Depuis 2008, le taux du PIB est le principal argument utilisé en Afrique pour justifier la « bonne gouvernance ». Dans un contexte de conjoncture économique défavorable, les avis contraires ont du mal à passer.
L’annonce par le Fonds monétaire international (FMI) d’une baisse de la croissance de l’Afrique à 3,8 %, en 2015, a été reçue comme une douche écossaise de la part de ceux qui avait prévu un taux de croissance entre 7 % et 9 % cette année. À en croire la directrice générale du FMI, Christine Lagarde, la plupart des économies africaines, qui sont fondées sur l’exportation des matières premières devraient déjà entamer leur mue. La conjoncture économique internationale les y oblige. À la suite du FMI et de la Banque mondiale, nombre d’analystes économiques sont à peu près d’accord sur le fait que les Africains doivent reformuler leurs politiques nationales.
Les recommandations des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) qui s’étaient tenues courant octobre à Lima, au Pérou, vont dans ce sens.
Le tour d’horizon de la conjoncture économique mondiale a relevé des incertitudes : reprise timide de l’économie ; volatilité des marchés financiers et des cours des matières premières. Ces incertitudes condamnent les pays producteurs de matières premières et d’hydrocarbures à réajuster leurs politiques économiques, étant donné que leur taux de croissance est remis en question.
Mutation économique
D’où la nécessité d’une croissance inclusive, d’un ciblage des politiques de solidarité sociale et de soutien, ainsi que la promotion des investissements à capitaux nationaux et internationaux dans les projets à forte efficience économique. « Les leçons à tirer de cette réunion conjointe Banque mondiale-FMI sont nombreuses. On retiendra utilement que l’augmentation d’environ 6 % du PIB du continent en 2015 ne sera pas réalisée », explique Alfred Luntadila, fonctionnaire au FMI, et qui fait partie des analystes sceptiques, depuis 2009, sur la soutenabilité de la croissance dans le long terme. D’après lui, le seuil nécessaire à la réduction de la pauvreté est celui de + 7 % dans l’hypothèse où la croissance démographique est de 2 % par an. « La croissance économique de l’Afrique va bon train, certes. Mais elle ne suffit pas pour faire diminuer le niveau de la pauvreté », souligne-t-il. Pour lui, les pays africains doivent accélérer leur mutation économique afin de devenir plus compétitifs et de créer de meilleures opportunités d’emploi. « Certains pays africains connaissent des taux de croissance importants grâce surtout aux revenus de l’exploitation du pétrole et des minerais. Cette croissance n’est pas essentiellement générée par une augmentation de la spécialisation, de la division du travail et de la productivité menant à des revenus plus élevés. Elle n’est donc pas soutenable parce qu’elle est fondée d’abord sur une manne et non pas sur une diversification progressive des activités économiques », insiste Alfred Luntadila.
Injustice sociale
De son point de vue, seule une élite proche du pouvoir politique profite de la manne des matières premières. « C’est le règne du capitalisme de copinage dans lequel quelques-uns s’enrichissent, pendent que les autres n’ont que des miettes. On refuse à la majorité de la population les institutions du capitalisme, réservées à l’élite politico-économique », poursuit-il. Conséquence : cette différence de traitement social donne évidemment lieu à des écarts considérables de richesse entre les citoyens, dont le plus grand nombre croupit dans la pauvreté. Pourtant, les dirigeants africains claironnent partout que la croissance crée des emplois et permet de réduire la pauvreté. « Les tensions sociales que crée un tel environnement constituent un obstacle à une croissance de long terme », fait remarquer Alfred Luntadila. Dans ce cas, ajoute-t-il, le PIB est effectivement un indicateur très limité de la soutenabilité de la croissance. « Au-delà des indicateurs traditionnels de développement humain ou d’inégalités, il faut prendre en compte la qualité des institutions pour percevoir le degré de partage des opportunités économiques qui forment le socle d’une croissance de long terme », soutient-il.
Cependant, en Afrique, affirme-t-il, de telles idées ne peuvent pas passer pour le moment, étant donné que les décideurs publics sont littéralement obsédés par la croissance. « C’est même leur arme de propagande politique. La croissance a certes un impact sur l’emploi, sur les rentrées fiscales et sur les finances publiques ; mais le risque est que de nombreuses politiques sont mises en place pour relancer ou stimuler la croissance à court terme au prix de sa soutenabilité à long terme avec les conséquences que l’on connaît », déplore Alfred Luntadila. Comme certains analystes économiques, il estime que la stimulation artificielle de la croissance, par la manipulation de la politique monétaire, génère un boom économique qui ne pourra se payer que par une récession.