Un budget au rabais

La crise sanitaire actuelle est partout à la fois un choc de demande et un choc d’offre de l’économie mondiale. Les consommateurs n’achètent plus et les entreprises ne produisent plus, car tout est fermé ou presque. En allant au Palais du peuple solliciter le quitus de l’autorité budgétaire, le 1ER Ministre a envoyé un signal fort : le gouvernement ne pourra exécuter le budget 2020 en l’état, car les recettes attendues désormais sont en dessous des dépenses.

LA plupart des économies nationales sont déjà en récession à travers le monde. Pour faire face à la pandémie de Covid-19, les gouvernements sont astreints à des réajustements budgétaires. En République démocratique du Congo, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre, flanqué de ses deux ministres chargés du Budget et des Finances, s’est rendu le lundi 27 avril au Palais du peuple, siège du Parlement, pour échanger avec Alexis Thambwe Mwamba et Jeannine Mabunda Lieko Mudiayi, respectivement le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale. 

Pour le gouvernement, à l’heure du Covid-19, des contraintes budgétaires sont inévitables pour faire face à la crise sanitaire et pour ne pas arrêter la marche de l’État. En clair : le 1ER Ministre devra soumettre au Parlement un collectif budgétaire. C’est l’expression employée communément pour qualifier les lois de finances rectificatives. Ces lois sont les seules permettant de modifier, de manière significative, en cours d’année, les dispositions de la loi de finances initiale.

L’idée était en l’air depuis février dernier, à en juger par la lettre du 1ER Ministre datée de 12 mars dernier, en réponse à la question écrite du député Claudel Lubaya demandant un chronogramme détaillé du programme du gouvernement à propos de la lutte contre la pandémie. Bien avant cela, José Sele Yalaghuli, le ministre des Finances, avait provoqué une polémique en publiant en février dernier un plan de trésorerie réduisant de 31 % les recettes fiscales et non fiscales inscrites dans le budget de l’exercice 2020. 

Preuve de réalisme

À cela s’ajoute le plan d’engagement budgétaire publié par Jean Baudouin Mayo Mambeke, le vie-1ER Ministre, ministre du Budget, réduisant sensiblement les dépenses publiques à 901 millions de dollars, soit moins de 10 % du budget 2020 pour le premier trimestre.

Le plan de trésorerie et le plan d’engagement budgétaire ne sont que des instruments du budget de l’État et ne peuvent en aucun modifier la loi de finances initiale votée au Parlement. Le principe est classique : il n’y a que le collectif budgétaire voté au Parlement qui puisse changer la loi de finances. Le plan de trésorerie pour toute l’année publié par le ministre des Finances, prévoit deux fois moins les recettes et les dépenses par rapport au budget 2020 voté. Si c’est cela le réalisme, le collectif budgétaire devra vider la loi de finances de sa substance et surtout énerver la population qui nourrissait des espoirs au vu d’un budget à deux chiffres.

On s’en souvient. Lors du débat général sur le budget à l’Assemblée nationale, des élus avaient émis des réserves, même si notre potentiel fiscal peut laisser à penser que le pays peut et doit avoir un budget à deux chiffres entre 15 et 30 milliards de dollars. Ils ont insisté sur la nécessité de réaliser les grandes réformes structurelles, tant sur le plan de l’encadrement maximal des recettes que sur celui de la rationalisation des dépenses de l’État. Conscients que les faits économiques et financiers n’obéissent à aucune logique politique. Et c’est ce que nous vivons aujourd’hui, rappellent-ils. 

Ils sont nombreux à avoir alerté sur « l’irréalisme » du budget 2020. « Un gouvernement responsable, c’est celui qui sait prendre le taureau par les cornes », fait remarquer un député, ajoutant qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’idées. Le Fonds monétaire international (FMI) s’est invité à ce débat, estimant qu’il était « réaliste » de revoir le budget 2020 à la baisse. En effet, le Fonds fondait ses inquiétudes sur l’exécution du budget jusqu’à la mi-février, à la vue des pressions sur les dépenses et de la faible performance des recettes, laissait entendre Philippe Egoumé, le représentant du FMI en RDC. « Ces pressions ont entraîné des avances de la Banque centrale au gouvernement et une érosion des réserves internationales de la BCC. On connaît la suite : mettre fin au régime des avances et rembourser celles qui ont été accordées.

Par où couper ?

Cependant, pour d’autres experts, il est encore prématuré de faire maintenant une projection sur l’ensemble de l’année. D’après eux, il ne s’agit pas de couper la poire en deux ou en trois, mais de maximiser les recettes. Certes, il y a des indices persistants qui montrent que la situation se détériore davantage. Mais la tendance pourrait se renverser grâce à la Providence divine. Cela est déjà arrivé plusieurs fois.

Si jamais la conjoncture actuelle perdure, il va y avoir un problème. Cela veut dire que le budget actuel ne sera jamais exécuté tel qu’il aura été voté au Parlement en décembre 2019. La loi de finances pour l’exercice 2020 prévoit un budget de 10,59 milliards de dollars. Le plan de trésorerie de la mi-février prévoit quelque 5,45 milliards de dollars de dépenses pour des recettes légèrement moindres. Il est « conforme à des prévisions de recettes réalistes », selon le FMI. 

Tout dépendra finalement de la capacité du gouvernement à mobiliser les recettes, notamment fiscales, explique-t-on dans des milieux économiques. Mais dans un pays où l’orthodoxie budgétaire n’est pas le point le plus fort, le gouvernement aura du mal à se sortir dans un contexte défavorable. D’aucuns redoutent qu’un budget revu à la baisse ne permette pas de financer certaines réformes promises, comme la gratuité de l’école primaire (2.5 milliards de dollars de coût) ou l’élargissement de l’assurance maladie.

L’avenir s’annonce donc sombre pour les projets inscrits au budget d’investissement. Il est encore très tôt d’anticiper l’action du gouvernement en sollicitant un collectif budgétaire. La loi de finances pour l’exercice 2020 s’inscrit dans un contexte historique de passation pacifique du pouvoir au sommet de l’État, à l’issue des élections présidentielle et législatives de décembre 2018, peut-on lire dans l’exposé des  motifs de la loi de finances 2020. Il s’inscrit dans l’optique de la mise en œuvre, en année pleine, du programme du gouvernement adopté par l’Assemblée nationale le 6 septembre 2019. 

Ce programme qui couvre les cinq années de la mandature tient compte de la vision et des idées forces du président de la République pour le développement et l’émergence de la RDC, retracées dans son discours d’investiture du 24 janvier 2019. Il s’articule autour de 15 piliers, regroupés en quatre grands secteurs : politique, défense et  sécurité ; économie et finances ; reconstruction ; social et culturel. 

Les politiques publiques prioritaires retenues pour l’exercice 2020 découlent de la politique budgétaire définie dans le cadre budgétaire à moyen terme 2020-2022, qui reflète les axes prioritaires du programme du gouvernement, en phase avec les stratégies sectorielles. 

La loi de finances 2020 repose sur les principaux indicateurs et agrégats macroéconomiques : taux de croissance du PIB (5,4 %), déflateur du PIB (7,3), taux d’inflation moyen (6,8 %), taux d’inflation fin période  (6,5 %), taux de change moyen (1 687,4 CDF/1USD), taux de change fin période (1 687,9 CDF/1USD), PIB nominal (97 683,7 milliards de FC), pression fiscale (13,3 %). 

Le Budget du pouvoir central de l’exercice 2020 est présenté en équilibre, en recettes et en dépenses, représentant 17,3 % du PIB et un taux d’accroissement de 63,2 % par rapport aux prévisions budgétaires de l’exercice 2019