CE N’EST vraiment pas dans l’ADN de l’Observatoire de la Dépense publique (ODEP) de faire les choses à moitié. Chaque rapport ou chaque action de cette organisation de la société civile résonne comme un vent de guerre. La situation à la société de transport en commun Transco ne laisse pas indifférent l’ODEP qui a décidé de réagir avant que le pire ne vienne donner un coup de grâce à cette entreprise publique créée en 2013.
Pour le compte de cette organisation de la société civile qui fait trembler les institutions dans notre pays, Florimond Muteba Tshitenge qui en est le président du conseil d’administration, a déposé une plainte en dénonciation au parquet de la Cour d’appel de Matete. C’est un choix délibéré, dit-il, qu’il faut mettre sur le compte de la symbolique, parce que c’est de ce parquet est partie l’instruction judiciaire dans les affaires liées au grand dossier des 100jours du président de la République.
Au total, 130 pièces à conviction qui bétonnent la plainte en dénonciation. « C’est une plainte qu’il faut prendre au sérieux et pour laquelle l’ODEP ne souhaite qu’une chose : que justice soit rendue », commente Florimond Muteba Tshitenge. En effet, l’ODEP fait de la situation au sein de Transco une affaire nationale. « Il n’y a pas que les travailleurs de Transco qui sont victimes de la situation. Il y a aussi tous les Congolais, les premiers bénéficiaires des bus Transco qui sont aussi concernés. L’État a investi beaucoup d’argent dans cette société depuis sa création. Les Congolais ont le droit de savoir pourquoi les bus ont disparu de la circulation, et pourquoi la société ne va pas de l’avant », déclare le président du conseil d’administration de l’ODEP.
Qui préconise des mesures conservatoires, par exemple, la suspension du comité de gestion de la société, en attendant l’aboutissement en justice de sa plainte. Ça n’st que la première étape de la démarche de l’ODEP, qui recommande aussi le redressement de l’entreprise dans la perspective de l’arrivée des 450 nouveaux bus commandés au Brésil.
Secteur en crise
La crise dans Transco est ravivée par une autre crise, celle de la pandémie de coronavirus. Le secteur des transports en général a connu un repli, au 1er trimestre de 2020. Des observateurs indiquent qu’il devrait même voir la situation se détériorer davantage sur le reste de l’année à cause du Covid-19. Avec la réduction de ses vols de près de 80 %, par exemple, Congo Airways, la compagnie aérienne nationale, va encourir un manque à gagner de 40 millions de dollars. Avec la baisse des vols, la Régie des voies aériennes (RVA) a connu un manque à gagner de 23,1 millions de dollars de mars à avril. Les mesures de restriction de la mobilité et de limitation des passagers dans les bus et taxis ont rongé les recettes journalières de Transco de 90 %. De mars à avril, la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC) a perdu 3,3 millions…
L’ODEP suit avec la plus grande attention l’exécution du programme de riposte au coronavirus et des mesures économiques prises par le gouvernement pour limiter l’impact de la pandémie sur les ménages et l’activité économique en RDC. L’ODEP a salué les mesures prises par le gouvernement. Cependant, soutient l’Observatoire de La dépense Publique, l’urgence de la maladie et la nécessité d’y apporter des réponses ne doivent pas être brandies comme prétexte pour s’écarter de la bonne gouvernance. C’est que veut l’ODEP, c’est du réalisme politique et financier pour obtenir des solutions plus crédibles et éviter de tomber dans la corruption et le détournement de deniers publics comme avec le programme des 100 jours du chef de l’État.
Actuellement, Transco est dans l’attente de 450 nouveaux bus dont l’annonce a été faite en août dernier par Didier Mazenga, le ministre des Transports et des Voies de communication. Mais ces bus qui attendent l’ouverture des frontières brésiliennes, fermées à cause du Covid-19, pour être acheminés en République démocratique du Congo, ne sont que l’arbre qui cache la forêt. De 500 bus à la création de la société, il n’en reste plus aujourd’hui qu’une soixantaine en état de rouler. La plupart des bus qui sont lancés dans le trafic, tombent souvent en panne. Bref, les bus Transco ne sont plus visibles comme auparavant sur les artères de Kinshasa, accentuant ainsi les difficultés de transport en commun.
Par ailleurs, les arriérés des salaires s’amoncellent. Les agents de Transco sont impayés depuis plus de six mois. Le Fonds de promotion de l’industrie a été mis à contribution pour le paiement des salaires. Des agents ont été mis en congé technique, d’autres travaillent à tour de rôle… Le manque à gagner par mois est évalué à 400 000 dollars.
Subvention de l’État
Selon un rapport de l’ODEP, Transco paie le lourd tribut de la mauvaise gestion de ses dirigeants qu’il qualifie « d’escroquerie d’État ». L’ONG s’est penchée sur les passations des marchés, les dotations en carburant et les salaires des agents. Par exemple, sur les 900 000 dollars versés à la société de distribution des produits pétroliers Cobil pour le carburant, Transco n’en consommait que pour 300 000…
L’ODEP demande aussi des poursuites judiciaires contre deux anciens ministres des Transports et des Voies de communication, dont José Makila Sumanda (actuellement sénateur) à propos d’un emprunt bancaire de 910 000 dollars en décembre 2018. Au cours de cette année, Transco s’est endettée pour plus de 8 millions de dollars sans pour autant avoir relancé ses activités. José Makila Sumanda avait l’intention non seulement de pérenniser les projets Transco et Esprit de vie, mais il envisageait surtout de les étendre aux provinces.
Selon des témoignages des agents, l’entreprise tiendrait encore grâce à la subvention de l’État, en termes de livraison du carburant et des lubrifiants. Par exemple, Transco a réalisé 25,9 millions de dollars en 2015. La publicité sur les bus a rapporté plus de 100 000 dollars. Aucune redevance n’a été payée. À fin décembre 2015, Transco comptait 2 714 agents. Les salaires du personnel ont coûté environ 19 millions de dollars. Les dépenses liées à l’achat du carburant et des lubrifiants sont passées presque du simple au double : de 7 millions de dollars en 2014 à 13 millions en 2015. Le carburant et les lubrifiants représentent 34,35 % des charges totales, soit le second poste des dépenses après la prise en charge du personnel.