« L’eau est le miroir de l’avenir ». Le philosophe Gaston Bachelard ne pensait pas si bien dire. L’or bleu a toujours représenté d’énormes enjeux pour l’avenir de la planète, et aujourd’hui plus qu’avant à cause du réchauffement climatique. Le sommet sur le climat ou la COP 21 qui vient de se tenir à Paris en est la parfaite illustration. C’est difficile de mettre d’accord 195 pays sur les enjeux du réchauffement climatique. Mais on retiendra utilement de cette conférence la nécessité d’agir, car une espèce qui disparaît ne revient jamais. L’eau fait partie des enjeux mondiaux du réchauffement climatique. D’où la question préoccupante de l’impact du phénomène sur les cours d’eau du Congo. D’une façon générale, l’eau a toujours revêtu une signification symbolique en Afrique.
Dans le découpage de l’Afrique à la Conférence de Berlin en 1885, l’accès aux voies navigables avait représenté un enjeu à la hauteur de l’importance du transport fluvial pour le contrôle des territoires et leur exploitation économique. L’urbanisation, l’exploitation toujours plus intensive des terres et l’industrialisation accrue vont intensifier les besoins en eau. Autant de facteurs dont la combinaison suscitera des situations de tensions, voire de crises. Par exemple dans l’élevage, il faut 15 000 litres d’eau pour produire 1 kg de viande de bœuf. On mesure ce que provoquera l’expansion démographique du continent sur ses besoins globaux en eau, sachant qu’entre 60 à 70 % de l’eau est utilisée par l’agriculture. Or, le continent manque d’aménagement hydraulique par rapport au reste du monde. D’où sa grande vulnérabilité face aux sécheresses et aux crues, qui provoquent des inondations meurtrières.
Le manque d’eau du fait du changement climatique est source de conflits ou de tensions susceptibles de se produire autour de réserves hydriques. Celles-ci sont très inégalement réparties, chevauchent les frontières ou font l’objet de contentieux. L’Afrique dispose d’importantes ressources en eau, 5 400 milliards de m3 par an. Seulement 4 % de ces ressources sont utilisées pour l’eau potable, l’irrigation et l’énergie. Dans toutes les régions, sauf en Afrique centrale, la disponibilité en eau par personne (4 008 m3) est inférieure aux moyennes mondiales et plus faible que dans les autres régions du monde, hormis l’Asie, le continent le plus peuplé. L’Afrique compte environ 80 grandes rivières et fleuves internationaux (Congo, Niger, Nil, Sénégal, Volta, Zambèze), de vastes bassins fluviaux (bassin du Congo, du lac Tchad, du Nil, du Zambèze), et de nombreux lacs (Tchad, Nyassa, Tanganyika, Victoria, Edouard, Albert, Mweru). Cependant, en raison de ses saisons arides, l’Afrique est, après l’Australie, le continent qui compte la plus forte proportion de territoires sans écoulement vers la mer : 53 % de sa superficie, dont 40 % de régions aréiques (sans écoulement permanent) et 13 % de régions endoréiques (écoulement vers un bassin intérieur). Toutes ces caractéristiques conduisent à diverses situations qui ne manquent pas d’avoir des incidences géopolitiques et économiques.
Le Congo au centre des enjeux
La problématique de transfèrement et de détournement des eaux du Congo est souvent évoquée dans les rencontres où il est question du changement climatique. D’après les experts, c’est techniquement réalisable. Mais des exemples à travers le monde ont démontré que ces projets ont occasionné des catastrophes environnementales presque irréparables. Le Congo dispose d’un grand bassin hydrographique qui va au-delà de ses frontières nationales. Ce qui fait du fleuve Congo l’un des plus grands fleuves du monde. Mais ce bassin est menacé à cause du changement climatique et de l’action de l’homme sur l’environnement. Conséquence : le fleuve et ses affluents connaissent un sérieux problème d’ensablement dû à une urbanisation rapide mais désordonnée, et au déboisement abusif du massif forestier. Les endroits les plus profonds du fleuve mesurent actuellement 30 m à peine. Dans la rivière Kasaï, la profondeur ne dépasse pas 6 à 7 m. Cette situation s’étend également aux autres rivières. Pendant la saison des pluies, le fleuve Congo débite 60 000 m³ par seconde, tandis qu’en saison sèche, son débit chute à 42 000 m³ à cause de l’anthropisation.
Les cours d’eau ont un grand apport sur la pluviométrie avec le phénomène d’évaporation. La première victime de la baisse des précipitations, c’est l’agriculture. Les provinces qui seront les plus touchées sont celles à climat tropical sec comme l’ex-Katanga qui, aujourd’hui, à cause du changement climatique, est passé déjà à 7 mois de saison sèche contre 5 de saison des pluies, ce qui n’était pas le cas il y a dix-vingt ans où ce rapport était de 6 mois pour chacune des deux saisons. Le Kongo-Central, qui est déjà sec à cause de l’influence du courant froid de Benguela, verra sa situation empirer avec des périodes de plus en plus sèches. Cet assèchement est consécutif au déboisement abusif pour approvisionner en charbon de bois Kinshasa, mal fournie en électricité. Mais, en dehors de l’anthropisation (urbanisation et déforestation), les grandes rivières et le fleuve risquent de connaître une autre menace en provenance de l’Angola. Ce pays est aux prises avec un phénomène de sécheresse dû à l’avancée du désert de Kalahari. Tôt ou tard, l’Angola sera contrainte d’irriguer ses rivières pour augmenter la production agricole et nourrir sa population en forte croissance démographique. Or, les grandes rivières de la rive gauche du fleuve Congo qui l’alimentent en eaux prennent leurs sources en Angola. C’est le cas des rivières Kasaï, Kwilu, Kwango… qui drainent les ex-provinces de Bandundu et du Kasaï. Il suffit que l’Angola lance une opération d’envergure sur ces rivières pour que les deux provinces précitées connaissent un problème d’eau. Sans oublier le fleuve qui verra son débit diminuer de façon drastique.
Obligation de solidarité
L’assèchement est l’une des plus importantes catastrophes environnementales du XXe siècle. Sur le transfèrement des eaux congolaises vers le lac Tchad, par exemple, les scientifiques ont proposé de lancer ce projet de captage d’eau après le barrage d’Inga. La variante A du projet Transaqua projette de prendre l’eau à la rivière Ubangi. Mais les conséquences environnementales seront considérables. Il s’agit de la diminution du volume d’eau sur le fleuve Congo parce que l’Ubangi est l’un des plus grands contributeurs des eaux du fleuve (c’est une rivière équatoriale), la fermeture du barrage d’Inga avec la baisse du débit du fleuve et, enfin, la perturbation des écosystèmes. Son coût est estimé au double, voire au triple de la variante A évaluée entre 4 et 6 milliards de dollars. Face au problème, des voix se font entendre pour une gestion durable des bassins versants du fleuve Congo et de ses affluents. Si le bassin versant est mal géré, toutes les eaux provenant des précipitations sont vouées à un assèchement certain. Comment croire que la position stratégique du Congo ne donnera jamais lieu à contentieux, voire à conflit ? De nombreux experts, responsables politiques et fonctionnaires internationaux ont évoqué, dans un passé récent, les conflits liés à l’or bleu. D’où leur recommandation d’anticiper sur d’éventuelles « guerres de l’eau » en Afrique.
La nécessité d’un accord
La nécessité d’agir a été officialisée quand Ban Ki-moon est devenu secrétaire général des Nations unies en 2007. L’idée est partie de la guerre du Darfour. La sécheresse aurait conduit agriculteurs et éleveurs nomades à se disputerles points d’eau, ce qui aurait exacerbé les autres causes de conflit. L’intellectuel allemand Harald Welzer popularisa lui aussi ce thème en 2009 dans son essai « Les Guerres du climat. Pourquoi on tue au XXIe siècle ». L’action est avant tout une nécessité d’accord pour prévenir des crises et des conflits afin de mieux gérer les ressources en eau. Les organismes de gestion des bassins transfrontaliers représentent à ce jour l’un des moyens les plus efficaces pour régler les conflits à venir. Pas moins de 19 bassins frontaliers sur 68 font l’objet d’un traité et portent sur l’essentiel des ressources. Outre la gestion du bassin du Nil, l’Autorité du bassin du Niger (ABN) et la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), créées en 1962, font figure d’exemple. De même que l’Office de mise en valeur du Sénégal (OMVS), créé en 1972, a réalisé un travail important, tandis que le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) s’investit dans la recherche, la sécurité alimentaire et la lutte contre les effets de la sécheresse. De vastes ressources restent à exploiter sur le continent. Une étonnante découverte a été faite en Namibie. Elle porte sur des réserves d’eau douce estimées à un minimum de 5 milliards de m3. Cette nappe phréatique, à cheval sur la Namibie et l’Angola, provient d’une montagne angolaise située à près de 350 km de la frontière namibienne. L’eau s’est infiltrée lentement au cours des siècles à travers le sable et les fissures des roches. Un texte visant à gérer le partage équitable de ces ressources reste à élaborer. Enfin, une quarantaine de zones constituées de roches poreuses stockant de l’eau ou la laissant circuler ont été identifiées. Autant d’aquifères transfrontaliers qui pourraient représenter des sources de conflit, ou au contraire des facteurs de paix, si leurs ressources sont équitablement partagées dans les années à venir.
Tiré de l’édition BEF No 97 du 14 au 20 décembre 2015