LA microfinance dans notre pays est caractérisée par une concentration d’institutions et d’opérations dans une zone géographique en phase de consolidation, la sous-capitalisation et de réels problèmes de gouvernance dans une autre zone en phase de démarrage, et l’absence d’institutions agréées par la Banque centrale du Congo (BCC) dans une autre zone. Les trois pôles de concentration des coopératives d’épargne et de crédit (COOPEC) et des institutions de microfinance (IMF) en République démocratique du Congo sont les provinces de Kinshasa, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu.
Selon des statistiques, ces trois provinces rassemblent 76 % des COOPEC installées dans le pays et 80 % des IMF. Kinshasa rassemble 21 % des COOPEC et 58 % des IMF, la province du Nord-Kivu 30 % des COOPEC et 11 % des IMF, et la province du Sud-Kivu 25 % des COOPEC et 11 % des IMF. L’ancienne province du Bandundu et le Kongo-Central mis ensemble couvrent 18 % (à raison de 9 % chacun). Cette configuration peut en partie s’expliquer par la nature des activités développées, par l’état des infrastructures, et par la culture financière de la population.
Kinshasa connaît une forte concentration des IMF dont certaines ne mobilisent pas encore l’épargne. En 2011, on comptait dans la capitale de la RDC 42 institutions opérant dans le secteur de la microfinance dont 74 % de COOPEC et 26 % d’IMF. La plupart des COOPEC ayant commencé leurs activités depuis plus d’une décennie au Kivu ont ouvert des agences à Kinshasa.
C’est le cas de la Mutuelle d’épargne et de crédit du Congo (MECRECO) placée sous la tutelle administrative de la BCC en octobre 2016. Un comité d’administration de substitution avait été mis en place pour proposer un plan de redressement et sauver l’épargne du public. La Banque centrale avait justifié à l’époque sa décision par « un problème de trésorerie dû à l’absence de liquidité dans les agences de Kinshasa et Goma pour payer les épargnants ». Pour la BCC, la crise de liquidité était liée à la gestion : « Les dirigeants ont pris beaucoup trop de risques dans l’octroi des crédits et dans l’investissement qui ne rapportent pas beaucoup. Finalement, ils sont arrivés dans une situation où ils accumulent de pertes ayant fini par affecter négativement leurs fonds propres. »
Les conditions d’agrément
La loi et les nouvelles instructions de la BCC prises en application, opèrent un renforcement des conditions d’agrément et d’exercice, avec notamment pour les sociétés de microfinance, un capital minimum passé de 100 000 dollars à 350 000 dollars, et projeté à 700 000 au 1er janvier 2017. Il y a lieu de noter que la loi autorise les IMF à fournir certains services financiers annexes, tels que le transfert d’argent, la mise à disposition et la gestion de moyens de paiement, la distribution (mais pas l’émission) de monnaie électronique. Toutes les IMF sont aussi assujetties à certaines normes de transparence financière et de protection des clients mais seules les sociétés de microfinance sont placées sous supervision prudentielle de la BCC. Les deux produits classiques habituellement offerts par toutes les IMF et COOPEC-MEC en RDC sont l’épargne et le crédit, avec un faible taux de transformation de cette épargne en crédit. Les épargnants étant des personnes à faibles revenus, ils retirent fréquemment leur épargne pour faire face à leurs multiples besoins. La principale activité financée par le crédit accordé par ces institutions demeure le commerce (69 %) avec des délais moyens de remboursement compris entre quatre et six mois.
Plus de 70 % des IMF se spécialisent dans le crédit de groupe, avec pour toile de fond le recours à la caution solidaire légalement reconnue (article 44 de la loi 11/20 du 15 septembre 2011) et la possibilité de transférer le risque du prêteur vers l’emprunteur (groupe d’emprunteurs) lorsque le capital social existe réellement entre les membres du groupe et que la pression sociale opère efficacement.
La plupart des COOPEC qui, au départ, n’accordaient que du crédit individuel, ajoutent le crédit de groupe à leur méthodologie, non seulement pour mieux servir les personnes n’ayant pas de garanties matérielles, mais surtout pour améliorer la qualité de leur portefeuille de crédit. Le crédit à la consommation se chiffre à 11 % de l’offre, mais il est généralement garanti par la domiciliation des salaires. Avec la bancarisation de la paie des fonctionnaires et bientôt des employés du secteur privé, les IMF et les COOPEC-MEC sont en train de perdre la clientèle qui demande souvent ce type de crédit au profit des banques commerciales de détail.
La part du crédit habitat est de 8 % et concerne surtout l’amélioration de l’habitat des clients concernés plutôt que l’investissement dans l’immobilier. Il ne s’agit donc pas de crédit hypothécaire. Pour sa part, le crédit agricole ne représente que 3 % du portefeuille des crédits à cause de la brièveté des échéances des ressources prêtables dont disposent actuellement les institutions. Les délais requis par le financement agricole sont généralement plus longs. Cela s’explique aussi par la forte concentration des institutions en milieux urbains et d’importants risques covariants caractéristiques des opérations agricoles.
Les produits de transfert d’argent, bien qu’autorisés par la loi au titre d’activités connexes ne sont actuellement offerts que par un réseau d’institutions mutualistes au travers d’une société filiale dénommée Société de transfert du Congo (STC).
Même si les IMF et les COOPEC n’utilisent pas encore le mobile banking, il existe à Kinshasa un produit mis en place par une IMF internationale : le POS (Point of sale) ou TPE (Terminal des paiements électroniques). Le secteur est actuellement dominé par les institutions à capitaux étrangers.
Solutions à l’instabilité
Pour trouver les bonnes réponses aux grands problèmes du moment, qu’il s’agisse de la supervision prudentielle, de la gouvernance ou de la protection des épargnants, il faut en finir avec un certain nombre de pratiques. Le diagnostic de la microfinance en RDC montre la fragilité d’un secteur dominé par les institutions à capitaux étrangers, la mauvaise gouvernance, l’inefficacité du contrôle, l’absence de sanctions, l’insuffisance des fonds propres, l’absence de diversification des produits…
Bref, il se pose un problème fondamental de plan stratégique de développement de la microfinance. La BCC est pointée du doigt. En 2017, le Gouv’ de la BCC avait annoncé que son institution veillerait de « façon particulière » à affiner le cadre réglementaire et aiguiser les pratiques de supervision des institutions financières. Dans cette perspective, la BCC invitait les opérateurs du système financier congolais à s’impliquer « sans réserve » dans les différentes réformes en cours en vue de « consolider la crédibilité et la solidité du système financier » et d’« aboutir à une rapide sortie de la situation de crise actuelle ».
Dans le cadre de l’amélioration de l’environnement et de la consolidation des fondamentaux du système financier, la BCC poursuit l’exécution d’autres actions, projets et réformes. Il s’agit notamment de la migration du système financier congolais vers les normes comptables internationales IFRS, l’élaboration du programme national d’éducation financière, la création d’un fonds de garantie des crédits. Il s’agit également de la création d’une bourse des valeurs mobilières, la mise en place d’un cadre de résolution des crises bancaires ainsi que la modernisation du système national de paiement.
Pour se sortir de la crise, bien des experts pensent qu’il faut adapter la loi à l’innovation financière. Il faut aussi adapter les IMF aux réalités du pays pour que tout le monde en bénéficie, mettre à jour la stratégie nationale de la microfinance, mettre en place un fonds d’assurance et de garantie. Il faut également se doter d’outils de gestion des risques externes, ainsi que liquider et redresser les IMF selon le cas. Que veut-on faire de la microfinance et quel est le rôle que l’on veut lui faire jouer dans l’architecture financière de la RDC et dans son développement économique ? L’appropriation de la microfinance doit être quelque chose de volontaire et non d’imposition comme au Kenya et en Tanzanie. D’après eux, la législation en la matière est déficitaire à ce jour. Afin d’optimiser la généralisation des services de microfinance dans le pays, l’accent doit être mis sur une professionnalisation accrue du secteur et des prestataires.