Les Esprits de mort refusent de mourir

Personne ne connait leur nombre exact. Pourtant, ils font partie du paysage kinois, pour le meilleur et pour le pire. Face aux changements promis et à leur mort annoncée, un tentent un baroud d’honneur.

 

Si on les retrouve particulièrement à Kinshasa, les taxis-bus pullulent dans beaucoup de villes du pays. Mais, quel est leur nombre, bien malin qui pourra le dire. Un cadre de la Direction générale des impôts (DGI), dans la capitale parle, sans plus de précision, de 50 000 véhicules immatriculés depuis 2012. Au ministère des Transports et Voies des communications, la question paraît embarrassante au point que tous les curieux sont orientés vers un conseiller qui est « régulièrement en réunion en dehors du cabinet ». Peu importe. Les taxi-bus continuent de sillonner les principales artères de Kinshasa. On en voit de toutes les marques : VW, Toyota Hiace, Ford, Mitsubishi et, bien sûr, Mercedes. C’est des usines de ce constructeur que sont sortis les fameux modèles 207, 208 et 307 qui roulent à tombeau ouvert et que les Kinois ont surnommés « Esprits de mort » au regard du nombre impressionnant de décès qu’ils provoquent sur les routes. Entre 2011 et 2012, on a dénombré dans la capitale plus de 4 000 accidents, dont 444 mortels, soit près de 40 décès par mois occasionnés par les Mercedes 207 et compagnie. Parmi les causes de ces accidents, des études de la Commission nationale de prévention routière indiquent que 90 % sont imputés à l’homme et seuls 10 % sont dus à l’état technique des véhicules et à l’environnement.

Un pourcentage insignifiant de véhicules neufs

En RDC, pays à faible revenu, on dénombre à peine 5 % de véhicules neufs. Le reste est composé d’occasions qui sont dans un état de délabrement très avancé. Tel est le cas des minibus, bus et taxis à Kinshasa et dans les provinces. Leur âge moyen varie entre 15 et 20 ans. « Tous ces véhicules n’ont subi aucun contrôle technique depuis leur arrivée sur le territoire congolais. Leur état normal est « la panne permanente ». Rouler normalement est une exception. C’est alors qu’ils se font remarquer », explique avec humour un policier. Comme se font aussi remarquer les chauffeurs de bus et taxi-bus. A Kinshasa, ils ont entre 20 et 40 ans. La majorité a appris à conduire sur le tas, avant d’obtenir un permis sans avoir subi aucun examen médical préalable, ni passé les tests oraux et pratiques d’usage. Le matin, de bonne heure, ils prennent d’assaut la chaussée, après une nuit fort arrosée dans les gargotes de la ville. Effet d’alcool et d’autres substances hallucinogènes ou pas, les feux de signalisation n’existent pas ou leurs couleurs sont mal interprétées. Les plus lucides se frayent un passage sur les dalles des canalisations. Et n’hésitent pas à dépasser sur la droite pour « dribbler » un concurrent et embarquer le maximum de clients qui, le plus souvent, s’agglutinent aux portières. Un même véhicule peut compter jusqu’à trois chauffeurs qui se passent et repassent le volant au courant de la journée. On se rappellera qu’une autorité urbaine excédée par la recrudescence des cas d’accidents à Kinshasa, en 2011 et 2012, avait même préconisé d’interdire la circulation des bus Mercedes type 207. Ce n’était pas en réalité la marque, ni le type de véhicules qui étaient à la base des accidents, mais bien les chauffeurs.

Pour combattre l’anarchie dans le secteur des transports en commun, le gouvernement a multiplié les initiatives. Une société de transport public, Transport du Congo (Transco) a été créée après les expériences avortées de City Train et STUC. Créées respectivement en 1989 et 2006, ces deux entreprises sont actuellement à l’agonie et la quasi-totalité de leurs bus ne roulent plus. En 2012, elles ont été mises en liquidation dans le but de créer une société publique unique de transport en commun. Les agents soutiennent cependant que comme la liquidation ne s’étant pas réalisée comme prévu, l’Etat doit les relancer et les subventionner. Le 10 juin, ils ont organisé un sit-in devant le Parlement. Les agents estiment que la nouvelle entreprise promise en 2012 devait être créée sur les cendres de STUC et City Train. Selon eux, ils devraient y être automatiquement embauchés. Deux ans après la décision de liquidation de STUC et City Train, ils déplorent le fait qu’une nouvelle entreprise de transport ait été créée sans qu’ils n’y soient embauchés. « On ne peut pas nous abandonner comme ça. Nous avons déjà parlé au ministre. Nous avons organisé un sit-in le 18 septembre 2013 pour nous faire entendre. En retour, le ministre avait promis qu’il allait nous donner du travail », explique un porte-parole du syndicat. A sa création, STUC avait reçu du gouvernement 235 bus. En 2012, seuls 11 roulaient encore. Transco et Transkin (créée par l’Hôtel de ville) assurent le transport public à Kinshasa. Les deux sociétés disposent actuellement de 500 et 200 bus. Transco attend deux mille autre bus avant fin 2016 pour desservir toutes les provinces. L’entreprise bénéficie de l’expertise et de l’assistance de la Régie autonome de transports parisiens (RATP), une firme française expérimentée en matière de transports en commun.

Les besoins en transport

Pour assurer une mobilité maximale dans cette mégapole de 10 millions d’habitants, on évalue les besoins à 2 000 bus et 1 500 taxis, sans compter la contribution des particuliers. Au niveau du gouvernement provincial de Kinshasa, 500 bus sont attendus en raison de 100 par an. Les premiers bus commis au transport en commun ont été mis en circulation pendant l’époque coloniale. Les privés furent les premiers dans le secteur. Les plus connus furent Pipinis et Simba. En 1955, voit le jour Transport en commun de Léopoldville (TCL) – une société d’Etat qui utilisait des bus électriques. TCL est devenu par la suite l’Office de transport en commun du Zaïre (OTCZ). Dans les années 1970-1980, la ville de Kinshasa comptait un nombre important de bus de transport en commun. On trouvait d’un côté, des sociétés étatiques à l’instar de la Société de transport de Kinshasa (STK), Transport en commun Zaïre-Maroc (Tranzam), City Train et, de l’autre des privés tels qu’André Motors (devenu plus tard Auto Service Zaïre), MB (Minimbu Boba), Dilandos, Yengo, etc. A ces bus s’ajoutaient de nombreux taxis.