Les pays d’Afrique ont du mal à appliquer les normes de transparence

À ce jour, il n’y a que trois pays africains (Maurice, l’Afrique du Sud et les Seychelles) qui participent au système, tandis qu’un seul autre pays (le Ghana) a adopté les législations requises comme première étape en vue de sa participation.

LE RAPPORT économique 2019 de la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA) souligne que la participation au système d’échanges de renseignements aux fins fiscales repose sur une réciprocité complète, et que la plupart des pays d’Afrique ne disposent pas des capacités, infrastructures et ressources requises pour remplir les exigences administratives (infrastructures d’information sécurisées, collecte des données auprès de toutes les institutions financières concernées) nécessaires pour participer à ce système (Monkam et al., 2018). (CEA, 2018 ; OCDE, 2018).

Conscients des difficultés que connaissent les pays d’Afrique pour assurer les échanges de renseignements aux fins fiscales, le Forum mondial et ses partenaires ont lancé en 2014 une initiative pour l’Afrique, afin d’utiliser l’assistance technique et les relations politiques pour permettre aux pays d’Afrique de tirer parti des améliorations de la transparence fiscale internationale qui pourraient les aider à accroître la mobilisation de leurs ressources locales et à lutter contre les flux financiers illicites (OCDE). 

Lors de la réunion plénière du Forum mondial tenue en novembre 2017, la durée initiale de cette initiative a été prorogée de trois ans (OCDE). On s’achemine aussi vers la mise en place des registres publics centralisés des véritables propriétaires des fonds fiduciaires, fondations et autres véhicules opaques dont se servent les sociétés multinationales. Les progrès dans ce sens, précise ce rapport, amélioreront la transparence du secteur des ressources naturelles et feront la lumière sur les cas de « parties apparemment indépendantes » qui participent à l’érosion de la base d’imposition.

De plus, il faudra peut-être exiger des acheteurs de ressources naturelles qu’ils exercent leur devoir de diligence pour s’assurer que les ressources en question n’ont pas été obtenues de façon illégale et pour empêcher la vente de minéraux de conflits (minéraux dont le produit de la vente aide à financer des conflits). En particulier, il serait peut-être utile que les acheteurs étrangers de ressources naturelles appliquent la règle « connaître son client » lorsqu’ils se procurent des ressources en provenance d’Afrique. Cela pourrait les aider à vérifier que les ressources naturelles qu’ils envisagent d’acheter n’ont pas fait l’objet de vols ou de contrebandes pour sortir de leur pays d’origine. Le processus de Kimberley pour la vérification de l’origine des diamants est un bon exemple à suivre.

Recommandations

Les incitations trop généreuses et les clauses de stabilité budgétaire, la fragmentation des contrôles de l’État et les flux financiers illicites pratiqués par les sociétés multinationales réduisent les recettes que les gouvernements devraient obtenir du secteur des ressources naturelles non renouvelables. Les pays d’Afrique souffrent de manques à gagner d’environ 2,7 % de leur PIB du fait de l’érosion de leur base d’imposition et du transfert des bénéfices.

Selon certaines estimations, ces pertes se monteraient à entre 1 et 6 % du PIB (Moore, Prichard et Fjeldstad, 2018). Leur forte dépendance à l’égard des impôts sur les revenus des sociétés et la domination des entreprises multinationales sur le secteur des ressources naturelles exposent les pays d’Afrique aux effets pernicieux de l’érosion de leur assiette fiscale, des transferts de bénéfices et des flux financiers illicites. 

Pour surmonter ces problèmes, la CEA formule 7 recommandations à l’attention des pays d’Afrique en termes de mesures suivantes. Premièrement, formuler des plans d’action nationaux et des cadres de coordination reposant sur des bases factuelles pour lutter contre les flux financiers illicites. Il s’agit de mieux comprendre comment les flux financiers illicites se pratiquent au plan national, formuler un plan national d’action pour réduire les principales vulnérabilités, et développer un cadre coordonné de lutte contre les flux financiers illicites spécifiant les responsabilités de chaque organe du gouvernement pour chaque élément de ce plan.

Deuxièmement, améliorer les capacités d’évaluation des impôts, en renforçant les capacités des organes responsables de vérifier la qualité et la quantité des ressources naturelles extraites, par exemple en investissant dans un laboratoire équipé d’installations d’essai. En envisageant d’utiliser des prix de référence pour l’évaluation, comme dans la « sixième méthode » qui utilise les prix côtés en bourse, d’autres moyens d’évaluer la valeur des ressources naturelles, par exemple les prix administrés, pour empêcher la falsification des prix de transfert entre parties connexes. Il s’agit d’envisager également de recruter des experts de l’extérieur pour vérifier la qualité et la quantité des ressources naturelles extraites et le coût des équipements importés de parties connexes ; d’améliorer les compétences et les capacités des administrations fiscales pour mieux comprendre les aspects fiscaux du secteur des ressources naturelles, en utilisant les boîtes à outils pour l’évaluation des risques des prix de transfert.

« Sixième méthode »

Troisièmement, adopter des politiques de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices. Selon le rapport de la CEA, il s’agit de mettre l’accent sur les prix de transfert, un des plus grands problèmes affectant le secteur des ressources naturelles ; d’utiliser l’indicateur BEPS de l’OCDE pour revoir et actualiser les conventions fiscales, en remédiant aux lacunes qui facilitent les abus. Il s’agit aussi d’examiner les possibilités offertes par l’instrument multilatéral pour le secteur des ressources naturelles ; d’envisager d’aller au-delà des actions BEPS de l’OCDE, en utilisant la « sixième méthode » pour le commerce de produits de base pour lesquels des informations sur les prix sont accessibles. Mais aussi d’insister moins sur l’imposition des revenus des sociétés ou utiliser une formule de répartition pour percevoir des impôts sur une part des profits des groupes multinationaux. 

Le rapport 2019 de la CEA recommande aussi d’examiner les alternatives au principe de pleine concurrence avec les pays intéressés au moyen d’accords bilatéraux, plurilatéraux ou régionaux, par exemple en répartissant les impôts sur la base de variables qui sont moins faciles à manipuler que les bénéfices locaux déclarés ; de mettre en place des accords juridiquement contraignants pour limiter les surenchères fiscales, comme ceux de l’Union européenne (UE) au sujet de l’aide publique ainsi que d’introduire la coordination fiscale dans les négociations au sujet de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) et de parvenir à un accord sur les questions fiscales pour offrir des garanties contre l’érosion de la base d’imposition et les transferts de bénéfices, garanties dont les pays ont besoin pour parvenir à une plus grande intégration. 

Quatrièmement, promouvoir la transparence et la responsabilité pour s’opposer aux évasions fiscales et aux flux financiers illicites. Ici, il est question d’exiger l’approbation par le Parlement des concessions de droits d’explorer et d’extraire des ressources naturelles, plus de transparence des entreprises extractives et plus de responsabilité des gouvernements, par exemple en souscrivant à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), en mettant en application ses recommandations et en adhérant à d’autres initiatives visant la transparence…

Cinquièmement, mieux utiliser les échanges de renseignements. Comment ? Se joindre aux efforts internationaux visant l’amélioration de la transparence fiscale. Dans la mesure où l’approche de l’OCDE au sujet des échanges de renseignements ne répond pas aux besoins des pays d’Afrique, rechercher d’autres possibilités aux niveaux panafricains ou Sud-Sud, où les partenaires seront plus disposés à faire part de leurs idées, par exemple le projet pilote d’échange de renseignements du Forum africain sur l’administration fiscale. Actualiser les articles portant sur les échanges de renseignements dans les conventions fiscales ou négocier des accords sur les échanges de renseignements avec les principaux partenaires commerciaux…

Sixièmement, favoriser la collaboration entre les organes gouvernementaux pour l’élaboration et la mise en œuvre des politiques sur les ressources naturelles. La CEA recommande d’encourager à cet effet une meilleure coordination pour adopter une approche cohérente à la négociation des traités bilatéraux sur les investissements, des clauses de stabilité et des accords sur l’exploration, la mise en valeur et la production des ressources naturelles, afin de ne pas faire obstacle au prélèvement des impôts… Et septièmement, revoir les politiques relatives à la certitude fiscale et aux incitations fiscales.