DÉCRIÉ sous plusieurs cieux, accusé de nombreuses malversations, le Malien Sidi Mohamed Kagnassi continue de réussir, contre toute attente, à se réinventer. Patron d’un empire africain du coton, représentant d’entreprises occidentales ou conseiller de chef d’État, l’homme a toujours été mêlé à des affaires controversées, sans que rien ne réussisse jamais à réellement l’atteindre.
À quelques contretemps près, l’homme d’affaires Sidi Mohammed Kagnassi aurait pu se trouver à Sotchi, aux côtés du président ivoirien Alassane Ouattara. En effet, selon le média Africa Intelligence, le chef d’État aurait invité le Malien à se joindre à sa délégation pour le tout premier sommet Russie-Afrique. Sidi Mohamed Kagnassi n’a cependant pas répondu présent à l’invitation du président ivoirien.
L’homme aux mille et un scandales
L’homme d’affaires, blanchi il y a seulement quelques jours d’une affaire datant de 2014, a-t-il préféré attendre un moment plus propice pour apparaître à nouveau dans un évènement de cette envergure ? Rien n’est moins sûr, tant le Malien a toujours réussi, malgré les nombreux scandales qui ont marqué son parcours, à se faire apprécier dans les cercles des pouvoirs africains.
Partout où il est passé, Sidi Mohamed Kagnassi a laissé une réputation d’homme d’affaires sulfureux. En Côte d’Ivoire, il est accusé des malversations financières dans l’indemnisation des victimes du Probo-Koala, le bateau néerlandais ayant déversé, en 2006, des déchets toxiques. Cela ne l’empêche pas de rester à Abidjan où il sert d’intermédiaire pour la société Sagem, spécialiste français de la biométrie. Il remportera d’ailleurs pour le compte de cette entreprise des contrats, en Côte d’Ivoire et au Mali, qui alimenteront sa réputation d’homme d’affaires sulfureux.
En Côte d’Ivoire, Sidi Mohamed Kagnassi obtient que Sagem s’occupe de l’identification des électeurs et de la réalisation de la liste électorale pour les élections présidentielles de 2010. Négocié à 50 milliards de francs CFA, le contrat finira par coûter 150 milliards à l’État ivoirien, faisant du scrutin de 2010 un des plus chers de l’histoire de la planète.
Au Mali, Sagem, toujours représenté par Sidi Mohammed Kagnassi, réalise 895 156 cartes d’électeurs de plus que le nombre de citoyens en âge de voter pour les élections de 2013. Très peu de temps après son élection, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta fait du représentant de Sagem son conseiller spécial.
« L’année dernière, il est l’objet d’une enquête du parquet financier français pour ‘biens mal acquis’. Jusque-là, cette affaire ne lui a encore causé aucun ennui. Semblant toujours retomber sur ses pieds, Sidi Mohamed Kagnassi est un chat qui a neuf vies, capable de se relever des déconvenues les plus inimaginables. »
Sidi Mohamed Kagnassi finira par quitter ce poste, à nouveau dans la controverse, à cause de soupçons de surfacturation dans une vente d’armes aux autorités maliennes par des sociétés françaises. Forcé de démissionner, il ne perd pas de temps pour retourner en Côte d’Ivoire où il décroche dans la foulée un contrat pour Sagem, devenu Morpho, qui sera chargé de l’organisation des élections de 2016.
Le prince déchu du coton malien
L’année dernière, il est l’objet d’une enquête du parquet financier français pour « biens mal acquis ». Jusque-là, cette affaire ne lui a encore causé aucun ennui. Semblant toujours retomber sur ses pieds, Sidi Mohamed Kagnassi est un chat qui a neuf vies, capable de se relever des déconvenues les plus inimaginables. Pour beaucoup, cela n’a rien d’étonnant quand on connaît l’ascendance du Malien.
Sidi Mohamed Kagnassi est né à Bamako, au Mali, en 1967. Son père est le richissime Cheikna Kagnassi. Ce dernier fonde, durant l’année de la naissance de son fils, l`Aiglon, sa multinationale à capitaux 100 % africains, dont l’activité est basée sur le commerce et le négoce de coton. Après avoir achevé des études qui le voient décrocher, à la Haute École de Commerce de Genève, une maîtrise en science et une formation aux USA, il s’essaie, notamment en Guinée-Bissau et au Bénin, à la gestion d’une partie des affaires familiales. Il sera jeté dans le grand bain en 1990, lorsqu’il est envoyé par son père en Côte d’Ivoire pour y gérer les affaires de la famille.
Sidi Mohamed Kagnassi prend alors les rênes de Karité SA, une entreprise spécialisée dans le négoce de café-cacao. Assez rapidement, le jeune héritier se crée un carnet d’adresses à toute épreuve, capable de lui permettre de débloquer n’importe quelle situation sur les bords de la lagune Ebrié. C’est durant cette période qu’il rencontre Vincent Bolloré.
Quelques années seulement après l’arrivée de Sidi Mohamed Kagnassi en Côte d’Ivoire, il lance avec Vincent Bolloré la compagnie cotonnière de Côte d’Ivoire (LCCI), détenue à 20 % par le Français et à 80 % par le père de son partenaire malien. Pour y parvenir, les deux partenaires profitent de la privatisation partielle de la Compagnie ivoirienne pour le développement du textile (CIDT), dont ils rachètent un tiers.
L’entreprise devient rapidement ce qui se fait de mieux sur le territoire ivoirien en termes d’exploitation et de négoce de coton. Suivant la dynamique des bons résultats de la LCCI, Sidi Mohammed Kagnassi prend la tête de toutes les entreprises affiliées à l’Aiglon sur le territoire ivoirien. Ainsi, à Karité SA et à la LCCI, il ajoute Palm Afrique, qui s’occupe d’exploiter l’huile de palme, Trituraf, qui fait pareil pour l’huile de coton et la Versus Bank.
Assez rapidement, la filiale ivoirienne de l’Aiglon voit son personnel monter à 2 600 personnes qui permettent de générer un chiffre d’affaires cumulé d’environ 100 milliards de francs CFA. Tout semble marcher comme sur des roulettes, jusqu’à ce que la crise de 2002 vienne s’en mêler. Soupçonnée par l’administration Gbagbo de financer la rébellion, la LCCI est lâchée par le gouvernement. L’entreprise fait l’erreur de se mettre à dos la principale organisation des producteurs du pays en achetant directement le coton chez des planteurs. Malgré tout, les dettes s’accumulent. Les producteurs, puis les planteurs, mesurant l’ampleur des problèmes financiers de la LCCI préfèrent vendre ailleurs. Finalement, en 2005, Sidi Mohammed Kagnassi ne peut plus payer les travailleurs de la LCCI qui entrent en grève. En 2007, plombé par la LCCI, l’Aiglon fait faillite.
Un expert de la reconversion
Déchu de son titre de prince du coton, Sidi Mohamed Kagnassi se reconvertit rapidement, grâce à son carnet d’adresses. Il devient le représentant de Sagem en Afrique de l’Ouest.
Il remporte pour son entreprise le contrat de réalisation de la liste électorale pour le tristement célèbre scrutin de 2010. L’année suivante, il change à nouveau de casquette pour remporter un contrat de rénovation des universités de Côte d’Ivoire. Alors qu’il n’a pas encore, au moment où il remporte le contrat, d’entreprise de bâtiment et travaux publics, il est désigné pour exécuter le contrat de rénovation des universités ivoiriennes, pour environ 70 milliards de francs CFA.
Dans le même temps, il continue de prospecter pour Sagem et remporte pour l’entreprise le contrat de conception des cartes électorales biométriques. Cet épisode lui permet de faire une transition vers une carrière politique, qui sera de courte durée. Choisi comme conseiller spécial d’Ibrahim Boubacar Keïta, proche de sa famille, il devra pourtant quitter le Mali assez rapidement après des soupçons de facturation dans le cadre d’un contrat de vente d’armes pour lequel il aurait servi d’intermédiaire.
Depuis 2016, année durant laquelle Sagem, devenue Morpho, a géré le fichier électoral des élections, Sidi Mohamed Kagnassi est un peu moins présent sur le devant de la scène. Malgré tout, son nom est parfois cité dans des scandales où finalement personne n’arrive vraiment à prouver sa culpabilité. Personne ne semble, pour l’instant, en mesure de perturber la quiétude de Sidi Mohamed Kagnassi.