Les services financiers pour faire face à la crise et stimuler la croissance

Pour la Banque mondiale, un recours massif aux services financiers numériques favorise le développement économique et la réduction de la pauvreté. Le constat est que là où ces systèmes sont plus développés, la croissance est plus dynamique, le taux de pauvreté baisse plus rapidement et l’égalité de revenu progresse plus vite.

ALORS que le monde est aux prises avec la crise du coronavirus (Covid-19), le rôle majeur de ces services numériques dans l’accès des citoyens et des gouvernements à des outils financiers sûrs, peu coûteux et sans contact devient encore plus manifeste . Dans un nouveau rapport publié la semaine dernière, C. Pazarbasioglu et Alonso Gracia Mora, expliquent comment un meilleur accès aux services de base, comme les comptes courants, le crédit, les produits d’épargne et l’assurance, permet aux pauvres d’augmenter leurs revenus et de devenir plus résilients. Pour les femmes notamment, la possibilité d’envoyer et de recevoir de l’argent, d’épargner et d’obtenir des crédits pour développer leur activité peut être déterminante.

Donner accès aux exclus

Les technologies numériques, soulignent-ils, ouvrent l’accès à de tels services à ceux qui en sont actuellement privés, soit près des deux tiers des adultes dans les pays en développement. Elles réduisent les coûts en amplifiant les économies d’échelle, elles augmentent la rapidité, la sécurité et la transparence des transactions et elles favorisent le déploiement de produits financiers durables, adaptés aux besoins des personnes aux revenus très faibles ou irréguliers. Ces technologies, notent-ils par ailleurs, lèvent en outre les obstacles qui entravent l’accès aux services financiers, tels que l’absence de papiers d’identité et de revenus officiels ou encore l’éloignement géographique.

La forte pénétration des téléphones portables dans de nombreux pays en développement a permis l’éclosion de la première génération de services financiers dématérialisés et l’essor de l’« argent mobile ». À ce jour, plus de 850 millions de comptes utilisant la téléphonie mobile sont recensés dans 90 pays et ils enregistrent 1,3 milliard de dollars de transactions quotidiennes. 

L’Afrique subsaharienne est à la pointe en la matière : un cinquième de la population adulte disposent d’un compte d’argent mobile. L’expérience de la région montre également que ces comptes ouvrent la possibilité d’accéder à des services numériques plus sophistiqués, par exemple, les prêts et l’assurance. Les grandes plateformes de commerce électronique et les opérateurs de télécommunications se sont ainsi appuyés sur la capacité de la finance numérique à faciliter les paiements pour proposer des services tels que des crédits, des assurances ou encore des abonnements prépayés à l’énergie solaire.

Par exemple, la société de micro-assurance Pula, créée il y a quatre ans à Nairobi au Kenya, offre une protection à des personnes disposant de peu de revenus, et notamment à 1,7 million de petits agriculteurs de dix pays en Afrique et en Inde. Elle utilise entre autres des données satellites et l’intelligence artificielle pour intégrer le risque estimé d’indemnisation au montant des primes et pour déterminer si un sinistre s’est produit. 

Grâce à son modèle d’entreprise innovant, Pula conçoit et vend des assurances indexées sur les conditions météorologiques et les rendements sous forme de forfaits, la police d’assurance étant intégrée au coût des semences, des engrais ou d’un crédit. Ce système évite par ailleurs d’avoir à mandater un expert sur place pour constater un sinistre, tandis que l’indemnisation s’effectue par SMS.

Réponse à l’urgence

Au Moyen-Orient, les acteurs humanitaires collaborent avec IrisGuard, une société technologique anglo-jordanienne et cliente d’IFC, pour utiliser son logiciel de balayage de l’iris et sa plateforme financière afin d’authentifier l’identité des réfugiés en Égypte, en Iraq, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Cette technologie permet aux réfugiés de recevoir de la nourriture, une aide financière, des soins médicaux et des transferts de fonds. Les risques de corruption et de vol d’identité sont moindres et les réseaux sont plus fiables. D’après ces deux experts, la pandémie de Covid-19 est venue renforcer l’urgence du recours à des services financiers numériques pour préserver le fonctionnement des systèmes financiers et la sécurité des personnes en cette période de distanciation sociale, de baisse de la demande, de réduction des approvisionnements et de resserrement des conditions de crédit. La technologie financière, ou « fintech », aide les gouvernements à verser rapidement et en toute sécurité des transferts monétaires et d’autres formes de soutien financier, et à fournir d’urgence des liquidités aux entreprises. Elle permet aux particuliers d’envoyer de l’argent, y compris dans d’autres pays, et de payer des achats depuis chez eux, sur un marché ou dans un magasin sans contact physique.

Mais son potentiel est bien plus vaste que ce que l’on connaît actuellement. Ils font remarquer que la crise a mis en évidence les avantages des services financiers numériques dans de nombreux domaines et leur rôle essentiel dans la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD). L’accélération de leur déploiement suppose cependant d’agir sur les leviers suivants : investir dans les conditions préalables au développement des services financiers numériques, à savoir notamment la mise en place d’infrastructures mobiles haut débit (en particulier dans les régions reculées) et de réseaux d’agents locaux qui répondent aux besoins d’encaissement et de paiement des particuliers ; développer les systèmes d’identification numérique, notamment les dispositifs biométriques ; diffuser plus largement les interfaces de programmation ouvertes, c’est-à-dire ce qui permet aux développeurs d’accéder à des logiciels propriétaires afin que les nouvelles applications puissent communiquer et interagir les unes avec les autres.

Il s’agit aussi de : mettre en place des cadres juridiques et réglementaires permettant au plus grand nombre de bénéficier des services financiers numériques et garantissant un écosystème compétitif, sachant qu’il convient de déterminer s’il faut autoriser les acteurs non bancaires à accéder à l’infrastructure nationale de paiement et à émettre de la monnaie électronique, et de fixer les règles correspondantes ; autoriser l’accès aux bases de données gouvernementales.

Gérer les risques

Cependant, au-delà de ces actions en faveur du développement des services financiers dématérialisés, il est important de gérer les risques. Ainsi, les fichiers de données générés par les systèmes numériques peuvent exposer les utilisateurs à une divulgation non autorisée ou à l’utilisation abusive de leurs données personnelles, voire à de la discrimination. L’inégalité d’accès à la technologie et la fracture numérique peuvent en effet priver les pauvres de ses avantages, en particulier les femmes. Des programmes d’éducation financière sont nécessaires pour éviter que les nouveaux utilisateurs de services financiers soient victimes de surendettement ou de prêts abusifs, ce qui les placerait dans une situation encore plus défavorable.

La Banque mondiale assure qu’elle continuera à travailler avec les secteurs public et privé pour aider davantage de pays à élargir de manière responsable l’accès aux services financiers numériques. À court terme, ces outils présentent des avantages indéniables, car ils accélèrent la réponse à l’urgence sanitaire et soutiennent la reprise économique et le retour de la croissance. À plus long terme, ils sont appelés à jouer un rôle considérable dans le développement économique et l’élimination de la pauvreté.