En décembre 2009, le gouvernement avait procédé à un classement des établissements d’enseignement supérieur et universitaire sur la base d’un certain nombre de critères dits « de viabilité ». Ces critères prenaient en considération les infrastructures, le matériel didactique ainsi que les ressources humaines qualifiées. Les universités du secteur privé étaient en tête du classement lorsque tout cela était pris en considération. Qu’en est-il cinq ans après ?
Sur le terrain, la distinction entre universités publiques et privées en termes de qualité de l’enseignement et de professionnalisme n’existe quasiment plus. Toutes les universités sont logées à la même. Les moments clés de leur fonctionnement sont les sessions d’examens, la direction des mémoires, l’intérêt particulier pour les années terminales. C’est là que l’on se rend compte de la marche en arrière accélérée de l’enseignement supérieur et universitaire congolais depuis de nombreuses années. D’autant que de nombreux professeurs, chefs de travaux et assistants intensifient la pratiques qui consistent à transformer les étudiants, pauvres dans leur écrasante majorité, en vaches à lait à traire sans modération.
Harcèlement tous azimuts
Une ancienne étudiante de l’Université catholique du Congo (UCC) se souvient d’un scandale qui remonte à 2010. Une de ses camarades subissait un harcèlement sexuel permanent de la part d’un professeur, directeur de son mémoire. Lasse, la jeune fille finit par se plaindre auprès des services académiques de l’université comme l’exige le règlement en pareille circonstance. Quelques jours plus tard, elle reçoit un courrier dans lequel on lui signifie son renvoi. Le professeur harceleur subit le même sort. Désemparée, ne sachant quoi faire en plein milieu de l’année académique, elle décide de rattraper le coup en s’inscrivant dans une autre université privée. Pour son malheur, elle y retrouve son ancien professeur qui est en même temps doyen de sa faculté. Sans mâcher ses mots, l’homme lui dit que cette fois elle ne lui échappera plus parce qu’elle se trouve sur son « terrain ».
La profondeur de la poche
À l’Université protestante au Congo (UPC) une étudiante nous confie que certaines de ses camarades paient de leur corps la réussite. « C’est la longueur de ta poche qui détermine ton succès et le pourcentage que tu aimerais obtenir. L’important est que tu saches ‘’ libérer’’ [casquer, NDLR]. Plusieurs de mes collègues ont un boulot à temps plein et ils ne peuvent pas assister aux cours. Or, chaque année, ils passent avec des notes excellentes », souligne-t-elle. « À l’université Simon Kimbangu (USK), le statut de chef de promotion est une garantie de réussite en première session, quel que soit le quotient intellectuel », affirme Charlène, étudiante en médecine. « Dans ma promotion, même les amis du chef de promotion bénéficient aussi des mêmes avantages que lui. Faisant l’intermédiaire entre les étudiants et le corps enseignant, c’est lui qui dresse secrètement, moyennant de l’argent, la liste des personnes qui réussiront dans tel ou tel autre cours. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises lorsque nous apprenons que les étudiants qui peuvent payer du crédit pour les communications de l’assistant ou du carburant pour le véhicule du professeur retiennent plus leur attention lors de la direction des mémoires que les autres » , insiste l’étudiante.
Des universités faites pour les riches ?
Selon que l’on étudie chez les catholiques, les protestants ou les kimbanguistes, les études universitaires ont un prix. Il faut, donc, avoir des revenus élevés. Dans une université privée, outre les frais de transport et le casse-croûte, appelé ration, les parents doivent serrer la ceinture. Chez les catholiques, par exemple, il faut 700 dollars par année académique pour un étudiant nouvellement inscrit. C’est-à-dire 20 dollars pour la fiche d’inscription ; 620 de minerval ; 50 de frais spéciaux ; 10 pour la quotité. Un ancien étudiant paye quant à lui 695 dollars, dont 15 pour les frais de réinscription ; 620 pour le minerval ; 50 de frais spéciaux et 10 de quotité. Chez les protestants, le coût d’une année académique dépend de chaque faculté. Ainsi, un étudiant inscrit au niveau recrutement d’une faculté autre que faculté de médecine déboursera 720 dollars, qui comprennent 20 dollars de frais d’inscription ; 650 dollars de frais d’études ; 10 pour la mutualité et 40 pour la mutuelle de santé. En ce qui concerne les classes montantes, le coût s’élève à 650 dollars. Le paiement d’un acompte confirme la réinscription de l’étudiant. Pour un étudiant en médecine, la première année coûte 750 dollars, alors que dans le premier et le deuxième cycles, les études reviennent à 800 dollars et 850 dollars pour la dernière année. Chez les kimbanguistes, ce qu’il faut payer dépend également des facultés. En gros, un étudiant inscrit en médecine paie 450 dollars plus les frais connexes qui s’élèvent à 150 dollars pour les classes de recrutement et à 130 pour les classes montantes. Dans les autres facultés, les frais d’études ne dépassent pas 300 dollars.
Adeline, qui habite le quartier Delvaux, à Ngaliema, a une fille inscrite à l’UCC. « Ce n’est pas facile », reconnaît-elle. « Chaque semaine où ma fille va à l’université, je dépense 25 dollars, à raison de 5 dollars par jour, rien que pour son déplacement et sa ration ou casse-croûte. Chaque mois, je dois prévoir 100 dollars pour qu’elle aille régulièrement aux cours. Tout compte fait, son année académique me coûte entre 1600 et 1800 dollars (s’il faut ajouter les dépenses imprévues comme l’achat de syllabus et les travaux pratiques) frais académiques compris. Elle n’est pas la seule enfant que j’ai scolarisée. Le gouvernement devrait s’imposer et revoir à la baisse les frais académiques dans ces universités privées. C’est excessivement cher », conclut- elle.
Patient Kalala est fonctionnaire et père de huit enfants dont quatre fréquentent l’université. Pour lui aussi, les choses ne sont pas simples. « J’ai deux filles à l’UPC, l’une en droit et l’autre en économie. Mes deux autres filles sont inscrites, l’une, en communication à l’UCC, et l’autre en médecine à l’USK et ce n’est pas moins de 8 000 dollars que je dépense par an pour leur scolarité. C’est trop, vu mon petit salaire. Je m’inquiète pour leurs frères qui s’apprêtent à entrer à l’université », insiste-t-il. Georges, cet autre père de famille, professeur au secondaire, a une fille à l’UPC. Il ne peut pas envoyer à l’université son fils qui a terminé les humanités car les études de sa fille grèvent son budget. Il attend qu’elle finisse au moins son premier cycle pour que son frère la suive.
Des salaires moins attrayants expliqueraient les dérives
Le salaire d’un professeur dans les universités privées est encore tabou. Mais, de source sûre, un professeur ordinaire à temps plein à l’UCC toucherait 940 dollars et un professeur, 800 dollars. La rémunération d’un assistant est de 440 dollars. Selon toujours la même source, une majoration d’au moins 30 % est en cours de négociation. Un professeur à mi-temps toucherait 10 dollars de l’heure et c’est par prestation qu’il reçoit son dû. A l’UPC, professeur à mi-temps toucherait entre 15 et 20 dollars de l’heure. Un assistant aurait en moyenne 7,5 dollars de l’heure. Un assistant de l’USK a 375 dollars et un professeur 10 à 15 dollars de l’heure auxquels il faudrait ajouter la vente obligatoire des syllabus. De plus, la plupart de ces professeurs ont un contrat soit avec le gouvernement, soit avec une autre institution universitaire privée ou publique. Ce qui implique qu’ils ont des revenus mensuels assez conséquents au vu de ces cumuls. « Mais pourquoi continuent-ils à nous obliger d’acheter des syllabus ? » se demande Eddy, étudiant en droit à l’USK. Réponse d’un assistant : « Nous les obligeons à acheter les travaux pratiques et les syllabus pour la simple raison que cet argent constitue une motivation pour la correction des travaux pratiques et des interrogations. »