Le « vieux Bob » humait déjà l’air frais et paisible de la retraite politique jusqu’au moment où la commission parlementaire des mines et de l’énergie du Zimbabwe décide de le faire convoquer devant le Parlement pour rendre des comptes. C’est un précédent après le départ forcé du pouvoir de Robert Mugabe, même si l’ex-chef de l’État n’est invité à s’expliquer qu’en tant que « simple témoin ». Les députés zimbabwéens veulent l’interroger sur des propos tenus il y a deux ans, dans lesquels il regrettait que son pays ait perdu des milliards de dollars à cause de la corruption et de l’évasion des capitaux pratiquées par les compagnies minières étrangères. Depuis des années, les organisations de lutte anticorruption dénoncent le détournement des revenus miniers par des sociétés étrangères, mais également par des hauts dignitaires du parti au pouvoir.
Il n’est pas encore clair si Robert Mugabe a pour obligation de se rendre à cette convocation. Mais pour les analystes politiques, le simple fait de le convoquer est une première. Et indique une coupure avec le passé, ainsi qu’une volonté à plus de transparence et de responsabilité. Ce comité en charge des mines et de l’énergie a été particulièrement actif ces derniers mois, depuis le départ de Robert Mugabe, convoquant plusieurs anciens ministres, chefs de la police et haut responsable de l’administration.
Instrument de répression
Selon des ONG de lutte anticorruption, les dirigeants zimbabwéens ont détourné pendant des années les profits tirés de l’exploitation du diamant pour financer la répression de leurs adversaires politiques malgré les sanctions de la communauté internationale.
« Des entreprises détenues par la très redoutée agence de renseignement, l’armée du Zimbabwe ou le gouvernement lui-même ont délibérément dissimulé leurs comptes et leurs opérations », a souvent accusé Global Witness. D’après cette ONG de lutte contre la corruption, les services secrets zimbabwéens (Organisation centrale de renseignement, CIO) ont ainsi détenu discrètement une partie du capital d’une entreprise qui extrait des diamants dans la mine de Marange (Est).
Des documents jusque-là tenus secrets suggèrent que des pierres produites par cette entreprise, Kusena Diamonds, ont été vendues à Anvers et à Dubaï et ont servi à financer les services de sécurité du pays, affirme un rapport de Global Witness. L’ONG cite le cas d’une autre entreprise un temps détenue pour partie par l’armée qui a, elle aussi, vendu des diamants en violations de sanctions imposées par l’Union européenne (UE) en riposte à la répression de l’opposition. « Des éléments de la CIO et de l’armée sont étroitement mêlés à la lutte contre l’opposition politique et à de nombreux cas de violations des droits de l’homme », selon Global Witness.
Robert Mugabe a dirigé le Zimbabwe d’une main de fer depuis son indépendance en 1980. Le pays traverse, depuis une funeste réforme agraire engagée au début des années 2000, une grave crise économique et financière qui nourrit la colère de la population. Le Zimbabwe n’a jamais publié des statistiques jugées crédibles de ses activités diamantifères, qui ont débuté en 2006. En 2013, un rapport parlementaire avait fait état de « sérieuses différences entre les bénéfices tirés par le gouvernement de ces activités et les revenus que les compagnies minières du secteur ont assuré avoir versé au Trésor ».
En 2012 déjà, Global Witness avait affirmé que la CIO avait reçu 100 millions de dollars et une flotte de 200 véhicules de la part d’un homme d’affaires établi à Hong Kong en échange de diamants vendus hors des circuits officiels. « Une découverte riche de tant de promesses pour la population du Zimbabwe n’a suscité que la déception en ne servant qu’à des intérêts politiques et économiques personnels », a déploré Michael Gibb, de Global Witness.
L’Union européenne (UE) a suspendu en 2013 la plupart des sanctions imposées en 2002 au Zimbabwe pour protester contre la violence politique, notamment l’embargo pesant sur la Zimbabwe Mining Development Corporation (ZMDC), l’entité chargée de la commercialisation des diamants.
L’État complice
Le constat est amer. La population du Zimbabwe a été victime d’un coup monté par une poignée de hauts placés politiques et militaires. Alors que la majorité de la population du Zimbabwe vit toujours sous le seuil de pauvreté, les caisses de l’État n’ont reçu qu’une infime portion des milliards de dollars sortis en pierres précieuses du Marange.
La perte pour les citoyens du Zimbabwe n’est pas seulement une question de développement. Le système démocratique lui-même est mis à mal par l’argent des diamants. Les carats du Marange forment en effet une source de financement opaque et parallèle dans laquelle les forces de sécurité s’approvisionnent avec la complicité du pouvoir. Comment croire dans ce cas à un contrôle démocratique des services de sécurité ? Et que penser de leur neutralité lorsque le gouvernement leur facilite le terrain en les laissant se servir dans les mines ?
De nombreux diamants originaires du Marange sont exportés vers les marchés internationaux. La communauté internationale a donc un rôle central à jouer. Grosse importatrice de diamants, l’UE a pris le devant sur cette question.
Au vu des violences commises à l’encontre des critiques du gouvernement et de certaines lois répressives, l’UE a maintenu des sanctions économiques à l’encontre du président Mugabé, de sa femme Grace et l’entreprise Zimbabwe Defence Industries, liée aux militaires.