Les jeunes français et la consommation de l’information sur Facebook

L’exposition à l’information peut y être volontaire (abonnements à des pages médias) ou accidentelle: un ami qui interagit avec un contenu d’actualité (like, partage, commentaire) et donc nous y expose dans notre fil d’actualités, ou alors un groupe auquel on est abonné qui va poster un contenu et/ou chercher à en discuter. Il est donc essentiel de questionner ces pratiques pour réfléchir à l’avenir de la presse d’information: quel(s) sens les jeunes donnent-ils à l’information à laquelle ils accèdent par Facebook, comment la perçoivent-ils et comment intègrent-ils ces pratiques dans des pratiques informationnelles plus larges? Pour cela, nous avons diffusé un questionnaire et mené des entretiens qualitatifs auprès de 18-24 ans, une population fortement connectée qui est en train de construire ses propres pratiques numériques.

Les pratiques d’information des 18-24 ans

Le premier enseignement de notre enquête est que les jeunes que nous avons interrogés (souvent étudiants) s’intéressent à l’actualité, déclarant à 39 % estimer son suivi « essentiel » et 50 % « assez important ». Ils sont très majoritaires à faire de la recherche d’informations d’actualité une activité quotidienne et même pour 42 % d’entre eux, une activité pluriquotidienne.

Cette activité se traduit dans les pratiques déclarées par une prédominance des supports numériques d’accès à l’information. Parmi ceux qui déclarent consulter régulièrement l’information (une ou plusieurs fois par jour), la distribution va crescendo en partant de la presse écrite et de la radio, vers la télévision, l’ordinateur et le smartphone. Sans surprise, plus on déclare suivre l’actualité tous les jours, plus on le fait sur des supports électroniques, mais avec une télévision qui résiste encore.

S’informer avec les réseaux socionumériques

Lorsque l’on interroge les 18-24 ans sur les canaux qui leur permettent d’accéder à de l’information en ligne, les réseaux sociaux arrivent très largement en tête des réponses avec plus de 73 % des répondants qui indiquent accéder à l’actualité par les réseaux sociaux, fortement consultés sur les terminaux mobiles, au moins une fois par jour, supplantant les sites d’information, les applications mobiles et même leurs dispositifs d’alertes push. C’est bien un nouvel écosystème de la consommation d’information qui est en train de se mettre en place. L’accès via les réseaux socionumériques arrive donc très largement en tête. Il faut dire que pour cette génération, la fréquentation de ces plateformes est massive et quotidienne. Mille personnes interrogées déclarent y suivre l’actualité plusieurs fois par jour et 335 une fois par jour, que ce soit volontairement ou pas. La fréquence de consultation du réseau social engendre parfois une « exposition accidentelle » à l’information comme en témoigne Christine, l’une de nos enquêtés: « J’y suis souvent, tous les jours. J’y vais tout le temps, je regarde pas mal les articles. C’est plus des articles qui arrivent comme ça. On peut quand même être au courant de plein de choses assez rapidement, tout de suite en direct, si on n’a pas le temps d’allumer la télévision. Au final, ça permet quand même aux gens d’être renseignés malgré eux. »

Usages de Facebook et rapport à l’actualité

Malgré la prédominance de Facebook comme vecteur d’accès à l’actualité, tous les répondants ne lui accordent pas la même place dans leurs pratiques informationnelles. Si 55 % l’estiment comme « un moyen important pour suivre l’actualité, mais pas le plus important », seuls 13,5 % en font le « principal moyen », tandis que 20 % le considèrent comme « pas très utile pour suivre l’actualité ». Parmi nos répondants, 70 % déclarent être abonnées à au moins une page média sur Facebook, un pourcentage qui fort logiquement s’accroit dans le sous-groupe des « informés via Facebook » en atteignant 81 %. Dès lors qu’on est abonné à des pages médias, le taux de ceux qui considèrent Facebook comme leur principal moyen de s’informer passe de 13,5 % à 17,5 %, et le taux de ceux qui le considèrent comme un moyen important passe de 55 % à 68 %, ce qui montre que la fréquentation d’information sur Facebook répond aussi à une recherche volontariste.

Parmi ces abonnés à au moins une page Facebook de média d’information, 42 % le sont principalement à des médias qu’ils suivent aussi en dehors de Facebook, contre 58 % à des médias qu’ils ne suivent que sur Facebook. En creusant les choix de spécialisation de ces médias, on voit apparaître en bonne place un usage informationnel plutôt centré sur ce qu’on peut appeler de l’actualité de divertissement. Les usages d’actualité de Facebook en font un réceptacle d’informations décalées, moins sérieuses qu’à l’accoutumée, mais qu’on avait envie de partager pour cette raison même, car elles étonnent, surprennent, fascinent, font rire. Un constat que l’on retrouve poindre à de multiples reprises dans les propos des enquêtés: « C’est pour passer du bon temps, ce n’est pas pour m’informer tout de suite des catastrophes qui arrivent. » (Christine) « J’ai commencé beaucoup à suivre des pure players, de divertissement, du type Topito, Minutebuzz, Konbini, des trucs comme ça. C’est marrant. Surtout Topito, c’est très marrant, ils vont avoir des sujets d’actus mais pas que, ils vont le faire d’une manière moins journalistique et plus divertissante. » (Élise)

L’interaction avec et autour des contenus

En étudiant dans le détail la fréquence des pratiques usuelles sur cette plateforme appliquées à l’actualité, on observe que la lecture des titres de contenu d’information est omniprésente, de même que le fait de cliquer sur ces liens est fréquente (85 %), ce qui montre que la seule lecture du titre n’est pas jugée suffisante pour se sentir informé ou que le titre suscite l’envie d’aller plus loin dans la lecture du contenu. 60 % ont aussi l’habitude de liker très fréquemment ou assez souvent ces contenus d’actualité. En revanche, toutes les autres activités possibles à partir du dispositif Facebook ne font pas l’objet d’une appropriation régulière et systématique. Un cinquième seulement partage ou commente de tels contenus, et ils ne sont plus que 13,5 % à poster des contenus d’information sur leur mur. Et quand on sonde les motivations de ces informés Facebook à partager de l’information d’actualité sur leur compte, que ce soit beaucoup ou très peu, on se rend compte que c’est la valeur perçue de l’information qui est moteur, qu’elle soit jugée importante en soit (58,5 %) ou originale (42,5 %).

Néanmoins, les réponses obtenues par ailleurs sur le poids des informations insolites et divertissantes, laisse à penser que cette originalité doit s’interpréter comme un partage d’informations parfois anecdotiques, plus insolites que sérieuses, donc superficielles. 13,3 % seulement disent que s’ils partagent c’est pour initier un débat avec leurs amis. « Quand je partage en général c’est pour éveiller l’attention mais pas pour en débattre. J’ai eu des “j’aime” de gens qui pensaient à peu près comme moi, les autres en général s’abstiennent de commenter et à la limite je préfère. Il m’est arrivé de supprimer des commentaires qui m’agaçaient parce que j’aime bien avoir le contrôle sur ma page. » (Nicolas)

De la même manière, si on détaille la valeur attribuée au bouton Like, on trouve souvent des conduites décrites par les enquêtés sur le mode de l’automatisme, qui font penser au don/contre-don de Marcel Mauss, des marques d’intérêt pour la personne, d’encouragement: « J’ai tendance à beaucoup liker, c’est quasi automatique, quand ça me plaît, je ne réfléchis pas trop. C’est plus pour soutenir, quand je like, c’est souvent parce que derrière il y a une cause que j’ai envie de soutenir ou alors ça m’a fait rire. » (Solenne) Et pour ce qui concerne l’habitude de laisser des commentaires, une majorité dit ne le faire que de façon épisodique, les très fréquents étant minoritaires (6,5 %).

Dans les informations reçues sur Facebook, les posts de médias ayant pignon sur rue sont mélangés à des blagues, des commentaires et clins d’œil humoristiques, des pastiches d’information (comme ceux issus de sites parodiques journalistiques comme Le Gorafi ou Nordpresse) ou encore des « petites infos »…