Le pari des banques en RDC

Le moment est peut-être venu pour placer son argent en lieu sûr. Ouvrir un compte, c’est devenu même un jeu d’enfants, ou tout comme. Les prestataires des services financiers s’efforcent d’offrir des produits adaptés à tous. Mais comment les consommateurs. Enquête complète.

Cette année, dans le cadre de sa rubrique « Les Grands Dossiers de la rédaction », le journal Business et Finances publie une grande enquête sur les tarifs bancaires 2017, réalisée en collaboration avec le Centre d’études stratégiques Alter (CESA) de Kinshasa. L’objectif de cette publication est de permettra à nos lecteurs de savoir quelles sont les offres bancaires les plus attractives du moment, que vous soyez salarié, cadre supérieur, chef d’entreprise ou encore retraité, dans le public ou dans le privé.

Les grands principes de la protection des consommateurs de services financiers et quelques rencontres préliminaires avec quelques acteurs du secteur bancaire ont permis d’avoir une vision claire de la situation du secteur financier en République démocratique du Congo, facilitant ainsi la préparation de l’enquête.

Après une première étape de recherche documentaire, les enquêteurs du CESA ont démarré leur travail de terrain en janvier 2017 afin de recueillir des informations sur les différents sujets relatifs à l’objet de l’enquête. Les équipes d’enquêteurs – tous, des chercheurs (sociologues, communicologues, mathématiciens, économistes, juristes, historiens, statisticiens…) – ont procédé à des entretiens semi-structurés en utilisant un guide d’entretien avec des experts de la Banque centrale du Congo (BCC), autorité de régulation intervenant dans la protection des consommateurs ; des agents des banques, institutions de micro-finance (IMF), coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC), compagnie d’assurance, messageries financières, et opérateurs de mobile banking ; ainsi qu’avec des représentants des autres acteurs du système financier congolais et de quelques bailleurs impliqués dans ce secteur.

Organisation de l’enquête

Pour bien cerner les attentes des demandeurs (actuels et potentiels) de services et de produits financiers en RDC, l’enquête proprement dite a été réalisée en février. Elle a porté sur un échantillon aléatoire qui a touché au total 1000 personnes, dont 500 femmes (parité oblige ), dans la ville-province de Kinshasa. L’enquête a couvert toute les vingt-quatre communes de la capitale. La constitution de l’échantillon de l’enquête a été envisagée à partir de la cartographie administrative de la ville. Le choix de Kinshasa est délibéré en ce sens que dans la cartographie relative à la concentration des activités financières, plus de 70 % des agences et des guichets de banques et plus de 40 % des institutions de micro-finance sont implantés à Kinshasa.

Un questionnaire standardisé comprenant des modules a été élaboré, validé avant qu’il ne soit administré aux consommateurs actuels et potentiels de services financiers à travers la ville de Kinshasa. Les informations collectées sur le terrain ont été compilées afin d’avoir un instantané clair de la situation d’ensemble au niveau de la capitale. Les attentes qui ont été mises en relief par l’enquête permettront sans nul doute d’enrichir la réflexion sur la politique et le cadre légal et réglementaire en vue d’une meilleure protection des clients des banques dans le pays.

Il a été donc organisé 50 groupes de discussions ou focus groups, en raison de deux groupes par commune. Mais les communes de la Gombe et de la N’Sele ont eu droit à trois focus groups, chacune, du fait de la plus grande concentration des administrations et des guichets de banques, pour la Gombe, et de l’étendue territoriale pour N’Sele, afin de bien prendre la mesure des préoccupations et des difficultés auxquels sont confrontés les demandeurs de produits financiers. L’accent a été mis sur les enjeux et les options possibles de l’inclusion financière, les règles de transparence et de protection en la matière.

L’enquête à travers les focus groups a emprunté sa démarche à l’approche participative, fondée essentiellement sur la collecte de données qualitatives auprès des clients (actuels et potentiels) des banques et des IMF à l’aide des techniques de discussions thématiques de groupe. Les groupes ont été composés de vingt participants. Ils ont été guidés par deux modérateurs (enquêteurs) dans l’exploration approfondie de quelques thèmes précis. Les groupes de discussions ont eu des profils variés (clients actuels en difficulté de remboursement, clients démissionnaires, clients actuels sans difficulté de remboursement, utilisateurs des services de mobile banking et clients potentiels).

Quant à eux, les thèmes ont été conçus pour faire des recoupements judicieux dans l’analyse des données. La constitution des focus groups a été envisagée de manière à garantir la confidentialité. L’ensemble des focus groups ont été organisés sur la base des listes des participants à l’enquête de terrain qui ont manifesté un intérêt à participer à ces discussions. Parmi l’échantillon de 1000 personnes enquêtées, il y a eu les clients actuels des banques, des IMF et des COOPEC (83 %) et les non clients des banques (17 %). Parmi les clients des institutions financières formelles, 59 % ont des comptes auprès des banques commerciales, 24 % ont ouvert des comptes auprès des IMF et 17 % sont titulaires de compte auprès des COOPEC.

Profils des consommateurs

Les enquêteurs se sont adressés aux personnes ayant un niveau d’études, soit universitaire, soit secondaire ou ayant bénéficié d’une formation professionnelle. L’enquête a montré que ce sont les personnes ayant un niveau d’étude supérieur qui sont en majorité titulaires de comptes bancaires, tandis que celles ayant un niveau d’étude secondaire sont pour la plupart des clients des IMF. Les personnes ayant un niveau relativement bas sont les plus titulaires de comptes auprès des COOPEC. Selon les experts de la BCC contactés, le niveau d’étude est un facteur qui contribue à la profondeur financière : « Lorsqu’une personne est plus instruite, elle peut consommer les produits financiers les plus complexes (ou sophistiqués) et mieux répondre à ses engagements vis-à-vis des institutions financières puisque sachant à quoi elle s’engage. Elle peut même gérer avec succès, plusieurs crédits lui étant accordés par différentes institutions ».

L’enquête a également révélé que les personnes les moins instruites se fondent plus sur les avis et les conseils des amis et membres de leur famille pour ouvrir des comptes alors que les personnes les plus instruites se renseignent utilement et procèdent à la comparaison de différents produits et services offerts avant de s’engager ou de prendre une décision. Avis d’experts : « Lorsque le niveau d’instruction augmente, les personnes ont de moins en moins recours aux conseils des autres et se fondent plus sur leur propre appréciation ».

Les personnes ayant fait des études universitaires et qui ne disposent pas de comptes justifient essentiellement cette situation par le fait qu’elles n’ont pas de revenus conséquents, notamment en raison de l’exigüité du marché du travail et de leur faible capacité à entreprendre une activité lucrative.

Les personnes n’ayant pas de compte auprès d’une institution financière ont déclaré : n’en avoir pas car elles préfèrent garder le cash, n’avoir pas suffisamment de revenus pour épargner, avoir eu un compte auparavant mais clôturé, les produits et services ne sont pas adaptés à leurs besoins. Ou encore les institutions financières chargent des frais, commissions ou taux élevés, ou encore elles sont éloignées de leurs habitations ou lieu de travail…

Le volume des transactions réalisées par les titulaires de comptes bancaires est faible compte tenu de la petitesse des revenus et de la culture financière ambiante. Selon les données recoupées, la population titulaire d’un compte bancaire à Kinshasa est d’environ (10 %). Dans les banques (47,9 %), les IMF (37,4 %) et les COOPEC (20,3 %). La distribution des comptes capturés par l’échantillon auprès des institutions financières est relativement conforme à la cartographie des institutions financières dans le pays. Les individus s’adressent aux institutions financières en fonction du degré de pénétration de ces dernières dans leurs milieux de travail ou résidence. La proximité des agences est aussi un élément déterminant de choix d’une institution financière. En effet, pour 63,7 % des enquêtés, l’accessibilité aux agences ou guichets des institutions financières serait un déterminant de leur décision d’ouverture de compte. Le déficit des infrastructures de base est un facteur qui joue en défaveur de l’inclusion financière.

Les comptes ouverts par les clients sont en majorité des comptes d’épargne, dont près de 73 % sont des comptes à vue contre des comptes à terme (33 %), plans d’épargne (11 %). Près de 60 % des enquêtés ont des épargnes mensuelles ne dépassant pas 500 dollars et n’étant pas souvent mouvementées de manière régulière. « C’est signe que l’épargne collectée n’est pas suffisante pour financer des projets d’investissement couvrant des horizons temporels assez longs », expliquent les mêmes spécialistes. À moins que les institutions financières n’opèrent une transformation des maturités dans le processus d’intermédiation financière, nuancent-ils.

Le choix des institutions financières

Environ 50 % des comptes d’épargne ne sont pas rémunérés et ceux qui le sont bénéficient de taux d’intérêt relativement bas (moins de 5 % l’an). La majorité des demandeurs de services financiers (77 %) tirent leurs revenus de leurs propres activités et, pour l’ensemble de l’échantillon, 71 % des enquêtés ont un revenu mensuel ne dépassant pas 500 dollars.

Quant à la préférence pour telle ou telle autre institution financière, les personnes enquêtées ont avancé plusieurs raisons : sécurité, fiabilité, confiance en l’institution, qualité de services (rapidité, suivi, etc.), proximité, accessibilité des agences, taux d’intérêts et autres frais/commissions, amabilité du personnel, viabilité de l’institution, produits adaptés aux besoins, transparence dans la publication des prix, diversité des produits offerts, connaissance à la banque, politique de prix (coût/rémunération des produits), services de transfert d’argent, salaire payé dans un compte ouvert dans cette institution, apparence des agences…

Mais les plus importantes sont la sécurité, la fiabilité, la confiance, la qualité des services et la proximité. Dans la plupart des cas, l’importance accordée aux critères de sécurité et de fiabilité tient à un effet de prudence. Pour rappel, dans les années 1980-1990, bien des détenteurs de comptes bancaires ont été victimes d’un assèchement de liquidité dans le circuit bancaire qui leur a fait perdre une bonne partie de leurs épargnes. L’enquête a révélé que 23 % des personnes enquêtées ont été victimes de perte de l’épargne dans les institutions financières.

Le choix d’une institution par une personne ayant un revenu relativement élevé se base essentiellement sur la sécurité et la qualité du service alors que pour une personne à faible revenu, c’est la sécurité, la fiabilité, la proximité des agences et le niveau des taux d’intérêt appliqués et des commissions. Selon les experts de la BCC, le concept de sécurité intègre aussi bien la solidité financière de l’institution, la sécurité physique des fonds et l’image de marque que l’institution projette auprès des clients.

sécurité judiciaire

Pour les participants aux focus groups, la sécurité offerte par les banques commerciales est plus grande que celle offerte par les IMF et les COOPEC parce que l’expérience récente montre que la plupart des cas de perte d’argent ou de détournement de fonds (dépôts) surviennent dans les IMF et les COOPEC.

D’une manière générale, le recours à la justice en cas de préjudice est faible. Hormis le fait que les cours et les tribunaux ne sont pas spécialisés dans la résolution des différends portant sur des contrats entre institutions financières et clients, il y a généralement une perception parmi les clients que la justice est plutôt pour les forts.