Le salaire des joueurs en France va-t-il vraiment baisser?

La saison de Ligue 1 ne reprendra pas. Les clubs vont devoir dire adieu à une partie des droits TV, à la billetterie et à une partie de leurs revenus de sponsors. Ce que touchent les footballeurs est dans leur viseur pour éviter la faillite.

LE quotidien doré des footballeurs les mieux payés de Ligue 1 sera-t-il bientôt un paradis perdu? Suite à l’épidémie de coronavirus, le foot français est forcé de se mettre à la diète. La saison étant terminée d’office, les clubs de football professionnel voient leurs recettes s’amputer d’une part non négligeable des droits TV, 240 millions d’euros pour la Ligue 1, et les recettes de billetterie des 10 dernières rencontres. Surtout, pour la saison prochaine, la vente d’abonnement, et d’hospitalités pour les entreprises se révèle utopique, compte tenu des mesures de huis clos déjà à l’étude. 

Si les recettes des clubs de football baissent drastiquement, alors que leur équilibre économique était souvent bancal, les clubs de football vont devoir trancher dans leurs dépenses. Et celles-ci sont principalement constituées des salaires des joueurs de football professionnel. La bulle du football professionnel va-t-elle éclater pour le plus grand plaisir de la vox populi trouvant que « les joueurs de foot sont beaucoup trop payés » ? « On est dans un secteur où on n’a plus aucune rentrée d’argent et des grosses sorties tous les mois, concède un acteur d’un grand club de Ligue 1. Les joueurs vont d’ailleurs être payés à 100 % alors qu’ils n’ont joué que 73 % des matchs de championnat ». 

Discussions en cours

Des discussions sont à l’œuvre dans chaque club pour permettre de faire baisser les salaires des joueurs, au moins jusqu’au démarrage de la nouvelle saison en août prochain. « Nous avons des échanges avec chaque joueur pour trouver un accord sur des baisses de salaires, confie un membre d’un grand club du championnat qualifié pour une coupe d’Europe la saison prochaine. On se rend compte que chaque joueur doit désormais arbitrer entre son agent classique pour le football et son agent d’image. Le premier lui dit qu’il a le droit de son côté et ne veut pas perdre à court terme une partie du salaire. Le second lui explique qu’à moyen terme il gagnera une amélioration de son image en permettant de construire sa propre marque sur l’image du bon citoyen. »

Du coté des représentants des joueurs de Ligue 1, on trouve que les joueurs de football ne devraient pas être les boucs émissaires de cette crise alors qu’un accord a été trouvé pour reporter une partie des salaires des joueurs de Ligue 1 pour le mois d’avril. « Les clubs veulent que la variable d’ajustement soit les salaires des joueurs, mais personne ne veut aujourd’hui mettre la main au porte-monnaie, tranche Philippe Piat, le président de l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP). Sauf que les clubs aujourd’hui se sont pris pour des casinos depuis des années. 

En organisant un système de trading de joueurs pour gagner beaucoup d’argent, ils ont alimenté cette bulle financière qui se retourne désormais contre eux. On voit aujourd’hui les limites des clubs où des investisseurs sont là pour faire du business et non pour l’amour du football. »

Rien pour autant ne pousse juridiquement un joueur de football à renoncer à une partie de son salaire, au-delà des dispositions de chômage partiel déjà utilisées par les clubs de Ligue 1. « Le contrat des joueurs de football est un CDD très protecteur du salarié, note Didier Primault, directeur du Centre de droit et d’économie du sport de Limoges. Dire que les footballeurs devraient être moins payés, ce serait faire preuve d’un jugement moral sous-entendant qu’ils ne mériteraient pas leur argent. »

Thiery Granturco, avocat spécialisé dans le droit du sport n’entend pas lui non plus faire des footballeurs les têtes de turc de la crise que connaît actuellement le football français. Néanmoins, il « espère que les salaires puissent revenir à un niveau raisonnable. Qu’on ait un salaire moyen à 50 000 euros en Ligue 1, vu l’état financier des clubs, c’est difficilement justifiable. Deux tiers des clubs de Ligue 1 n’équilibrent leurs comptes que grâce aux transferts. Il y a quelque chose de vicieux dans ce système mis en place. Il faut espérer qu’on ressorte de cela avec des salaires plus bas, reflétant plus la situation économique des clubs. »

Des prêts à rembourser

Le retour à meilleure fortune des clubs de Ligue 1 se fera notamment grâce à une hausse sensible des droits TV. Dès la saison prochaine, Mediapro et Canal + régleront chaque année plus 1,2 milliard d’euros par an, soit une hausse de plus de 50 %. Jaime Roures, le patron de Mediapro croît à la fin des dépenses extravagantes dans le football. Dans une interview à l’AFP, il affirme que « tout le monde du sport est en train de changer. (…) Le fait de payer des joueurs des centaines de millions d’euros, ce sera terminé. D’abord parce que les clubs n’auront plus les moyens, et puis parce que les banques ne prêteront pas d’argent aux clubs avec la même facilité qu’avant. Tout cela va changer et je crois que c’est très positif au niveau social. »

Néanmoins, les clubs devront rembourser un prêt garanti par l’État contracté par la Ligue de football professionnel d’un montant de 225 millions d’euros pour permettre aux clubs d’avoir encore assez de trésorerie pour assurer le paiement des salaires jusqu’en août. Ce qui devra nécessairement les pousser à assainir leur gestion pour amortir le contrecoup économique de cette période compliquée. « Les clubs français ont trois ans pour retrouver une sérénité financière, juge Virgile Caillet, le délégué général de l’Union Sport & Cycles. Il va falloir qu’ils retrouvent de l’excédent budgétaire alors que les transferts du mercato risquent d’être atones au moins pour cet été. Cela va s’avérer compliqué. »

L’occasion de renverser la table et de plus réguler le milieu du foot après le premier pas du fairplay financier ? « Cette crise ne vient pas remettre en cause directement le modèle footbalistique, plaide Pierre Rondeau, consultant pour RMC Sport. Bien sûr que les rémunérations de plusieurs millions d’euros par an dans le football choquent, mais cela fonctionnait. Il ne faut pas croire que demain, une fois les difficultés terminées, il se mette en place une sobriété heureuse. La bulle n’éclatera pas, le coronavirus va engendrer un ralentissement des investissements des clubs mais tout reviendra à la normale. »

Pour éviter de tomber dans les travers que connaissent les clubs de Ligue 1, l’avocat Didier Poulmaire, ayant participé au rachat de l’Olympique de Marseille par Frank Mc Court plaide pour une plus grande place du droit à l’image dans les salaires des joueurs de football. « Le joueur n’est pas un salarié lambda. Un business non négligeable se réalise sur leurs performances sportives mais également sur l’exploitation de leur image. Aujourd’hui on continue à payer des joueurs des millions alors qu’on ne peut plus utiliser leur image. » Le joueur de football n’est plus actuellement un salarié mais il est devenu « un actif financier, ajoute l’avocat, sur lequel des clubs espèrent réaliser des plus-values. Est-ce qu’on doit tout de même lui appliquer le droit du travail classique ? »

L’ex agent de Yoann Gourcuff plaide pour une solution permettant de surmonter la crise pour les joueurs de foot, tout en modifiant la relation employeur-employé entre un club et un joueur de foot. « On pourrait faire naître une créance salariale pour le joueur qui peut faire naître en contrepartie une garantie pour le joueur sur son droit à l’image. » Quelle que soit la solution utilisée pour les clubs de Ligue 1, les directions phosphorent actuellement afin de résoudre la quadrature du cercle.