Les forêts tropicales continuent de payer un lourd tribut

Dans l’ensemble, les chiffres sont bons selon une récente évaluation de la FAO. Cependant, les pertes forestières nettes sont plus élevées en Afrique et en Amérique du Sud. Une étude globale sur les pays est en vue.

L’ÉTUDE de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) met en relief le ralentissement de la déforestation à l’échelle mondiale. Depuis 2015, souligne l’évaluation récente de la FAO, 10 millions d’ha par an sont convertis à d’autres fins. Soit une baisse de 12 millions d’ha par an. L’étude dénombre 4,06 milliards d’ha de forêts à travers le monde, soit 0,52 ha pour chaque personne sur la terre. À retenir : sur une base nette, en prenant également en compte l’extension des forêts, la zone forestière mondiale diminue de 4,7 millions d’ha par an depuis 2010. Près d’un tiers de la surface terrestre mondiale est recouverte des forêts, qui fournissent tout un éventail de matériaux et services tout en contribuant aux moyens d’existence de millions de personnes. 

Atteindre l’ODD n°15

Maria Helena Semedo est la directrice générale adjointe de la division Climat et Ressources naturelles à la FAO. Elle souligne le rôle combien important joué par les forêts pour le climat et la biodiversité : « Nous devons donc travailler plus dur et ensemble, au niveau des secteurs forestiers et agricoles, afin de ralentir la déforestation… Nous sommes ravis d’apprendre que de plus en plus de zones forestières font l’objet de plans de gestion sur le long terme qui sont essentiels en vue d’atteindre l’Objectif de développement durable numéro 15 ». Il est donc tentant de saluer une troisième année consécutive de baisse après le pic de 2016. Sur les 18 dernières années, la tendance globale est toujours à la hausse selon le World Ressources Institute (WRI).

Cependant, cet optimisme mérite d’être relativisé car sur une couverture de 1,11 milliard d’ha de forêts primaires, l’étude de la FAO mentionne que la superficie forestière mondiale a diminué de 178 millions d’ha depuis 1990. Et que l’Afrique et l’Amérique du Sud continuent de payer le lourd tribut, avec des taux plus élevés de pertes forestières nettes, alors qu’en Asie, Océanie et Europe, la superficie forestière augmente. 

Environ 30 % de l’ensemble des forêts est utilisée pour produire des produits ligneux et non ligneux. Les forêts primaires, essentielles pour le climat et la biodiversité, sont particulièrement touchées. Selon des experts, c’est l’équivalent du Nicaragua qui disparaît presque chaque année de la terre. Par exemple, en 2018, le monde a perdu 12 millions d’ha de forêts tropicales, selon le WRI. Parmi elles, 3,64 millions de forêts tropicales primaires. Soit la taille de la Belgique. 

Le rythme de destruction de forêts tropicales primaires inquiète plus particulièrement les experts, car ce sont les forêts qui ont le plus grand impact en termes d’émissions de carbone et de biodiversité. Ces espaces boisés stockent du carbone et abritent une faune et une flore importante.

RDC dans la mire

Par rapport au pic de 2016, les experts étaient particulièrement inquiets du rythme de destruction des forêts primaires en République démocratique du Congo, alors qu’il a ralenti de 63 % en Indonésie. L’Indonésie a bénéficié de mesures gouvernementales et de deux années relativement humides, défavorables aux incendies. Mais avec le phénomène El Nino, les chercheurs redoutent que la donne ait changé en 2019.

Le Brésil est le pays qui a perdu la surface la plus importante de forêts tropicales primaires, devant la RDC et l’Indonésie. En Colombie, la perte de forêt primaire a augmenté de 9 % entre 2017 et 2018, alors que l’accord de paix entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) a contribué à rendre plus accessible certains territoires. Le Ghana et la Côte d’Ivoire ont perdu respectivement 60 % et 26 % des forêts tropicales primaires entre 2017 et 2018. Selon l’ONG Imazon, la déforestation en Amazonie brésilienne a augmenté de 54 % en janvier 2019, et la situation pourrait empirer notamment à cause de l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, le président d’extrême droite.

Dans beaucoup de pays en développement, comme la RDC, la majorité des populations dépendent des cultures, de l’exploitation forestière et d’autres sources de revenus issus de forêts pour leur subsistance. Le Rapport sur l’avenir de l’environnement mondial souligne que l’humanité est d’ores et déjà « gravement touchée » par les changements écologiques systémiques en cours, tels que les changements climatiques et les changements d’affectation des sols, en particulier la déforestation.

Dans la perspective d’une gestion durable des forêts du bassin du Congo, un projet de conservation ambitieux est piloté par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et l’One Planet Summit, en faveur de six pays : le Cameroun, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Guinée équatoriale, le Gabon et la République du Congo. L’objectif est d’assurer l’avenir de l’un des écosystèmes les plus vitaux du monde. Ce programme est doté d’un financement de 63 millions de dollars, destiné à stabiliser la couverture forestière, les tourbières et les populations d’espèces sauvages dans l’ensemble du bassin du Congo.

Qui est un biome (ensemble écologique présentant une très grande homogénéité sur une vaste surface) d’importance mondiale à ne pas perdre. Il n’y a absolument aucun doute sur l’engagement international en faveur de la préservation de ces forêts, et pour aborder les facteurs fondamentaux de la dégradation de l’environnement par le biais de ce projet.

Gouvernance 

S’étendant du Golfe de Guinée à l’Ouest à la vallée du Rift à l’Est, le bassin du Congo est le cœur de la biodiversité africaine. Couvrant 530 millions d’ha répartis dans six pays, il abrite environ 70 % du couvert forestier africain et le cinquième de toutes les espèces vivant sur notre planète. Avec le plus vaste éventail de plantes et d’animaux d’Afrique, les forêts du bassin sont l’habitat de la plus grande population d’éléphants de forêt en voie de disparition et représentent la quasi-totalité de l’aire de répartition du gorille des plaines de l’Ouest, l’ensemble de l’aire de répartition du Bonobo et une grande partie de l’aire de répartition des chimpanzés.

Les forêts sont également essentielles pour atténuer les effets du changement climatique. Des estimations récentes suggèrent que le bassin du Congo séquestre plus de 60 milliards de tonnes de carbone, plus que toutes les forêts tropicales de l’Amazonie et de l’Asie réunies. Alors que le rythme de développement limité dans la région a protégé « passivement » les écosystèmes du bassin du Congo par le passé, les politiques nationales visant l’émergence économique dans les années à venir, une forte dépendance à l’égard de l’exploitation des ressources naturelles et une population en augmentation menacent la durabilité actuelle des 300 millions d’ha de forêts de la région.

Mis en œuvre par l’ONU Environnement, l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN), le Fonds mondial pour la nature (WWF), la Banque mondiale et les gouvernements de ces six pays africains et des États-Unis, avec le soutien financier du Fonds pour l’environnement mondial, le Programme pour des paysages durables dans bassin du Congo (six ans) aborde les causes de la perte et de la dégradation des forêts dans la région. Il vise à créer un environnement plus propice à la gouvernance forestière, à soutenir l’aménagement du territoire, à renforcer la gestion et le financement des aires protégées et à réduire les conséquences de l’utilisation des ressources naturelles par les communautés locales et le secteur privé. 

Ce projet fait partie du programme Impact sur la gestion durable des forêts du Fonds pour l’environnement, dont le but est de transformer le cours du développement et produire de multiples avantages pour la biodiversité, enrayer les changements climatiques et la dégradation des sols en défendant la santé à long terme de trois grands biomes de priorité : paysages des terres arides, de l’Amazone et du bassin du Congo.