Les nationaux revendiquent leur part du gâteau

Depuis une dizaine d’années, Kinshasa est un chantier. Les architectes sont souvent des étrangers, notamment des Chinois. D’où la préoccupation de leurs confrères congolais, qui plaident pour le protectionnisme, dans  un cadre fédérateur juridiquement solide.

L’Hôtel du gouvernement à Kinshasa.
L’Hôtel du gouvernement à Kinshasa.

Les architectes congolais sont inquiets de leur avenir. C’est pourquoi ils exigent que, dorénavant, les marchés dans la construction d’immeubles en République démocratique du Congo leur reviennent en priorité. « Il faut protéger les nationaux », revendique l’architecte John Kanika, ancien de l’Institut des bâtiments et des travaux publics (IBTP). Il estime que le protectionnisme peut empêcher la fuite des cerveaux. Dans les milieux des architectes congolais, on se réjouit malgré tout que le nouvel Hôtel du gouvernement, place Royal, sur le boulevard du 30-Juin, ait été exclusivement l’œuvre d’architectes congolais. Preuve que le pays compte bel et bien des architectes. Mais ils sont peu connus. Si Fernand Talangay, concepteur de l’extension de la Banque centrale du Congo, de la Cour suprême de justice, du Palais de marbre et de plusieurs immeubles à Kinshasa, ou Rubin Magema, l’architecte de l’immeuble de l’Office de gestion de la dette publique (OGEDEP), sont connus, ceux de la jeune génération passent inaperçus.

Une affaire d’éligibilité aux appels d’offres

Rémy Ntalaja, membre de la Société des architectes de la RDC (SAC) et professeur à l’Institut supérieur d’architecture et d’urbanisme (ISAU) a participé à la conception de l’immeuble du gouvernement. Il explique qu’un architecte est un concepteur et non pas un constructeur. Pour lui, le problème se pose surtout au niveau des entrepreneurs congolais qui ne répondent pas souvent  aux critères exigés dans les appels d’offres pour gagner les marchés. Évoquant la  construction de l’Hôtel du gouvernement, il révèle que plusieurs bureaux d’études, y compris étrangers, avaient soumissionné. Cependant, parmi les trois maquettes retenues, celle des Congolais a gagné le marché, alors que l’entreprise chinoise SZTC a été choisie pour l’exécution du projet au détriment de Malta Forrest et Safricas, deux entreprises du pays figurant parmi les souscripteurs. Pour Rémy Ntalaja, bien que ces entreprises n’aient pas rempli tous les critères, elles ont aussi péché en présentant des coûts inférieurs à ce qui était prévu dans le devis confidentiel élaboré par les concepteurs de l’immeuble, soit 60 millions de dollars. Le manque de moyens constitue aussi un grand handicap pour les sociétés congolaises de construction. Par exemple, pour la matérialisation du même projet, il a été demandé une caution de 6 millions de dollars que beaucoup d’entreprises locales n’ont pas. « Or, les Chinois viennent avec tous les éléments et avec la garantie financière », déclare Rémy Ntalaja, qui estime que les différents ouvrages modernes que construisent les étrangers doivent pousser les Congolais à la réflexion. « Il ne s’agit pas d’une concurrence déloyale », soutient-il.

Un ordre des architectes ?

Les architectes congolais sont regroupés au sein de la Société des architectes de la RDC qui est affiliée à l’Union des architectes africains (UAA) et à l’Union internationale des architectes (UIA). Ils se battent pour que le secteur soit assaini parce que même les architectes d’intérieur et les techniciens formés à l’Institut national de préparation professionnelle (INPP) s’attribuent la qualité d’architecte. Charles Mbengo, architecte d’intérieur, est aussi chef de travaux à l’Académie des beaux-arts. Il pense pour sa part que c’est un faux débat, car un architecte d’intérieur est un technicien du bâtiment spécialisé dans la rénovation d’édifices et dans l’aménagement de logements et d’espaces publics. « La plupart des bureaux d’études à Kinshasa sont dirigés par des architectes d’intérieur. En France, par exemple, les étudiants en architecture et ceux en architecture d’intérieur étudient ensemble. C’est seulement en licence que leurs routes se séparent », explique-t-il. Les architectes d’intérieur ont aussi leur association dénommée Société congolaise des architectes d’intérieur (SCAI). Les architectes font pression sur le gouvernement pour la création d’un ordre des architectes. « Jusque-là, nous œuvrons comme une ONG. L’État ne nous protège pas », explique un membre de la SAC. Ailleurs, comme au Congo-Brazzaville, fait remarquer un autre architecte, on ne peut pas travailler sans s’associer à un national. Ici, la loi en cette matière est encore lacunaire. La SAC, une association, à ce titre, n’est pas un cadre fédérateur stable. C’est pourquoi les architectes souhaitent que le gouvernement propose au Parlement un projet de loi portant création d’un ordre national des architectes, c’est-à-dire un service public professionnel, à l’instar des médecins, des pharmaciens et des avocats. Ils réclament aussi une loi organique sur le fonctionnement de leur profession. D’autres architectes, peu nombreux, sont opposés à cette idée qui, selon eux, se résumerait à la défense d’intérêts personnels. Jusqu’ici, le secteur de l’architecture est régi par une loi qui date de 1957, qui ne détermine pas le barème à suivre pour l’attribution d’un marché.

Protectionnisme

Les architectes en appellent à la tenue d’états généraux pour réfléchir à tout cet arsenal juridique. Ils veulent être encouragés et protégés par les pouvoirs publics. « Les nationaux connaissent mieux la RDC que les étrangers. Pour concevoir de grands immeubles, on devrait les consulter », recommande John Kanika, qui reste persuadé qu’il faut renforcer, sur le plan numérique, les cabinets d’architectes qui existent en les transformant en bureaux d’études. D’autant plus que certaines études montrent que seules les villes de Bandundu et de Kolwezi ont un plan d’architecture incontestable. « Il faut protéger les nationaux », insiste John Kanika. D’après lui, seul le protectionnisme peut empêcher la fuite des cerveaux. Un nombre important d’architectes congolais s’est expatrié dans des pays comme le Congo-Brazzaville, le Rwanda, le Burundi, le Gabon, la Guinée-Équatoriale, où les rémunérations sont attrayantes. S’ils ont quitté le pays, c’est parce qu’il n’y avait pas de chantiers.

Maintenant que le bâtiment semble marcher, certains d’entre eux envisagent leur retour. « L’expérience a montré que quand l’architecte congolais évolue au pays dans des bonnes conditions, il émerge facilement », souligne John Kanika. Comme lui, la plupart des architectes demandent que le gouvernement attribue prioritairement les marchés. « Si les nationaux gagnent des marchés, ils vont placer leur argent dans les banques du pays, ce qui va servir à l’économie », affirme un autre architecte, Laurent Tshanda. En vue d’outiller les jeunes, la SAC a initié cette année une formation financée à hauteur de 500 000 euros par l’Union européenne à l’intention de tous les architectes diplômés de l’ISAU et de l’INBTP.