Lithium de RDC : beaucoup de questions mais très peu de réponses !

L’arrêt sur l’image est encore prégnant dans les esprits. Le 14 décembre 2022, à Washington, le président Tshisekedi et son homologue zambien Hichilema adoubent le protocole d’accord entre les aux États-Unis, la RDC et la Zambie pour développer une chaîne de valeur dans la production des batteries des voitures électriques. Qu’est-ce qui va se passer, avec la tourmente dans le monde aujourd’hui sur l’« or blanc » ?

Quelle est l’intention des États-Unis de vouloir sécuriser la filière du lithium entre la RDC et la Zambie ?

WASHINGTON veut sécuriser la filière zambienne d’approvisionnement en batteries pour véhicules électriques. C’est en soutien aux réformes engagées par Hakainde Hichilema, le président zambien, en vue de redresser son pays. Cela explique la présence d’Anthony Blinken, le secrétaire d’État américain, à la signature d’un protocole d’accord entre la République démocratique du Congo/RDC et la Zambie portant sur le lithium, en marge du sommet USA-Africa.

Apparemment, c’est l’aboutissement d’un pari fou que Kinshasa et Lusaka tiennent à gagner en développant une chaîne de valeur régionale autour de l’industrie de fabrication des batteries des véhicules électriques, d’un marché des véhicules électriques et des énergies propres. La RDC et la Zambie avaient lancé le défi de la co-construction d’une industrie dont le marché des véhicules représente 8,8 milliards de dollars d’ici 2025 et 46 milliards de dollars à l’horizon 2050, lors des assises du DRC-Africa Business Forum, les 23 et 24 novembre 2021 à Kinshasa. 

Pour rappel, des dirigeants africains et des représentants des entreprises étaient venus à ce rendez-vous voulu grand par le gouvernement congolais. Le DRC-Africa Forum était organisé par le ministère congolais de l’Industrie en partenariat avec la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique/CEA, la Banque africaine de développement/BAD, Afreximbank, Africa Finance Corporation, la Banque arabe pour le développement économique en Afrique, la Facilité africaine de soutien juridique et le Pacte mondial des Nations Unies. L’objectif de ce meeting de Kinshasa était de « transformer le rêve en réalité » concernant le futur des batteries et des véhicules électriques en Afrique, « en développant des chaînes de valeur liées aux ressources minières utilisées dans les batteries électriques (cobalt, cuivre, lithium, manganèse, nickel, graphite) ». 

Débats critiques

Plus d’un an après cette rencontre, on est encore à se demander si la perspective est bien observée.S’agit-il tout simplement de combler un déficit éternel d’industrialisation ? Est-ce une urgence de mesures pour la croissance économique ou l’aveu d’un manque de vision économique dans le pays ? D’où, c’est sûr, on assiste à des débats critiques à propos du lithium. Trop de questions mais peu de réponses précises.

En appelant à cet événement, les organisateurs y voyaient un moyen de tirer profit de la transition mondiale vers les énergies vertes, l’utilisation de l’électricité dans les systèmes de transport et la décarbonation des économies. Un pari ambitieux, il faut l’avouer, ce qui a expliqué sans doute la présence à Kinshasa aux côtés de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la RDC, de Hakainde Hichilema, le président de la Zambie, ainsi que des représentants du président du Gabon et du roi du Maroc. 

« Nous restons mobilisés avec d’autres partenaires pour soutenir le développement de l’industrie des batteries en Afrique, en commençant en RDC », avait déclaré Akinwumi A. Adesina, le président de la BAD. D’après lui, les véhicules électriques sont une révolution et une occasion unique pour l’Afrique de transformer ses richesses naturelles en une prospérité durable pour tous : « Ce qui serait, en soi, une grande révolution. Appuyons sur les pédales ! Accélérons et transformons ce rêve en réalité ! »

Pour Félix Antoine Tshisekedi, le moment est venu de passer de l’économie brune à l’économie verte mais aussi de saisir l’occasion de transformer les minerais sur place : « Ce Forum constitue une véritable opportunité d’accorder nos vues sur les enjeux du développement en Afrique et sur le processus de la transformation structurelle du continent. Il constitue un cadre adéquat pour passer d’une croissance brune à une croissance verte, plus résiliente et diversifiée. » 

D’après le président congolais, la transition mondiale vers une économie verte était une exigence : « L’Afrique compte 60 types de minerais et dispose du tiers des réserves mondiales de minerais. Ces assises nous donnent l’occasion de capitaliser les occasions d’investissement. Une meilleure intégration des producteurs de minerais contribuera à l’augmentation des richesses et à la création d’emplois et de nouvelles compétences pour les jeunes. » 

« On est encore à se demander si la perspective est bien observée. S’agit-il tout simplement de combler un déficit éternel d’industrialisation ? Est-ce une urgence de mesures pour la croissance économique ou l’aveu d’un manque de vision économique dans le pays ? »

Quant à lui, Hakainde Hichilema avait appelé les pays africains à saisir l’occasion de transformer leurs ressources minières : « L’objectif de ce dialogue consiste à changer les choses. Nous devons apporter de la valeur à nos produits, ce que nous n’avons pas fait pendant des siècles. Maintenant, nous devons casser l’image d’un simple continent producteur de matières premières. » D’après lui, la Zambie est disposée à investir et coopérer avec les autres pays de la sous-région sur cet objectif. 

Aveu d’échec ?

Pragmatique, le président zambien a tracé plusieurs axes, à savoir encourager et faciliter les investissements, mettre en œuvre la vision de transformation et les aspirations pour le renforcement des capacités de production collectives, élaborer des politiques et instruments continentaux pour appuyer la transformation des matières premières, en partenariat avec les partenaires et banques de développement, entreprendre des réformes clés…

Commentant à chaud les assises du DRC-Africa Forum, Jean Tsholola Tshibanjila, professeur d’économie à la retraite, s’était dit fasciné par le discours du Zambien Hichilema. Pour lui, il venait de faire un aveu d’échec sur le modèle économique ou la stratégie politique mise en place depuis les indépendances à partir de 1960. Aujourd’hui, Jean Tsholola reconnaît que les batteries des voitures électriques sont actuellement bien au cœur des débats. Mais qu’en est-il réellement, se demande-t-il. 

En tout cas, comme bien d’autres observateurs, il doute sur « la capacité stratégique et tactique de la RDC dans son ambition de produire localement des batteries en lithium et développer une chaîne de valeur régionale autour des véhicules électriques et des énergies propres ». Pourquoi ? « Eh bien, l’État est sans vision », tranche-t-il dans le vif.

Il n’empêche, la RDC veut capter une partie des 8 mille milliards de dollars de revenus venant de la vente des véhicules électriques à l’échéance 2025 et 46 mille milliards d’ici 2050. La RDC qui exporte encore ses ressources minières à l’état brut, compte sur sa réserve de 400 millions de tonnes de lithium et 25 millions de tonnes de cobalt pour alimenter cette industrie des batteries électriques. 

En novembre 2021, Jean-Michel Sama Lukonde, le 1ER Ministre, avait annoncé sans attendre la création d’une structure avec pour mission de piloter la politique gouvernementale et le développement de la chaîne de valeur régionale autour de l’industrie des batteries électriques, du marché des véhicules et des énergies brutes, ainsi que celle d’un cadre par lequel les secteurs public, privé et l’ensemble de la population congolaise devront participer au financement de l’industrie des batteries électriques. 

« Développer une chaîne de valeur régionale sous-entend que les entreprises qui vont investir, devraient être majoritairement constituées des capitaux africains. Quelle sera la participation des nationaux au capital des entreprises communes ? », demande à savoir Jean Tsholola. « Ce n’est un secret pour personne, la RDC ne profite pas suffisamment des richesses de son sous-sol qui sont captées ailleurs. Les minerais constituent 98 % des exportations du pays mais ne contribuent qu’à environ 18 % du PIB et des recettes publiques. Ils ne participent qu’à peine à 11 % de l’emploi créé, selon les chiffres de la Fédération des entreprises du Congo/FEC », fait-il remarquer. Problème de vision politique ? « En tout cas, cela en a bien l’air ou y ressemble fort », déclare ce professeur à la retraite.