Les industriels du bois mettent la pression sur l’État pour couper plus et gagner plus

L’exploitation industrielle forestière peut aller jusqu’à 10 millions de m3 de bois l’an, tout en respectant la norme d’une exploitation durable qui recommande le prélèvement d’un arbre par hectare.

DEPUIS PLUS de 20 ans, le volume de bois produit en République démocratique du Congo est largement en deçà de ses potentialités, soit plus de 145 millions d’hectares de forêts, font remarquer les industriels du secteur. Alors qu’au Congo d’en face, ce sont 12,8 millions d’ha qui sont concernés par l’exploitation forestière. La RDC a produit 148 032 m3 de bois, au premier semestre 2019, dont 125 274 m3 de grumes et 22 758 m3 de bois sciés. 

Cette production représente une hausse de 57,4 % par rapport au premier semestre 2018. Sur l’ensemble de l’année 2018, la production a été de moins de 200 000 tonnes, contre 134 850 tonnes en 2017. L’exercice 2019 se clôturerait probablement avec une production de plus de 200 000 tonnes. Pour autant, la RDC, en dépit de la soixantaine d’exploitants forestiers industriels, soit pratiquement le double du Congo d’en face, n’atteindrait pas la production d’il y a dix ans de l’autre côté du Pool Malebo. 

La production du bois grumes au Congo Brazzaville était 275 837m3, en 2009, avant de passer à 510 520 m3, cinq ans plus tard, pour atteindre le seuil symbolique de million de m3.  De l’avis de la société civile, la production, officiellement déclarée, est largement en dessous du volume réellement coupé. Certes, le ministère de l’Environnement dispose d’une liste à jour des exploitants industriels de bois regroupés au sein de la Fédération des industriels du bois (FIB), affiliée à la Fédération des entreprises du Congo (FEC). 

Mais, selon des ONG environnementalistes, la réalité est qu’au-delà des exploitants officiels, il y a des gros braconniers, des raseurs de forêts qui échappent à tout contrôle ou, plutôt, qui jouissent de la protection et de la complicité quasiment à tous les niveaux de l’appareil de l’État. Selon l’Initiative pour la forêt en Afrique centrale, mieux connue sous son sigle anglais, CAFI, 3 à 4 millions de m3 de bois d’œuvre sont extraits chaque année en RDC. Ce bois est, en pratique, constitué de grumes destinées au sciage, déroulage, tranchage et à autres usages « nobles » de la filière. 

Et après transformation, ces bois servent en menuiserie, charpente, caisserie, ameublement, etc. D’ailleurs pour ces bois-ci, les exploitants regroupés au sein de la FIB refusent de payer la taxe sur la délivrance des autorisations d’achat, de vente et d’exploitation. Des sociétés européennes s’approvisionnent en bois  auprès de l’IFCO (Industrie forestière du Congo), une entreprise qui foule au pied le code forestier et des lois connexes de la RDC. IFCO est une entreprise créée de bric et de broc, selon Global Witness, avec des droits d’exploitation et d’exportation du bois appartenant naguère à Cotrefor, une entreprise liée à un conglomérat libanais et black-listée par le Trésor américain pour présomption de financement du Hezbollah. 

D’après la récente enquête de Global Witness, IFCO représente non seulement un danger pour les forêts humides de la RDC, mais tournerait également en bourrique le fisc. En 2018, en quelques cinq mois, l’entreprise aurait empoché plus de 2 millions d’euros à la suite des exportations illégales de quelque 1 400 m3 de bois. Par ailleurs Global Witness déplore le silence des autorités françaises,  belges, italiennes, portugaises, bref de l’Union européenne (UE) sur ces exportations illégales du bois. L’ONG cite nommément dans son rapport les entreprises européennes qui collaborent avec IFCO dans les exportations illégales du bois. Il s’agit notamment de la belge Exott, de l’italienne Tim Trade, des françaises Edwood, Angot Bois, France Noyer, Timbearth et Carbon Market Timber, de la polonaise JAF Polska, de la portugaise Interarrod, etc.

Complicité

Ces entreprises auraient donc violé, en connaissance de cause, le Règlement du bois de l’UE, en vigueur depuis six ans, lequel recommande que les exploitants du bois au sein de l’Union démontrent qu’ils ont pris des mesures concrètes pour réduire le risque des importations illégales du bois. L’analyse des images satellitaires effectuée par Global Witness prouve, en effet, que la société IFCO a coupé du bois en dehors des périmètres autorisés et qu’elle a exploité la forêt à grande échelle, alors même que ses activités ont été frappées d’interdiction dans plusieurs provinces de la RDC. 

Des révélations de Global Witness sont en contradiction, sinon ont atténué les accusations de l’OIA, l’agence internationale spécialisée dans l’environnement, qui, fin mars 2019, accusait plutôt les entreprises chinoises de dévaster le Bassin du Congo en complicité avec des autorités et des entreprises locales, en tête desquelles la SICOFOR (Sino-congolaise des forêts) opérant de l’autre côté du fleuve, au Congo Brazzaville. Pour d’aucuns, des ONG comme Green Peace, WWF, Global Witness, etc. seraient plutôt plus alarmistes lorsqu’il s’agit de la RDC et plutôt laxistes lorsqu’il s’agit du Congo d’en face. 

La RDC a pourtant gelé, entre 2002 et 2017, l’octroi de nouvelles concessions forestières et la conversion des titres en permis d’exploitation. Le pays n’a guère perçu les centaines de millions de dollars lui promis en guise de compensations du gel de l’exploitation à grande échelle de ses forêts. Il a depuis changé sa politique forestière sans consulter ses partenaires. Critiqué par Greenpeace, section RDC, d’avoir réhabilité trois contrats annulés en 2016 par l’État pour cause de moratoire  sur le gel de l’exploitation de nouvelles concessions octroyées en 2012 ainsi que de l’accord conclu en 2015 avec la CAFI (Initiative pour les forêts de l’Afrique centrale), le ministre de l’Environnement s’en défendra plusieurs jours après, attestant que le moratoire sur l’octroi de nouvelles concessions acquises en 2002 n’aurait dû jamais être adopté. Qu’il y a eu mauvaise interprétation de la loi et des textes réglementaires. Que les concessionnaires avaient introduit un recours. Que le gouvernement s’était rendu compte que les concessions en question n’étaient pas concernées par le moratoire. Par cet acte, Greenpeace-RDC a laissé entendre que la RDC pourrait ne plus recevoir les 200 millions de dollars promis par la CAFI. Il sied de rappeler que la RDC n’a pas signé le 29 avril 2018 à Brazzaville le protocole instituant la commission Climat du Bassin du Congo et du Fonds bleu. 

Le Fonds bleu devrait permettre de subventionner des projets qui font la promotion de la préservation de cette cette région, à hauteur de 100 millions d’euros chaque année. Le gouvernement congolais s’y est opposé, notamment à cause du quota que chaque pays devra recevoir dans le cadre du Fonds bleu du Bassin du Congo, le pays possédant plus de deux tiers des réserves des tourbières du monde entier.