POUR L’ANECDOTE. Un après-midi de dimanche, en ce mois de février très ensoleillé à Kinshasa, je sers de guide à un confrère, Blanc, venu du Canada pour réaliser une série de reportages après l’élection de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, comme président de la République démocratique du Congo. C’est pour la première fois qu’il séjourne au pays, et cela saute aux yeux à chaque fois qu’il se promène dans les rues de Kinshasa.
Ce jour-là, nous avons rendez-vous avec un homme politique qui habite dans le haut quartier – au propre comme au figuré – de MaCampagne dans la commune de Ngaliema. C’est ici qu’habite la jet set de la capitale, voire du pays, même si le quartier Mont Fleury lui a ravi la vedette en devenant le Neuilly kinois depuis quelques années. À bord du taxi qui nous y amène, pris en mode « Express » (comme on dit à Kinshasa), le confrère est assis devant, à côté du conducteur. Et moi, à l’arrière, juste derrière le conducteur. Personne ne parle à personne pendant environ une minute. Puis le taximan, la quarantaine révolue, brise la glace, s’adressant au confrère : « Dites-moi, Monsieur, d’où venez-vous ? Apparemment, c’est pour la première fois que vous visitez la RDC ? »
Avant de lui répondre, le confrère jette vers moi un rapide regard furtif, comme pour me demander si on n’a pas à faire avec un informateur de services. Je saisis son message car on nous a appris en journalisme que souvent, les taximen, serveurs au bar ou au restaurant, cireurs, hommes ou femmes de chambre à l’hôtel ou de ménage, sentinelles… constituent dans bien des cas de précieuses sources d’information pour le journaliste, autant ils le sont pour renseigner les services. « Détends-toi », lui dis-je.
Puis, il répond au taximan : « Je viens de Montréal au Canada. » « Ah, c’est un beau pays dont je rêve depuis mon enfance parce que, dit-on, il y fait bon vivre », réagit le conducteur. Et le confrère de lui reprendre l’initiative de poser les questions : « Être chauffeur de taxi à Kinshasa, c’est un business qui marche ? » « Oh, business, vous dites… Il n’y a qu’un seul business qui marche dans ce pays », réagit le taximan, comme piqué par une abeille. « Quel business ? », lui demande le confrère. « Ah, je vois que vous ne vivez pas ici… Le seul business qui marche au Congo, c’est la politique ! », tranche dans le vif le taximan.
Et d’ajouter : « Quand ils ne sont pas encore au pouvoir, les politiciens sont très sympas avec la population. Et le coup d’après, dès qu’ils sont à la mangeoire, ils deviennent arrogants et insouciants à l’égard de la même population dont ils se sont servis comme marchepied. Il y a donc une cassure entre le Congo d’en haut et le Congo d’en bas. Mon grand-père me disait souvent que l’argent enorgueillit celui qui le possède. Je lui donne raison. Président, ministres, députés, gouverneurs, bourgmestres, PDG, généraux, etc., tous, s’enrichissent rapidement et facilement à la barbe de la population, en toute impunité, comme dans un film. Ils s’enorgueillissent de maisons qu’ils construisent, de véhicules 4×4 confortables qu’ils acquièrent… Dites-moi, connaissez-vous un Congolais qui soit arrivé au pouvoir, à quel que niveau que ça soit, et qui en soit sorti pauvre ? Peut-être Mzee Kabila ? »
Un sentiment profond
Loin d’être une simple vue de l’esprit, la perception de la politique et de politiciens congolais par notre interlocuteur occasionnel reflète un sentiment profond du Congolais lambda. Aujourd’hui, reconnaît l’homme politique avec lequel on avait rendez-vous chez lui à MaCampagne, la fonction présidentielle et/ou ministérielle, voire tout autre fonction politique, est faite d’amour ou de haine (selon de quel côté où l’on se trouve) entre les populations et leurs gouvernants.
Aujourd’hui, les Congolais, dans leur majorité, ont mis en tête que leur classe politique est « médiocre », pour reprendre l’expression de Laurent cardinal Monsengwo Pasinya.
Le même, qui connaît bien tous les hommes politiques congolais ou presque, pour avoir dirigé la Conférence nationale souveraine dans les années 1990. « Tous pourris, ils ne se soucient pas du peuple », râle une mère de 8 enfants. « On ne peut pas dire que les Congolais manquent de talent ou l’ont moins. Non. La société congolaise est assurément très complexe, mais je ne crois pas que tout dépende du courage. Il en faut, bien sûr, mais la politique est d’abord un métier d’art, comme le disait un politique français », fait remarquer notre hôte de MaCampagne.
La République … maudite ?
La RDC est-elle ingérable du fait non pas de la complexité de sa société mais de la médiocrité de sa classe politique ? « C’est vrai que les politiciens congolais ont poussé plus loin leurs egos. L’ego, c’est le premier destructeur de valeur dans la société, et donc de cohésion sociale et solidarité nationale. Si on ne se ressaisit pas maintenant pour ressouder la cohésion sociale et la solidarité nationale qui y est liée, alors on bloque l’avenir de ce pays et on recule », pose-t-il.
L’opportunisme et l’aventurisme en politique sont devenus deux concepts dangereux en RDC, fait remarquer un professeur d’université. « Dans le vouloir vivre en commun, il faut savoir partager les bons moments mais aussi les mauvais. Or ce n’est pas ce que nous vivons avec nos politiciens. La bonne chair, c’est pour eux seuls, la minorité. Et les os, c’est pour les autres, la majorité », fustige-t-il.
Un rejet agressif
Les élections de décembre 2018 ont montré – raison gardée – le rejet du régime au pouvoir par la population. « En politique comme ailleurs, ne reçoit que celui qui donne. Si vous n’avez pas socialement satisfait aux attentes de la population, n’attendez pas d’être aimé par celle-ci », explique un fonctionnaire de l’État. Quand le confrère lui demande de tous les présidents qu’a connus la RDC quel est celui qui a su établir la meilleure relation avec ses concitoyens. Il répond sans ambages : « C’est évident, pour moi, que c’est Laurent Désiré Kabila. Mzee avait une relation d’estime, de respect réciproque avec les Congolais. Ce fut un vrai soldat du peuple. Mobutu Sese Seko avait la folie de grandeur personnelle, pas pour le pays. Il a détruit tout ce qu’il a trouvé de bon et tout ce que lui-même a bâti de ses propres mains comme l’armée. Joseph Kabila qui a fait le plus long règne après Mobutu, a donné le sentiment de se placer au-dessus des Congolais. D’ailleurs, lui-même a laissé entendre que ce qu’il n’a pas réussi à faire, c’est de transformer (mentalement) l’homme congolais. » Et Joseph Kasa-Vubu ? « Il a souffert de l’aura de Patrice Emery Lumumba, le tout premier 1ER Ministre du Congo, car ils ne partageaient pas la même vision de gestion du pays après l’indépendance ».
Pour nombre de Congolais interrogés, il est encore trop tôt pour juger Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. « Le pauvre, il va payer les pots cassés par les autres… Il doit prendre conscience qu’il est président ! On lui a rappelé ce que son père, Etienne disait : le peuple d’abord. Sinon, il va passer à la trappe », déclare un retraité. Et un autre d’embrayer : « C’est certain qu’il aura un lien, je ne sais pas lequel, avec les Congolais. Mais il faut que ça soit un vrai lien, fondé sur le respect. Etienne Tshisekedi respectait les gens, il savait écouter le peuple.
Le respect du peuple est fonction du quotient démocratique : que demande le peuple ? Chez nos politiciens, c’est l’inverse, et c’est ainsi que les gens sont devenus agressifs, verbalement et physiquement, à l’égard des gouvernants. C’est l’égocentrisme qui est à la base du manque de considération de nos dirigeants. »