous leurs effets.

Mais cette confiance doit se gagner et ce n’est pas avec le classement Doing Business de la RDC que j’ai rappelé tout à l’heure que nous susciterons la création de cette cohorte d’entrepreneurs dans tous les secteurs agroindustriels, textiles, de la petite industrie, qui créera ce réseau dense d’entreprises qui permettra au pays de créer les emplois et les richesses dont il a besoin…

Mesdames et Messieurs, 

Distingués invités,

Les Gouvernements des États à faibles ressources budgétaires comme le nôtre sont en permanence soumis à des choix en ce qui concerne l’allocation de leurs recettes insuffisantes pour couvrir des besoins aussi prioritaires que représentent la santé, l’éducation, les politiques de développement, la sécurité, le financement de la Fonction publique, sans évoquer les crises ponctuelles.

Les pressions de toute nature qui s’exercent sur nos responsables politiques, qu’elles soient sociales ou politiques, rendent en pratique les arbitrages du Gouvernement toujours plus complexes et plus difficiles à prendre.

Le court terme finit toujours par l’emporter sur le long terme, et prive ainsi l’État de la capacité à mettre en œuvre dans la durée une politique de développement économique ambitieuse, qui est cependant la seule à pouvoir générer les ressources budgétaires nécessaires pour répondre à ses besoins récurrents.

Cette situation est d’autant plus préjudiciable pour un pays, comme le nôtre, qui tire principalement ses recettes budgétaires de l’exploitation de ses ressources naturelles, par nature non renouvelables.

Il est fort à craindre qu’à l’issue de leur exploitation, la RDC n’aura pas su capitaliser sur cet avantage unique pour financer la diversification de son économie et créer un modèle de développement durable, indépendant des richesses de son sous-sol.

Le Fonds de développement stratégique

Pour atteindre les objectifs stratégiques précités, dans des délais compatibles avec les besoins des populations d’accéder au développement, il est donc nécessaire de sanctuariser l’effort financier rendu nécessaire par ces politiques et de préserver l’autonomie d’action de ceux qui la mettront en œuvre pour la déconnecter de la pression inhérente à toute action publique.

C’est pourquoi, comme d’autres l’ont fait avec réussite dans d’autres pays, je suis convaincu que le Gouvernement serait bien inspiré de créer pour notre pays un véhicule spécifique, doté de ressources pérennes et d’une gouvernance adaptée.

Il est ainsi proposé, à l’instar de ce qui a été réalisé dans de nombreux autres pays, de créer un Fonds de Développement Stratégique, doté de ressources et de missions spécifiques dont l’indépendance, l’autonomie et la compétence garantiront sa capacité à mettre en œuvre de manière durable la vision stratégique de l’État et à agréger autour de lui des partenaires financiers extérieurs.

Pour répondre immédiatement à la question des ressources et de leur pérennité, la RDC devrait, à mon sens, d’abord capitaliser sur ses matières premières et y affecter notamment une part des revenus fiscaux complémentaires tirés de l’application des nouvelles dispositions fiscales et réglementaires du Code minier. Il pourrait ensuite bénéficier de sources complémentaires, comme une levée de fonds sur base d’un emprunt obligataire, que ces ressources viendraient garantir. Enfin, il pourrait toujours être abondé par les Partenaires Techniques et Financiers de l’Aide au Développement sous des formes à déterminer, pour atteindre les objectifs liés à ses priorités d’action, comme la transition écologique, l’énergie ou les transports.

Les missions de ce Fonds pourraient être triples : Aider l’État à formaliser sa stratégie autour d’un certain nombre de thématiques jugées par lui prioritaire, en garantissant le financement de la conception et l’évaluation socio-économique des différentes actions nécessaires à l’atteinte de ces objectifs. Financer les actions et assurer les arbitrages. Le financement pouvant s’effectuer au travers de prises de participation dans des projets en don, en caution et garantie, etc. Veiller à la bonne exécution des différentes actions en lien avec les différents services de l’État.

Politique des leviers

Voilà pour la question des moyens, mais pour quelle vision ? Je l’ai dit tout à l’heure, notre pays, pour s’engager sur la voie de l’émergence, devrait mettre en place une politique des leviers et des secteurs économiques.

S’agissant des leviers, ce ne sera une surprise pour personne, il s’agit de : la fourniture en énergie en quantité suffisante et à un prix compétitif, l’existence d’un réseau intégré de voies de transport et de communication sur tout le territoire, la nécessité de disposer d’un environnement des affaires favorable au développement des acteurs économiques, un appareil de formation technique et professionnelle sur tout le territoire à même de répondre aux besoins des activités économiques.

S’agissant de la politique des secteurs, il nous semble indispensable que l’État concentre son action sur les secteurs capables de répondre aux objectifs de création d’emplois, de création et redistribution locale de richesses et d’équilibre territorial que sont l’agriculture, la transition écologique et la diversification industrielle de l’économie territorial sur l’étendue du pays en valorisant les différentes richesses, restera un vœu pieux. 

Aujourd’hui, le cadre législatif a été libéralise et réformé pour permettre l’émergence de nouveaux investissements et le développement de nouveaux types de partenariats, à travers des BOT ou des PPP. 

Ainsi, afin de concrétiser ces différentes évolutions législatives et réglementaires, l’État avec l’appui du fonds pourrait agir comme un catalyseur des projets existants ou à l’étude, en fonction de leur adéquation avec la politique de l’État : Financer un état des lieux des besoins et projets en cours tant en matière de projets énergétiques que de voies de transport afin d’aboutir à deux schémas directeurs nationaux pour l’État qui constitueront la feuille de route des investissements de l’État à l’horizon de la prochaine décennie. 

Ces schémas devront nécessairement être intégrés aux besoins des politiques sectorielles de l’État en faveur du développement agricole, de la transition industrielle et de la transition écologique. 

Ils devront privilégier une approche polycentrique du territoire, équilibrée autour des 26 chefs-lieux des provinces de la République et de la capitale autour des métropoles et des bassins de vie secondaires afin de favoriser le développement local et lutter contre l’exode rural. 

Établir les priorités de financement de ces projets prioritaires en nouant des partenariats de type BOP, PPP, etc. permettant d’atteindre les objectifs de développement des schémas directeurs. 

S’agissant de l’amélioration de l’environnement des affaires, celui-ci reste très défavorable au développement d’un tissu économique dynamique. Il est urgent pour le Gouvernement d’engager une vaste réforme de l’Administration. Les principaux freins sont : la faible efficacité des Administrations congolaises, qui, pour certaines d’entre elles, n’ont ni les moyens, ni les compétences pour fonctionner et faire appliquer correctement les législations en vigueur ; le détournement des fonctions de certaines administrations par leurs agents, dont les recettes échappent à l’État, en plus de brider le fonctionnement régulier des entreprises ; la tendance de l’État à assurer ses fins de mois, en créant des impositions de circonstances, à rebours de toute logique économique.

Transformer l’Administration

Il est donc indispensable d’engager une transformation de l’Administration afin d’en aligner le fonctionnement sur les objectifs de l’État uniquement. Néanmoins cette situation perdurera si certaines conditions ne sont pas remplies, comme notamment de s’assurer que : l’État pourra disposer de revenus suffisants pour financer son fonctionnement courant, ce qui passe par la création de budgets réalistes, au regard des prévisions de recettes, et de dépenses raisonnables au regard des missions de l’État ; l’autorité de l’État soit restaurée sur ses agents par une politique volontariste de contrôle et de suivi de ses agents. 

J’appelle donc le nouveau Gouvernement à faire de la redevabilité et de la responsabilité les maîtres mots de son action vis-à-vis des agents de l’État, mais également de lui-même. 

Nous, secteur privé, avons besoin plus que tout pour fonctionner d’une Administration sur laquelle pouvoir s’appuyer et qui nous aide à développer le pays. 

Mais malheureusement nous ne pouvons pas travailler, quand en matière fiscale certains textes ne sont pas appliqués, quand d’autres qui n’existent pas le sont, quand en matière judiciaire nos opérateurs ne disposent d’aucune lisibilité et de prévisibilité dans l’application des règles juridiques et judiciaires, quand en matière douanière, nos opérateurs sont soumis à des difficultés et tracasseries permanentes rencontrées dans leurs opérations qui poussent la plupart d’entre eux à contourner la loi ou s’arranger avec elle.