L’État et les entreprises toujours victimes des jugements iniques devant les Cours et tribunaux

« Où est l’État de l’État de droit ? » C’est par cette formule tonitruante mais interpellatrice qu’un entrepreneur a pété les plombs dans les couloirs de la Cour d’appel de Matete. Son cas n’est pas isolé, et la FEC s’est plainte à nouveau des « tracasseries judiciaires » auprès du gouvernement. Un rapport circonstancié sera déposé sur la table du 1ER Ministre. Décryptage.

COMMENT arrêter la corruption dans les Cours et tribunaux de la République démocratique du Congo ? Toutes les dénonciations qui ont été faites publiquement auparavant, même par Joseph Kabila Kabange, l’ancien président de la République, lui-même, n’ont pas eu l’effet escompté. Magistrats et juges se sont murés dans leur tour d’ivoire. Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, a fait de la lutte contre la corruption une affaire personnelle. Mais force est de constater que le fléau n’est pas encore appréhendé comme « enjeu national ». 

Sous l’angle économique, le rôle de l’État, c’est d’accompagner le secteur privé dans son développement et assurer son intégration dans les chaînes de valeurs nationales, régionales et mondiales. En RDC, les entreprises, en tant qu’acteur économique, prennent suffisamment déjà un risque politique pour ne pas revendiquer un maximum de stabilité de la part de l’État, en termes d’environnement politique, juridique, judiciaire, fiscal et monétaire. Pour cela, l’État doit créer et mettre en place un cadre des règles qui soient comprises et utilisables par tous. 

Déficit de confiance

Vu de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), « l’État doit se réveiller de son profond sommeil ». C’est le sens du combat que la FEC mène depuis des années en vue de l’amélioration du climat des affaires. En effet, le constat du principal patronat du pays est que « l’État est resté le même, dominé notamment par la corruption, le harcèlement fiscal ainsi que par l’insécurité juridique et judiciaire ». Une situation qui appesantit l’évolution des affaires dans le pays. Pour la FEC, les pratiques de corruption notamment dans les Cours et tribunaux ne favorisent pas, à coup sûr, le climat des affaires. « Ce qui ne contribue toujours pas à favoriser la promotion de l’investissement ni la croissance, ni encore le développement du pays. » 

Dans le classement Doing Business sur le climat des affaires dans le monde, la RDC se trouve au fond du trou. Plusieurs rapports des ONG qui décrient la corruption en RDC, ne laissent entrevoir aucun progrès en matière de lutte anti-corruption. Au contraire, ils dénoncent « le dysfonctionnement de la justice qui fait que même les gens qui sont attrapés la main dans le sac peuvent s’en tirer à très peu de frais ». Pourtant, selon ces ONG, la justice a une fonction de régulation économique essentielle et constitue, de ce fait, un vecteur capital de développement économique et social. Certes, la justice est encore (et le sera probablement pour longtemps encore) le parent pauvre de trois pouvoirs constitutionnels (exécutif, législatif et judiciaire) sur lesquels reposent l’État et la démocratie en Afrique. Mais cela ne lui donne pas le droit de rendre des jugements iniques à l’encontre de l’État lui-même et des entreprises. La justice en Afrique en général se caractérise par des dysfonctionnements importants. Par exemple, le nombre réduit de tribunaux de commerce et une corruption omniprésente rendent l’accès à la justice problématique pour les investisseurs, en particulier les entreprises.

Du coup, la question de l’État de droit et de l’indépendance de la justice reste donc posée. La population en général et les entreprises en particulier font très peu confiance au système judiciaire. Il y a quelques années, les sociétés, tout comme l’État lui-même, étaient systématiquement condamnés à des lourdes amendes à chaque fois qu’elles étaient en procès contre les tiers devant les Cours et tribunaux. À l’époque, bien des sociétés ont été forcées de fermer, dépitées par des décisions de justice. En son temps, la FEC, toujours elle, avait dénoncé cet « acharnement » des juges sur les sociétés, qui avait l’air de tout sauf de l’indépendance de la justice. Certains chefs d’entreprises sont allés jusqu’à accuser des juges de corruption et de complicité avec les avocats. Les rapports d’enquête des ONG et les médias sur la corruption informent régulièrement les citoyens sur les cas et les mauvaises pratiques. Cependant, le gouvernement ni le parquet général ne prennent les mesures nécessaires et suffisantes. Ailleurs, les médias libres et indépendants sont un moyen puissant d’éradication de la corruption et de renforcement de la responsabilité administrative. Les enquêtes sur la corruption réalisées en RDC montrent que plus de 8 Congolais sur 10 déclarent que les ministres, les magistrats, les policiers, les P-dg, les fonctionnaires et les agents de l’État (fisc, douane, etc.) sont les plus corrompus du pays.  

Pratiques de pots-de-vin

Une enquête sur la corruption au sein du pouvoir judiciaire a levé le voile sur des juges acceptant des pots-de-vin pour abandonner des poursuites ou prononcer des peines plus sévères à l’encontre des entreprises. Ces révélations jettent une ombre sur la communauté judiciaire dans son ensemble, sur ses services et sa crédibilité, en plus d’aggraver des suspicions de longue date sur la profession en général. Le rôle du pouvoir judiciaire est de faire appliquer la loi. Mais les faits montrent que l’indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis du pouvoir exécutif n’est pas encore la garantie d’une bonne justice. 

On voit, dans certains cas, que les juges, les magistrats et les procureurs sont redevables d’intérêts politiques, lorsqu’ils leur doivent leur promotion dans la carrière. Même lorsque l’indépendance du pouvoir judiciaire peut être garantie formellement et juridiquement, il existe toujours un risque d’ingérence mais surtout de corruption. En 2007, Transparency International se penchait sur la corruption des systèmes judiciaires dans son rapport annuel sur la corruption mondiale. Elle recommandait une plus grande transparence, des procédures judiciaires équitables, la formation des officiers des tribunaux et une plus grande implication de la société civile. 

Le rapport soulignait aussi l’importance de trouver un équilibre entre l’obligation redditionnelle et l’indépendance, ajoutant que « garantir l’indépendance des juges, tout en les soumettant à des mécanismes d’obligation redditionnelle efficaces, aura pour effet de décourager la corruption de la magistrature et de la police. » Ces recommandations constituent la base des programmes de réforme judiciaire en Afrique. Selon les indicateurs actuels d’intégrité en Afrique, le continent progresse, mais lentement, en matière d’obligation redditionnelle. Phénomène multiforme, la corruption est un problème majeur dans le pays, surtout pour les entreprises. La lutte anti-corruption est un combat difficile à mener en RDC étant donné les pratiques et les liens qui se sont progressivement tissés entre administrations publiques, justice et privés. L’exemple venant du sommet, l’État n’améliore pas la situation de la population. L’un des problèmes majeurs est la mauvaise gestion généralisée par les élites politiques au pouvoir. Celles-ci profitent de leur position de force pour élever leur train de vie au détriment de la majorité. Dans un tel contexte, les fonctionnaires, les agents de l’État dont, les magistratset les juges, « vivent » de l’État. Selon Emmanuel Luzolo Bambi, « procureur spécial pour la lutte anti-corruption et anti-blanchiment de l’argent sale » de l’ancien président de la République, Joseph Kabila Kabange, chaque année, par exemple, entre 10 et 15 milliards de dollars – soit le triple du budget national – partent en fumée, rien que du fait de la fraude fiscale…