Au sortir de l’interrogatoire marathon de Lee Jae-Young, vice-président de Samsung Electronics, dans l’enquête sur le gigantesque scandale qui a valu à la présidente Park Geun-Hye d’être destituée, le porte-parole du procureur a affirmé que celui-ci avait démenti une partie des faits, mais en avait admis d’autres. L’héritier du géant sud-coréen Samsung est rentré chez lui vendredi. Le vice-président de Samsung Electronics, fils du président du groupe Samsung, Lee Kun-Hee, et petit-fils de son fondateur, a été entendu en tant que suspect, pendant 22 heures, sur des soupçons de corruption. Il n’est pas inhabituel en Corée du Sud que des suspects ou des témoins acceptent d’être entendus pendant de longues heures afin d’éviter des convocations à répétition.
Une fusion et des questions
Le bureau du procureur spécial devait se prononcer sous deux jours, jusqu’à dimanche donc, sur l’opportunité de délivrer ou non un mandat d’arrêt à l’encontre du dirigeant, a précisé son porte-parole.
Le visage tendu par la fatigue, Lee Jae-Young n’a pas répondu aux questions des journalistes en sortant du bureau de l’équipe spéciale d’enquêteurs chargée de l’affaire. Celle-ci avait annoncé mercredi que Lee Jae-Yong était considéré comme un suspect dans ce scandale à rebondissements centré autour de l’amie de 40 ans de Park Geun-Hye, Choi Soon-Sil. Choi Soon-Sil est actuellement jugée pour avoir profité de ses relations avec Park Geun-Hye afin de soutirer des sommes astronomiques aux conglomérats sud-coréens qui ont versé des millions de dollars à des fondations privées créées par cette confidente de l’ombre. Samsung, le premier « chaebol » de Corée du Sud, est celui qui s’est montré le plus généreux envers les fondations de Choi Soon-Sil. Le géant sud-coréen est également accusé d’avoir versé des millions d’euros à Mme Choi sous couvert de financer en Allemagne les entraînements sportifs de cavaliers sud-coréens, parmi lesquels la fille de la confidente. Cela fait des mois que les enquêteurs entendent Lee Jae-Yong et d’autres cadres dirigeants de Samsung pour déterminer si le groupe a soudoyé la présidente et son amie afin d’obtenir le feu vert du gouvernement à une fusion controversée en 2015. Cette fusion entre deux unités du groupe, Cheil Industries et C&T, était considérée comme une étape cruciale pour assurer une passation de pouvoir en douceur au profit de Lee Jae-Yong.
Après plusieurs semaines de raids dans les bureaux du premier « chaebol » du pays et d’interrogatoires de ses principaux cadres, le parquet resserre ses griffes sur ce brillant diplômé d’Harvard, qui reprend les rênes de l’empire familial des mains de son père, Lee Khun hee, à l’article de la mort depuis une crise cardiaque en 2014. Un nouveau coup dur pour le groupe ébranlé par le fiasco du Galaxy Note 7 et qui tentait, depuis, de rassurer les marchés sous la houlette de son nouveau dirigeant. Les risques sont potentiellement dévastateurs pour « JY » et le conglomérat engagé dans une délicate transition dynastique.
Les enquêteurs suspectent Samsung d’avoir obtenu des faveurs politique en retour d’un « don » de 18 millions d’euros à fond géré par Choi Soon Sil, la confidente de l’ombre de la présidente Park, à l’origine du scandale qui a conduit des millions de Sud-Coréens dans la rue. Le géant de l’électronique aurait notamment offert un cheval à la fille de Choi et se serait engagé à couvrir tous les frais d’une équipe équestre, selon la presse sud-coréenne. Des pratiques qui ne surprennent pas au pays du matin calme, habitué aux connivences entre le pouvoir et les « chaebols ».
Réduire les frais de succession
Mais l’affaire est plus grave car elle menace potentiellement le montage industriel mis en place par Jae-Yong et ses deux sœurs pour assurer une transition dynastique limitant au maximum la colossale facture des droits de succession qui tombera à la mort du patriarche. Le parquet soupçonne Samsung d’avoir autorisé ses largesses à la « Raspoutine » présidentielle en retour d’un appui décisif de l’État à une controversée fusion en 2015 entre la holding Cheil et Samsung C&T. Une manœuvre jugé essentielle pour réduire la facture fiscale qui pourrait s’élever à six milliards de dollars. À l’époque, un investisseur activiste new yorkais, Elliott, avait défié Samsung affirmant que cette fusion lésait les actionnaires. Parmi eux, la Caisse nationale de retraite (NPS), la troisième plus importante du monde qui avait finalement donné son feu vert à cette fusion, malgré la polémique.
Les enquêteurs tentent de savoir si Lee Jae-Yong a soudoyé l’appui présidentiel dans ce délicat dossier lors d’une entrevue au palais en 2014. Une tablette appartenant à Choi, retrouvée par les juges, révèle de nombreux échanges par email avec des hauts cadres de Samsung. Placé sous le gril des questions parlementaires en décembre, l’héritier au look de gendre idéal a nié être au courant de ces décisions. Sa piètre prestation avait alors suscité les railleries des réseaux sociaux.
Désormais, il est menacé d’une arrestation s’il n’arrive pas à convaincre les inspecteurs, avec le risque de marcher sur les traces de son père condamné en son temps à la prison pour évasion fiscale. Un scénario désormais pris au sérieux au siège du groupe de Suwon, qui risque une nouvelle période de paralysie, à l’heure où les défis s’accumulent sur le front technologique. « Il deviendrait difficile de prendre des décisions d’investissement à risque » en son absence affirme une source du groupe, reprise par l’agence Yonhap.
Le scandale dégrade également l’image de Samsung et de l’ensemble des « chaebols » aux yeux de l’opinion publique à la veille d’une campagne présidentielle où ils seront pointés du doigt par la gauche, qui a le vent en poupe. Une victoire de l’opposition « accélèrera la réforme des chaebols ainsi qu’une augmentation des dépenses en matière sociale », juge Scott Seaman, expert au Cabinet Eurasia. Sur cette affaire, l’ire populaire n’est pas encore retombée en Corée du Sud. Les capitaines d’industrie sud-coréens, qui ont été interrogés par une commission d’enquête parlementaire pugnace, sont toujours mal vus par la population qui réclame des comptes. En tout cas, ils ont peiné à défendre leurs pratiques entrepreneuriales devant sur ce retentissant scandale de corruption qui défraie la chronique dans le pays. Les huit plus grands patrons sud-coréens, d’ordinaire réticents à toute publicité, ont été interrogés sans merci devant des millions de téléspectateurs au sujet de leurs donations à deux fondations douteuses contrôlées par Choi Soo-Sil, amie proche de la présidente Park Geun-Hye.
Mme Choi attend le jugement dans le procès contre elle pour extorsion et abus de pouvoir. Mme Park a affronté une motion de destitution qui a été adoptée, plus de 30 députés rebelles de son propre parti conservateur – le Saenuri – étant favorables au texte. La présidente est suspectée de complicité. Les auditions ont été diffusées en direct par les principales chaînes, moments très inconfortables pour des chefs d’entreprise peu habitués à répondre aux questions ou à se justifier. « Vous êtes au courant de quelque chose ? », s’était moqué un député alors que le patron de facto de Samsung, Lee Jae-Yong, disait ignorer qui au sein du groupe avait autorisé les transferts de liquide pour financer la formation équestre de la fille de Mme Choi en Allemagne. « Vous croyez faire du bon travail à la tête d’une compagnie mondiale comme Samsung en prétendant que vous ne savez pas ? », avait lancé le député.
Les « faiblesses » de Samsung
« J’ai tant de faiblesses et Samsung a des choses à corriger », avait répondu JY comme on lui demandait s’il était d’accord pour considérer que les entreprises étaient en collusion avec la confidente de l’ombre. « Cette crise m’a fait prendre conscience que nous avons besoin de changer pour répondre aux attentes du public », avait-il dit, suscitant l’exaspération d’un député: « Arrêtez vos réponses et vos excuses ridicules! ». Premier conglomérat du pays, Samsung est celui qui s’est montré le plus généreux en donnant aux fondations de Mme Choi 20 milliards de wons (17 millions de dollars), suivi par Hyundai, SK, LG et Lotte.