Les défis à surmonter pour mettre fin aux flux illicites

Les problèmes sont nombreux. Premièrement, nombre de pays africains ne disposent pas des compétences et des ressources requises (notamment des laboratoires pour vérifier la composition et la qualité des ressources extraites) pour contrôler les informations que leur soumettent les sociétés multinationales.

LES PAYS ont besoin d’améliorer leurs capacités dans ce domaine, parfois avec une aide internationale. Les efforts menés pour améliorer les capacités des administrations nationales en matière de contrôle fiscal, comme ceux de l’initiative des Contrôleurs des impôts sans frontières, se sont heurtés à des obstacles. Dans certains pays, les administrations nationales ont été écartées, tandis que les contrôleurs externes auxquels le projet était confié avaient des conflits d’intérêts (CEA, 2018b).

Deuxièmement, en raison de la complexité des réseaux de compagnies extraterritoriales qu’utilisent les sociétés multinationales, les faiblesses des exigences sur la communication des informations et les difficultés de les faire respecter risquent de handicaper les efforts de lutte contre le contournement des dispositions fiscales et les flux financiers illicites.

Troisièmement, les flux financiers illicites prennent des formes diverses suivant les caractéristiques de chaque pays. De nombreux fonctionnaires africains ne sont pas au courant de la façon dont ces flux prévalent dans leur contexte national et croient qu’ils sont de faible importance et ont peu de sources. En apprendre plus à ce sujet devrait donc être une priorité (CEA, 2018c).

Quatrièmement, de même qu’au sujet de l’impôt sur les ressources naturelles, il n’y a que peu d’échanges d’information et de coordination au sujet des flux financiers illicites entre les organes gouvernementaux concernés au sein des pays et entre eux. La coordination serait un moyen relativement peu coûteux et cependant extrêmement efficace de lutter contre les flux financiers illicites (CEA, 2018b, 2018c ; Institute for Austrian and International Tax Law, non daté).

Initiatives de lutte 

Le Rapport de l’OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices (BEPS) contient un plan d’action en 15 points pour doter les gouvernements des instruments nationaux et internationaux dont ils ont besoin pour combattre ce fléau (OCDE, 2014). Selon ce rapport, il y aurait besoin d’une plus grande transparence et de meilleures données pour détecter et stopper les divergences entre les profits réalisés et ceux déclarés aux fins fiscales. Ce rapport de l’OCDE (en particulier les mesures relatives aux prix de transfert, à la création de valeur et aux déclarations pays par pays) peut offrir aux pays d’Afrique un point de départ pour lutter contre les manipulations des prix de transfert.

Les déclarations pays par pays sont un outil de profilage des risques qui peut servir à signaler les disparités entre les endroits où ont lieu les activités économiques des sociétés multinationales et ceux où elles paient leurs impôts (OCDE, 2014). Les autres priorités de la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices, comme les incitations fiscales non stratégiques, la gouvernance des administrations fiscales et la surenchère fiscale, ne figurent pas dans le rapport de l’OCDE. 

Par exemple la « sixième méthode », dont l’Argentine a été à la pointe de l’utilisation réussie, exige que les prix des produits de base échangés au sein d’un groupe multinational soient fixés suivant les prix cotés en bourse pour simplifier l’administration des prix de transfert et régler les différends (Grondona, 2018). Une autre méthode de prévention de la manipulation des prix de transfert qui ne figure pas dans les actions de l’OCDE est le recours aux prix administrés, au moyen desquels il appartient à l’administration fiscale, plutôt qu’au contribuable, de déterminer la valeur d’un produit. Avec cette méthode, le fardeau de la preuve est passé au contribuable et il n’incombe plus à l’administration fiscale de déterminer si les ventes entre parties connexes se font bien en pleine concurrence (voir Durst, 2016 et Readhead, 2018). 

Si les actions BEPS de l’OCDE peuvent être un bon point de départ pour permettre aux pays d’Afrique de réduire l’érosion de leur base d’imposition et le transfert des bénéfices, certaines des solutions proposées risquent d’être difficiles à mettre en œuvre. Imposer les multinationales sur les revenus de leurs succursales ou filiales locales est intrinsèquement vulnérable à la manipulation des bénéfices, même avec les actions BEPS de l’OCDE. Et la manipulation des déclarations des revenus ou des dépenses des sociétés a des effets relativement plus importants sur les revenus des sociétés et les impôts sur les revenus que les redevances (Durst, 2016).

Pour les impôts sur les revenus des sociétés en particulier, les multinationales peuvent utiliser les prix de transfert des intrants qu’elles importent, les prêts intra-compagnies et autres techniques pour manipuler les profits et réduire leurs revenus imposables. Le principe de la pleine concurrence peut être difficile à mettre en application pour déterminer les prix des biens et services échangés au sein d’un groupe multinational. Les administrations fiscales ont du mal à obtenir des renseignements sur des transactions comparables entre des parties indépendantes et sur les conditions des marchés au moment de la transaction. [le paragraphe 1 de l’Article 9 du Modèle de Convention de l’OCDE sur la double imposition concernant le revenu et la fortune est le point de départ du principe de pleine concurrence qui forme la base de toutes les conventions fiscales bilatéraux entre des pays membres de l’OCDE et entre un nombre toujours plus grand de pays qui n’en sont pas membres. Voir aussi Avi-Yonah et Tinhaga (2017)]. En Afrique en particulier, il n’est pas facile d’obtenir des renseignements sur des transactions comparables. Et dans le cas des services ou biens intangibles, qui commencent à dominer les transactions économiques et peuvent être spécifiques aux entreprises en question, il se peut que des transactions comparables n’existent simplement pas du tout (Chen et al., 2017 ; Pagano, 2014, cité dans Durand et Milberg, 2018). De plus, même lorsque l’on trouve des transactions comparables, pour pouvoir vraiment les comparer, il faut les ajuster en tenant compte des différences des circonstances des transactions, à savoir les différences entre les produits, les qualités, les conjonctures économiques et les situations géographiques. 

Du fait de la rareté d’informations fiables, les administrations fiscales, en particulier celles des pays en développement, ont du mal à appliquer le principe de pleine concurrence. La difficulté est aggravée pour des raisons de timing, puisque les administrations fiscales examinent habituellement les déclarations des contribuables longtemps après que les transactions aient eu lieu. Les administrations fiscales sont ainsi désavantagées lorsqu’elles veulent contester des prix de transfert, ce qui permet aux sociétés multinationales de manipuler les transactions intra-compagnies et, ainsi, transférer leurs profits (voir OCDE, 2010 ; Faccio et Fitzgerald, 2018).