L’export du café enrichit des lobbies à la frontière ougandaise

La polémique qui enfle comme le dragon qui gonfle ses poumons avant de cracher le feu est révélatrice d’une chose : l’exportation frauduleuse de café et cacao est entretenue. Il est temps de lever la mesure douanière d’exonération.

 

C’est à une véritable bataille des chiffres à laquelle on assiste au Nord-Kivu sur l’exportation frauduleuse du café. Signe évident que la frontière nord-est est encore poreuse, ce qui représente un manque à gagner énorme pour la douane congolaise. Le consultant des entreprises et expert en exportation des produits agricoles, Kambale Ngeleza, résident à Beni dans le Nord-Kivu, estime que  plus de 1 400 tonnes de café (et cacao) ont franchi en fraude la frontière de Kasindi-Lubiriha, vers l’Ouganda voisine, depuis novembre 2017. Outre la « Grande barrière », poste douanier frontalier (officiel), les cargaisons passent allégrement par les 22 sentiers (identifiés) vers le Mont Ruwenzori qui servent de passage vers l’Ouganda, dénonce-t-il.

Comme lui, beaucoup de planteurs et de techniciens agricoles fustigent la « passivité » des autorités dans la lutte contre la fraude en général dans le Nord-Kivu et en Ituri. Point n’est besoin de dire que la fraude fait perdre au Trésor public beaucoup de capitaux. À Beni, deuxième ville en importance après Goma dans le Nord-Kivu, jadis plaque tournante du négoce de café, l’Office national du café (ONC) ne confirme ni n’infirme tous les chiffres qui circulent et au centre de la polémique actuelle.

Dans ce débat, la Direction générale des douanes et accises (DGDA) a apporté le grain à moudre au moulin. Selon un rapport de la commission économico-financière de l’Assemblée nationale, le café (arabica et robusta) est exonéré des droits de sortie (article 73, loi n°11/22 du 24 décembre 2011 sur l’agriculture).

Selon les prévisions des experts, le café devrait rapporter au Trésor public autour de 500 millions de dollars. En 2015, le robusta a rapporté 46.5 millions de francs sur des prévisions d’environ 361millions. L’arabica, lui, a rapporté environ 112 millions de francs sur des prévisions de 314.7 millions. Le manque à gagner profite à l’Ouganda, selon les mêmes experts. Dans le Nord-Est, le café est principalement cultivé à Beni et Ituri. Il traverse frauduleusement la frontière, estampillé produit ougandais. Depuis 5 ans, l’Ouganda affiche des chiffres en croissance en matière d’exportation du café (et du cacao).

Un boulet au pied !

La loi n°11/22 du 24 décembre 2011est un boulet au pied qui empêche la reprise dans ce secteur. Source de revenus et de création d’emplois, le café est une culture pérenne qui représente une opportunité à saisir pour la République démocratique du Congo en vue de la diversification de son économie. Depuis plusieurs années, les prix du café sont en constante baisse sur le marché international. La survie de l’activité dépend entièrement des réponses à donner aux exigences du marché.

Plus de 50 pays produisent du café. La production annuelle est estimée à environ 7 millions de tonnes et la valeur à l’exportation, soit environ 6 milliards de dollars, représente le double de celles du cacao et du thé. Trois pays (le Brésil, la Colombie et le Viet Nam), cultivent presque 60 % de la production mondiale. Les pays latino-américains réunis produisent 63 %. Le Brésil fournit actuellement environ un tiers de la production mondiale. Il a un avantage de coût dû à un haut rendement, notamment grâce l’irrigation et à la récolte automatisées. Le gel et la sécheresse ont été les causes principales des fluctuations de la production, avec les incidences correspondantes sur les prix mondiaux. Le Viet Nam est entré en scène vers la fin des années 1980, en augmentant sa production du robusta d’environ 500 000 sacs de 60 kg en 1986 à 12 millions par an depuis 2000, soit presque 11 % de l’offre mondiale. Voilà pour ce qui est du mapping du café.

Sur le plan national, la production de la République démocratique du Congo a sensiblement chuté : elle est passée de 120 000 à 8 000 tonnes en presqu’un demi-siècle. Pour l’instant, l’Office national du café (ONC) veut la relancer. L’objectif est de retrouver d’abord la capacité de production d’il y a une vingtaine d’années. Actuellement ; il y a plus de 300 exportateurs, mais  seulement une vingtaine est compétitive, presque tous situés dans l’Est du pays. Pour faire retrouver à la RDC sa capacité de production, l’ONC mise sur la lutte contre la maladie qui sévit dans les plantations de café. Il mise aussi sur le retour de la paix et de la stabilité car les conflits armés sont un handicap à la relance et au financement agricole.

Le représentant des producteurs et exportateurs de café, Kambale Kisomba, estime que la relance de cette filière est fonction de plusieurs éléments. D’abord, estime-t-il, il est important que l’Institut national pour les études et la recherche en agronomie (INERA) fournisse des semences améliorées et que l’ONC encadre correctement les planteurs. En effet, la relance de la filière est officiellement considérée comme « source d’une croissance économique durable » et « la lutte contre la pauvreté. »

La relance de la production ne peut se faire sans tenir compte de l’environnement international, prévient un expert. En effet, avec une production croissante, une consommation stagnante et un effondrement des prix depuis plusieurs années, la filière recherche des solutions pour sa survie. L’ONG TechnoServe, par exemple, dont l’objectif est de soutenir les entreprises agricoles dans les pays en développement et financée par l’USAID et Procter&Gamble, explore les solutions possibles. Elle en a classé trois qui possèdent le plus fort potentiel, à savoir la promotion de la consommation de café dans les pays producteurs et sur les marchés émergents; l’encouragement des producteurs de spécialités à assurer les primes du marché; la priorité à la diversification chez les producteurs marginaux sans potentiel de production pour les spécialités et les marchés de niche.

La Banque mondiale, quant à elle, recommande, faute de solutions miracle pour enrayer le déclin dramatique des prix mondiaux du café, que les producteurs s’organisent et, avec l’aide de la communauté internationale, trouvent des moyens pour diversifier leur production ou en changer. L’Organisation internationale du café (OIC) et d’autres associations, pour leur part, ont lancé des programmes de promotion générique qui incluent les marchés nouveaux et potentiels comme la Chine et la Russie, où la consommation par habitant est très basse.

La consommation est également faible dans les principaux pays producteurs, avec des exceptions telles que le Brésil ou l’Éthiopie. La Banque mondiale préconise des campagnes de promotion, comme au Brésil où sont consommés à présent presque 40 % de la production nationale. Toutefois, ces campagnes prennent souvent beaucoup de temps et d’argent avant de donner des résultats.

L’OIC a introduit, dans les résolutions 407 et 420, des normes d’exportation qui établissent des critères de qualité minimaux. Ces normes ont deux objectifs: améliorer la qualité du café en général, et, par conséquent, stimuler les consommateurs à en boire plus, et diminuer l’offre de café globale en éliminant les produits de qualité médiocre.

Certification et commerce équitable

Le café de spécialité fait principalement référence à une qualité élevée ou à des produits dotés d’une histoire ou d’un cadre particuliers, souvent liés à la durabilité. Les spécialités s’élèvent à 10 % de la production totale. Les cafés certifiés biologiques représentent environ 0,7 % de la production mondiale. Les producteurs ont en général reçu des subventions qui compensent largement le coût de la certification, le travail supplémentaire et, pour certains, des rendements plus bas. Néanmoins, les primes ont chuté ces dernières années et l’offre s’est accrue.

Les cafés certifiés issus du commerce équitable représentent environ 0,3 % de la production mondiale. Beaucoup sont également produits biologiquement. Le commerce équitable représente un schéma social impliquant notamment un label qui garantit un prix minimal de 1,26 dollar la livre franco à bord pour des cafés habituellement négociés à 0,70 dollar. Les cafés certifiés biologiques et issus du commerce équitable sont des exemples de cafés de spécialité hauts de gamme; ensemble, ils représentent cependant à peine plus de 1 % du marché. La production et les ventes sont en augmentation, mais ces niches restent relativement réduites.

Le marché du café est engorgé et les prix n’ont jamais été aussi bas au cours de ces 100 dernières années. La concurrence à l’exportation va donc être rude. Inciter les producteurs à « ajouter de la valeur » à leur café pour en tirer de meilleurs revenus est la solution communément proposée. Toutefois, une telle solution est complexe, et irréaliste pour nombre de producteurs, notamment en Afrique.

La chute des prix du café a provoqué la crise économique la plus sévère essuyée par les pays exportateurs depuis des années. Comment cela a-t-il pu arriver à l’un des produits de base les plus répandus? La production excédentaire de café est due à différents facteurs: la rapide expansion de cette denrée au Viet Nam, de nouvelles plantations au Brésil, de meilleures récoltes, un rendement supérieur, et des encouragements à augmenter la production, comme la libéralisation des marchés dans les années 1990, qui a entraîné une augmentation des parts des producteurs de café dans les prix à l’exportation.

À cela s’ajoute une demande qu’on pourrait qualifier de faible. Les analystes se concentrent souvent sur l’offre excédentaire et négligent les effets des tendances émergentes dans les marchés et des nouvelles technologies sur l’offre et la demande internationales. Ce qui est omis également, c’est que le café n’est pas un produit uniforme: la variété arabica possède un arôme délicat et atteint généralement des prix élevés, alors que le café robusta est souvent meilleur marché et plus facile à produire. La part de marché du robusta s’est énormément accrue ces dix dernières années. La qualité du produit, les coûts de production et les rapports avec les partenaires internationaux ont représenté des paramètres commerciaux durant des années.

La survie dépend du marché

Néanmoins, après plus de trois ans de production excédentaire et de bas prix, la concurrence s’est accentuée. Pour de nombreux producteurs et exportateurs, la survie de cette activité dépend entièrement de leur réponse aux exigences d’un marché de meilleure qualité et de sa constance, de la traçabilité de l’origine, de la transparence (économique, sociale et environnementale), de la capacité à fournir des produits sur mesure, et de celle d’établir à long terme des partenariats directs entre producteur et torréfacteur. Les politiciens, les groupes de défense des intérêts de la branche et les organisations non gouvernementales et internationales s’emploient à chercher des solutions.

Malheureusement, nombre de celles-ci ne sont que de mauvaises nouvelles pour des producteurs déjà aux abois. Voilà des années que  ça dure. l’idée de se reconvertir à autre activité hante les esprits.