La Communauté de développement des États de l’Afrique australe (SADC), dont la République démocratique du Congo est d’ailleurs membre, a dans les tiroirs un projet de transfèrement des eaux de RDC. Cependant, le pays au centre des convoitises, n’y a pas été associé et ignore tout de ce projet. C’est quand même curieux. En le révélant quelques jours avant la tenue de la Commission Climat du Bassin du Congo dimanche 29 avril, à Brazzaville, le ministre de l’Environnement et du Développement durable, Ahmy Ambatobe, a-t-il mesuré la portée de ses propos ? Il y a vraiment un problème !
La RDC n’a pas signé le Protocole de Brazzaville instituant la Commission Climat du Bassin du Congo et du Fonds bleu. Comme pour marquer sa désapprobation à la problématique du transfèrement des eaux de la RDC, notamment celles de l’Ubangi vers le lac Tchad, ainsi que sur la gestion commune des tourbières. Ce protocole a été signé par les chefs d’État africains qui se sont rendus dans la capitale de la République du Congo.
Le fonds bleu est une initiative qui vise à renforcer l’approche écosystémique de gestion intégrée du massif forestier et des eaux du Bassin du Congo. Zone géographique couverte qui comprend plusieurs bassins hydrographiques et d’importantes zones côtières. Le Fonds bleu devrait permettre de subventionner des projets qui permettront de préserver cette région, à hauteur de 100 millions d’euros chaque année. La RDC a émis des réserves, vendredi 27 avril, sur le quota que chaque pays devra recevoir, dans le cadre de ce fonds. Les tourbières jouent le même rôle que les arbres. La RDC possède plus de deux tiers des réserves des tourbières du monde entier. Cette découverte, selon le ministre de l’Environnement de la RDC, devrait être prise en compte dans la répartition du quota à accorder aux pays, dans le cadre du Fonds bleu.
To be or not to be
« Quand on parle du Bassin du Congo, c’est d’abord la République démocratique du Congo. Les 90 % des forêts et les 90 % des eaux, c’est d’abord la République démocratique du Congo », a affirmé le vice-1ER Ministre et ministre des Transports et des Voies des communications, José Makila Sumanda, qui a représenté le chef de l’État, Joseph Kabila Kabange, à Brazzaville. « Il y a eu des discours qui ne nous ont pas plu. Moi je ne suis pas diplomate, je dis les choses telles qu’elles sont, mais on ne saura rien faire sans que la République démocratique du Congo puisse mettre du sien dedans puisqu’après tout nous avons 90 % », a-t-il déclaré.
Mais d’où vient que le géant Congo soit considéré comme un État lilliputien, un théâtre plutôt qu’un acteur, un enjeu plutôt qu’un joueur, un complément plutôt qu’un sujet des relations internationales même dans des rencontres régionales ? La question du transfèrement des eaux de la RDC rappelle la Conférence de Berlin de 1885 où tout se décida sur le Congo sans les Congolais. Que ce soit à Bologne (Italie) ou à Paris où se réunissent experts et délégués des États du Bassin du lac Tchad sur la question du transfèrement des eaux de la rivière Ubangi vers le lac Tchad qui s’est asséché de 25 000 km² (en 1964) à 2 500 km² (en 2014).
Mais depuis quelque temps, selon le député Patrick Mayombe, un certain Kalele, dirigeant d’une ONG, résident à Kisantu, se paie la liberté de poser sa signature sur des textes inhérents à la question au nom de la RDC ! Homme politique, altermondialiste et sociologue suisse, le professeur Jean Ziegler était rapporteur spécial auprès de l’ONU sur la question du droit à l’alimentation dans le monde au temps fort de la deuxième guerre d’agression de la RDC, quand il a entendu parler dans les couloirs de la Banque mondiale d’un concept nouveau sur le Congo (?) : « peuple non rentable ». Selon les explications de Ziegler, un peuple qui n’arrive pas à s’adapter à la nouvelle dynamique mondiale se verrait ainsi déposséder de toutes les ressources dont le nouvel ordre mondial a besoin pour l’épanouissement de la Terre. « Ce que vous appelez brousse, d’un ton péjoratif, les autres s’en exalteraient en disant végétation ». C’est un officier de l’alors Mission de l’ONU au Congo (MONUC) qui s’est muée en Mission de l’ONU pour la stabilisation du Congo (MONUSCO), qui le disait à un groupe de journalistes congolais lorsque les premiers Mbororos – pasteurs nomades musulmans venus de la région du lac Tchad – pénétraient le pays des Uele.
« République des Inconscients »
Dans l’ancien empire français d’Afrique, qui part de Congo Brazzaville au Tchad, l’on aime à rappeler cet adage du colonisateur selon lequel « la terre appartient à celui qui sait la rendre utile ». Il appert qu’en RDC, on laisse, sans souci, couler l’eau, du pied de Mitwaba à l’embouchure de Banana.
« Si l’eau c’est la vie et que la vie n’a pas de prix, alors que ceux qui nous gèrent n’ont pas encore pris la mesure du suicide collectif qui nous guette », a fait comprendre le sénateur Modeste Mutinga Mutuishayi dans un livre-coup-de-gueule, « La République des Inconscients ». Naguère 1ER rapporteur du Sénat pour le compte de la Majorité présidentielle (MP), il est passé à l’opposition.
À l’Assemblée nationale, une élue de l’opposition (MLC de Jean-Pierre Bemba), Eve Bazaïba, dénonce « un complot international ourdi contre le pays, avec des complicités internes! ». Une cellule d’éveil et de veille sur la gestion des eaux de la RDC avait été créée à l’Assemblée nationale, le 16 avril 2014. Composée d’une dizaine de députés dont Eve Bazaïba et Roger Panano, elle n’a jamais rendu son rapport. À la suite d’une question orale posée au ministre de l’Environnement, début avril, sur le transfèrement des eaux de l’Ubangi, Bazaïba a déclaré que « la RDC avait donné son accord depuis 2005, à travers les signatures conjointes des présidents Joseph Kabila pour la RDC, Idris Deby pour le Tchad et François Bozizé pour la RCA ». Des propos qui ont fait tressauter l’hémicycle. Et la députée de demander au ministre Ambatobe de rendre public ledit accord. D’après elle, le président tchadien a déclaré suite au tollé que l’accord avait provoqué en RDC : « Si le Congo ne veut pas nous donner de l’eau, nous serons obligés d’aller la prendre d’une manière ou d’une autre ».
Dieu seul sait où le Tchad ne serait pas allé après l’invasion de la Centrafrique sous le couvert des rebelles de la Seleka. Dans la sous-région, on le sait, une crise appelle une autre. En 1996, ce qui n’était qu’une revendication identitaire des Banyamulenge dans l’Est de la RDC s’est transformé en une « guerre mondiale » africaine dont les effets néfastes sont loin de s’atténuer près de 20 ans après. Sans fioritures ni circonvolution phraséologique diplomatique, Nicolas Sarkozy, alors chef de l’État français, recommandera à Kinshasa d’ouvrir la gestion de ses ressources naturelles de l’Est aux États voisins. Car la gestion des Congolais était plutôt étrange.
En d’autres termes, « peuple non rentable ». Quoique repris noir sur le blanc dans la charte de l’Union africaine, le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation est tombé en désuétude avec la création de l’Erythrée… et du Soudan du Sud, à la lisière de la RDC. Dans la région, le budget militaire de différents États est réparti au galop, atteignant parfois une dizaine de milliards de dollars. Tel que celui du Nigeria qui a abrité la dernière réunion sur le projet Transaqua sur le transfèrement des eaux de l’Ubangi vers le lac Tchad. Les Forces armées de la RDC (FARDC) ont lancé, il y a peu, une campagne de recrutement, tambours battants.