Le 13 juillet 2017, le président Joseph Kabila Kabange nomme des mandataires à la tête d’une dizaine d’entreprises et établissements publics. Dans les réactions qu’a suscité cette vague de nominations, d’aucuns ont soutenu que le chef de l’État aurait tout faux en faisant la part belle aux acteurs politiques plutôt qu’aux managers patentés. Deux cents jours après, un premier bilan est dressé en ce qui concerne deux entreprises de la catégorie A : la REGIDESO et la Société nationale d’électricité (SNEL).
Factures revues à la hausse
À la REGIDESO SA, c’est un routier de la politique qui a été nommé président du conseil d’administration (PCA). Il s’agit du professeur de droit et avocat Yoko Yakembe. C’est lui qui a contesté à Pierre Lumbi Okonga la paternité du Mouvement social pour la République (MSR). À la SNEL SA, c’est le porte-parole de la Majorité présidentielle (MP), passé cadre au Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), André Alain Atundu Liongo, qui a été nommé PCA. D’après l’estimation de la Commission d’études statistiques et des comptes nationaux (CESCN), la contribution de l’électricité, du gaz, de la vapeur et de l’eau à la croissance du Produit intérieur brut (PIB) réel dans le secteur secondaire n’a été que 0.03 de point de pourcentage en 2017, contre 0,7 point pour les industries manufacturières et 0.5 point pour les bâtiments et travaux publics. En 2016, l’apport de l’eau et de l’électricité au PIB réel du secteur secondaire a été plus de trois fois supérieur, soit 0.1 point de pourcentage.
Pour l’exercice 2018, cet apport serait, d’après les projections de la CESCN, de 0.0 point de pourcentage, alors que le secteur secondaire verrait plutôt les contributions des branches « Industries manufacturières » et « Bâtiments et Travaux publics » osciller respectivement autour de 0,3 point et 0,1 point de pourcentage. En 2017, l’apport attendu de la REGIDESO SA au titre des dividendes des entreprises publiques transformées en sociétés commerciales a été de 470.4 millions de francs, à fin décembre. Moins de 23 millions de francs auraient été versés au Trésor public. La situation financière de l’entreprise a atteint un seuil critique à tel point que le conseil d’administration présidé par le MSR/MP Yoko Yakembe a sollicité et obtenu du gouvernement, en janvier, la révision à la hausse de son tarif moyen de 0.75 dollars à 0.89 dollars le m3, dans l’espoir de ramener la REGIDESO SA à un certain équilibre financier. En pratique, le m3 d’eau en Répûblique démocratique du Congo coûte désormais autant qu’au Sénégal ou au Burkina-Faso, des États aux ressources en eau plutôt limitées du fait de l’influence du climat sahélien.
Un déficit de 30 milliards de FC
En 2016, le déficit cumulé sur l’année de la REGIDESO SA et de la SNEL SA était de 30 milliards de francs, selon le ministère du Budget. Les créances certifiées de l’État vis-à-vis de la REGIDESO SA sont estimées à 130 millions de dollars (2015). Dans le cadre budgétaire à moyen terme, 2017-2020, la politique du gouvernement dans le secteur de l’énergie vise, d’une part, à améliorer l’accès à l’électricité en faveur des groupes sociaux, avec un accent sur l’électrification rurale et, d’autre part, à améliorer l’accès des populations urbaines et rurales à l’eau potable.
Une frange importante de la population n’a pas accès à l’eau potable, selon une étude de la société civile congolaise. Sur les 32 villes que compte la RDC, seules trois, Kinshasa, Lubumbashi et Matadi, sont à près 70 % alimentées en eau. Pourtant, selon le rapport de Politique nationale du service public de l’eau (PNSP), le taux national d’accès à l’eau est de 50,4 %. L’étude a été publiée en juin 2016, soit une année avant l’entrée en fonction de la nouvelle équipe dirigeante – Yoko Yakembe (PCA), Clément Mubiayi Nkashama (DG) et Désiré Bagbeni (DGA) – de la REGIDESO. Selon des experts maison, la REGIDESO SA a besoin d’au moins 1,3 milliard de dollars sur dix ans pour réaliser son plan d’investissement.
Manque de volonté politique
Le représentant de la Banque mondiale en RDC, Ahmadou Moustapha Ndiaye, a déploré le manque de volonté politique pour redresser la REGIDESO SA. La Banque africaine de développement (BAD) a pris en charge les frais de facture des institutions publiques. En même temps, grâce à un financement de la Banque mondiale, la REGIDESO SA a entrepris de renforcer sa capacité de desserte en eau, dans un premier temps, dans 4 villes (Kinshasa, Matadi, Lubumbashi et Kindu). Grâce à d’autres partenaires, dont la Belgique et le Programme des Nations Unies (PNUD), la REGIDESO SA devrait bénéficier à court terme de plus de 7 millions de dollars, acquérir près de 6 000 tonnes de sulfate d’alumine, près de 2 000 tonnes de chaux hydratée, plus de 200 tonnes d’hypochlorite de calcium.
S’agissant de l’énergie électrique, seulement 44 % des foyers de la capitale bénéficient de l’énergie électrique contre 9 % pour toute l’étendue du territoire national, selon la commission d’aménagement du territoire du Sénat. L’offre d’électricité est couverte à environ 2,3 % par les importations (notamment de la Zambie) et 97,7 % par la production locale à partir de 108 centrales (dont 62 centrales hydroélectriques et 46 centrales thermiques gérées par la SNEL ou des privés) pour une puissance totale installée de 2 589,82 MW, avec cependant un taux d’exploitation (ou de production) très faible évalué à 50 % seulement des capacités installées (produisant 10 359,3 GWh). La SNEL, avec ses 50 centrales (14 hydroélectriques et 36 thermiques) représente 94,25 % de la puissance totale installée (soit 2 441,02 MW), contre 5,75 % pour l’ensemble des auto-producteurs (134,5 MW). Mais au cours de ces six derniers mois, la SNEL SA a notamment entrepris des travaux de réhabilitation et de maintenance, çà et là, sur ses installations.
Marketing politique
Septembre 2017, le tout nouveau PCA, Atundu Liongo, en compagnie du directeur général de la SNEL, Jean-Bosco Kayombo, a eu l’honneur de faire procéder aux premiers essais du nouveau barrage hydroélectrique de Zongo II (150 MW) dans la province du Kongo-Central. La SNEL SA a même injecté avec succès quelque 37 MW sur le réseau de Kinshasa. Les travaux sur les ouvrages de cette centrale comprenant le barrage avec trois groupes, la galerie d’amenée, le puits d’équilibre, la chambre des vannes, l’usine et le canal de restitution, ont été exécutés à près de 100 %.
Le projet Zongo a été financé à travers un accord de prêt de 360 millions de dollars convenu entre la RDC et la chinoise Exim Bank. Octobre 2017, ailleurs, le PCA a effectué une visite d’inspection à la centrale hydroélectrique de Bendera, à Kalemie, chef-lieu de la province du Tanganyika, après une entrevue avec la direction et le personnel de la SNEL/Haut-Katanga. André-Alain Atundu a, en effet, apporté un message d’encouragement aux agents de la SNEL locale et leur a exhorté de fournir plus d’efforts en vue d’améliorer la desserte en énergie électrique, selon la vision du chef de l’État pour matérialiser la Révolution de la modernité.
Depuis, quelques centrales hydroélectriques de la région (Nseke, Mudingusha…) ont été réhabilitées.
Janvier 2018, la SNEL a rétabli la desserte en électricité à Gbadolite, dans la province du Sud-Ubangi, après la réhabilitation d’un transformateur de la centrale hydroélectrique de Mobayi Mbongo tombé en panne des suites des pluies. Une équipe de techniciens a été dépêchée par la SNEL/Kinshasa sur place en vue de rétablir la desserte à brève échéance. Selon le cadre budgétaire à moyen terme 2017-2020, l’accès à l’électricité en faveur des groupes sociaux nécessitera le développement des unités de production de l’énergie électrique, des réseaux de transport et des réseaux de distribution, l’application de la loi sur l’électricité pour favoriser le lancement des projets de construction ou de modernisation des mini-barrages hydro-électriques.
En clair, il va falloir attendre encore longtemps pour vivre l’amélioration du taux d’accès à l’électricité en RDC. D’après le PNUD, l’accès universel à l’électricité à l’horizon 2030 (objectif du SE4ALL) signifierait pour la RDC de multiplier par 23,8 fois la production actuelle du courant. La consommation finale d’électricité serait alors de l’ordre de 149 528 Gwh. Selon le rapport 2010 du Comité de pilotage de la réforme des entreprises publiques (COPIREP), il faut un investissement de 1 milliard de dollars pour permettre à la SNEL SA de remettre à l’état son réseau de production, de transport et de distribution du courant électrique.
En 2017, les contributions financières attendues de la Société nationale d’électricité dans le budget de l’État étaient de 584 460 241 FC. Mais à fin octobre, aucun rond n’a été versé au Trésor public, selon un rapport d’exécution de la loi de finances publiques pour l’exercice 2017 réalisé par le ministère du Budget. Tout comme à la REGIDESO SA, à la SNEL SA, l’on déplore plutôt l’insolvabilité de son principal client, l’État. Les factures de consommation d’eau et de courant des institutions publiques et autres ayants-droits sont reprises dans la rubrique dite « Charges communes » dans le budget de l’État.
Pour l’exercice 2018, quelque 100 milliards de francs ont été prévus pour les charges communes dont 54 milliards pour le secteur énergétique, à savoir 24 milliards de francs pour l’alimentation en eau (REGIDESO) et 20 milliards pour l’alimentation en énergie électrique (SNEL). Une certaine confusion entoure, hélas, la gestion de cette charge de l’État à tel point que les chiffres publiés par le ministère du Budget ne correspondent pas toujours à ceux disponibles à la SNEL SA ou à la REGIDESO SA.
En 2016, par exemple, selon la Direction de préparation et de suivi du budget, le gouvernement a décaissé plus de 115 milliards de FC pour le paiement des factures de fourniture d’eau et d’électricité au bénéfice des institutions publiques, entreprises et services de l’État. Ces dépenses ont, en effet, été exécutées à plus de 1.250 % de leurs prévisions, selon ce service spécialisé du ministère du Budget. Le rapport de la Direction de préparation et de suivi du budget qui remonte au début du second quadrimestre 2017, note, en effet, que le gouvernement n’a disposé que 20.7 milliards de francs, en raison de 11,6 milliards pour la consommation d’eau courante et un peu plus de 9 milliards de francs pour le courant électrique.
Mais le gouvernement débourse 38,9 milliards de francs au bénéfice de la REGIDESO SA, soit 335,2 % des prévisions et 74,6 milliards de francs pour la Société nationale de l’électricité, soit une exécution de 820 % par rapport aux prévisions. La facture se gave davantage quand on y ajoute la rubrique « Fournitures énergétiques » reprises dans les charges communes de l’État, pour plus de 2,3 milliards de francs. Selon cet agent de la REGIDESO SA, outre les institutions publiques et leurs animateurs, l’État prend également en charge la consommation des anciens et nouveaux officiers généraux des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), des anciens 1ER Ministres, etc. Cela vaut autant pour la SNEL SA. Naturellement, la facture devient davantage salace.
Investissements extérieurs
Il y a encore quelques années, la BAD, dans le souci de redresser les finances publiques de la RDC, s’était engagée à payer les factures d’eau et de courant de l’État. Pour autant, le gouvernement n’a ni fait des économies ni rationnalisé sa consommation énergétique. La question a été effleurée à l’Assemblée nationale, en faveur de la reddition des comptes de l’exercice 2014, où les députés ont le plus déploré la gestion des télécommunications des animateurs des institutions publiques, singulièrement le gouvernement.
D’aucuns auraient fait bénéficier des avantages leur accordés par l’État même à des amies et connaissances. Pourtant, de l’avis de cet expert du ministère du Budget, « avec un peu de discipline, éteindre les lampes quand on sort du bureau, ne pas laisser le robinet ouvert même quand l’eau ne coule pas… l’État peut faire des économies d’au moins 50 millions de dollars sur ses factures de REGIDESO et de SNEL ». Hélas, la création de nouvelles institutions politiques, de portefeuilles ministériels, etc., laisse entrevoir plutôt un haussement des factures de consommation d’eau et de courant de l’État au terme de l’exercice 2017.
Toutefois, le gouvernement attend de la même BAD un investissement d’environ 350 milliards de francs pour le projet d’appui au développement du site d’Inga et de l’accès à l’électricité. Les observateurs s’interrogent encore sur des précédents financements dont Inga I et II ont été bénéficiaires, notamment à travers les projets EDIRA, PMEDE et SAPMP d’une valeur de plus de 1,2 milliards de dollars essentiellement déboursés par la Banque mondiale. Aussi la reddition des comptes de l‘exercice budgétaire 2016 permettrait, peut-être, au Parlement de faire la lumière sur l’affectation, en ressources propres, d’une bagatelle somme de plus de 15 milliards de francs en vue du renforcement des capacités d’Inga I et Inga II.
Le secteur énergétique, eau et électricité, a apporté en 2016 plus de 2 milliards de francs, soit plus 2 millions de dollars. Selon la Direction générale des recettes administratives, domaniales, judiciaires et des participations (DGRAD), ces recettes sont largement au-delà des assignations. Et pour 2017, le ministère de l’Énergie et des Ressources hydrauliques comptait percevoir plus de 25.5 milliards de francs et, pour 2018, un peu plus de 20 milliards non sans l’apport de la SNEL SA et de la REGIDESO SA.
Cependant, les experts sont d’avis que l’État gagnerait plus dans le secteur de l’eau et de l’électricité en rationnalisant la consommation des institutions publiques. Cependant, dans l’opinion, singulièrement à Kinshasa, les services rendus ces six derniers mois par la SNEL SA et la REGIDESO SA laissent à désirer. Dans les communes périphériques de la capitale, l’eau revêt véritablement sa connotation d’or … bleu, tant elle est si rare. Alors qu’il est des quartiers entiers dans des communes comme Ngiri-Ngiri, Matete, Ngaliema, Ngaba qui passent des semaines entières sans courant.