Main basse sur les écoles

Un rapport  récent de Human Rights Watch évoque les exactions commises par des hommes armés dans les établissements d’enseignement dans l’Est du pays et qui menacent à la fois la poursuite des études et l’intégrité physique des élèves.

Des hommes armé dans une école de l’Est du pays.
Des hommes armé dans une école de l’Est du pays.

L’occupation des écoles par des hommes armés de tous bords est un grand préjudice à l’avenir des jeunes congolais vivant dans l’Est du pays. C’est le  constat du dernier  rapport de l’ONG américaine Human Rights Watch intitulé « Notre école devint un champ de bataille » sur la situation des écoles au Nord-Kivu et au Sud-Kivu. Les faits qui y sont documentés, se sont produits entre 2012 et 2015. Il s’agit de l’utilisation des écoles comme lieux de recrutement des enfants soldats et à des fins militaires. Les auteurs de cette grave atteinte à l’intégrité physique des écoles, des élèves et de leurs encadreurs sont pointés du doigt: l’armée nationale et les divers groupes armés qui pullulent dans les deux Kivu. Ce sont, notamment, les miliciens Nyatura, les Mai Mai sous leurs diverses déclinaisons (Sheka, Kifuafua, Simba, Yakutumba…), les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda  (FDLR) et le M23. Mais aussi l’Alliance du peuple pour un Congo libre et souverain(APCLS), le groupe Raia Mutomboki, l’Union des patriotes congolais pour la paix (UPCP).

Lieux d’enrôlement et d’attaque contre les élèves

Le rapport  de Human Rights Watch décrit dans les moindres détails la manière dont les écoles de cette partie du pays sont devenues la cible des attaques menées par l’armée régulière et les groupes armés. D’après les auteurs, les hommes en armes enrôlent des enfants, soit dans les écoles ou lorsqu’ils s’y rendent, pour les utiliser lors de combats ou dans des rôles d’appui pour les combats. C’est ainsi que d’innombrables jeunes filles ont été enlevées dans des écoles pour être violées ou réduites à l’état d’« esclaves sexuelles ». La peur de l’enlèvement et des violences sexuelles, poursuit Human Rights Watch, empêche beaucoup d’enfants d’aller à l’école. Les parents ne scolarisent parfois pas leurs enfants de peur que les groupes armés ne leur demandent le paiement de « taxes » officieuses imposées aux civils.

S’ils n’enrôlent pas par la force, ni ne violent les filles, les hommes en armes s’emparent des écoles à des fins militaires. Parfois, souligne le rapport, ils ne prennent que quelques classes ou la cour de récréation.  D’autres fois, les armées convertissent une école entière en base militaire, casernes, terrains d’entraînement ou dépôts d’armes et de munitions. Les troupes qui occupent les écoles exposent élèves et professeurs à des risques tels que le recrutement illégal, le travail forcé, ainsi que les violences sexuelles. L’utilisation des écoles à des fins militaires détériore, endommage et détruit les infrastructures scolaires déjà insuffisantes et de piètre qualité… », poursuit l’ONG américaine.

Les abus perpétrés

Human Rights Watch a mis en évidence les abus perpétrés indistinctement par l’armée régulière et par les principaux groupes armés ou milices. Le rapport a recensé des cas d’agression contre les élèves et les enseignants au sein de leurs écoles, tout comme sur le chemin de l’école. Selon le rapport, les combattants Maï Maï Sheka ont violé au moins 25 filles âgées de 13 à 17 ans à Pinga, dans le Nord-Kivu, entre 2012 et 2013. Les victimes de ces atrocités ne bénéficient ni de soins médicaux, ni d’aide psychologique, pourtant cruciaux pour elles. À ce propos, Human Rights Watch recommande au gouvernement de faire bénéficier aux victimes de soins médicaux et de soutien psychologique.

L’occupation militaire des écoles dans les deux provinces du Kivu a pour conséquence immédiate l’abandon forcé de l’école. Selon HRW, le Nord-Kivu enregistre la plus grande proportion d’enfants âgés de 5 à 17 ans non scolarisés du pays, avec 44%. Le Sud-Kivu est la cinquième province la plus touchée, avec 30% d’enfants non scolarisés. Pour les enfants en âge d’aller à l’école primaire, le Nord-Kivu détient là aussi la plus forte proportion d’enfants non scolarisés du pays avec 40%, tandis que le Sud-Kivu vient en cinquième position avec 27%. La probabilité qu’un enfant du Nord-Kivu n’aille jamais à l’école est supérieure à celle d’un enfant vivant ailleurs dans le pays. Seuls 79% entreront à l’école avant d’atteindre l’âge de 12 ans. En outre, un enfant scolarisé dans le Nord-Kivu a davantage de probabilités de ne pas accomplir douze années de scolarité (40% quittent l’école). Le Sud-Kivu vient en troisième position, avec 37% des élèves qui abandonnent l’école.

La déperdition scolaire due à la peur de l’enlèvement, de l’assassinat et du viol a augmenté de 8% pour les enfants âgés de 5 à 17 ans non scolarisés dans le Nord-Kivu. Ce taux s’élève à 10% dans le Sud-Kivu. La déperdition scolaire est de 29% dans toute la République démocratique du Congo. Plusieurs raisons l’expliquent : faiblesse des revenus et niveau d’instruction peu élevé des parents, manque de places dans les écoles, mariages précoces des enfants, financement insuffisant de l’éducation et travail des enfants dans l’agriculture et les mines. Selon l’Unicef, cité dans le rapport, au moins 240 000 élèves ont manqué des semaines d’école en raison du conflit armé entre avril et décembre 2012.

Violence gratuite

Le 4 octobre 2012, le gouvernement avait adopté un plan d’action pour la prévention du recrutement et l’utilisation des enfants, des violences sexuelles et autres graves violations des droits de l’enfant par les forces armées nationales et d’autres forces de sécurité. En juillet 2014, le président Kabila nommait Jeannine Mabunda Lioko Mudiayi au poste de conseillère spéciale sur les violences sexuelles et le recrutement des enfants dans les conflits armés. Le gouvernement a travaillé de concert avec ses partenaires pour sortir les enfants soldats de l’armée et prévenir l’incorporation dans l’armée des enfants issus de groupes armés. Pourtant, de nombreux groupes armés ont continué à attaquer des écoles, des élèves et des enseignants. Ils ont pillé des établissements scolaires, enlevé et recruté des enfants dans la cour de récréation ou sur le chemin de l’école. En avril 2012, témoigne un directeur d’école, sept de ses élèves ont été enlevés par les combattants de Bosco Ntaganda alors qu’ils rentraient chez eux après l’école.

Lorsque les Mai Mai Sheka ont occupé Pinga au Nord-Kivu, en 2012 et 2013,  Human Rights Watch a recensé le viol d’au moins 25 jeunes filles âgées de 13 à 17 ans commis par ces combattants. Seize d’entre elles sont tombées enceintes. L’ONG décrit d’autres attaques violentes, notamment celle perpétrée, le 26 juillet 2012, par des combattants du M23 qui avaient obligé un enseignant dans la localité de Gisiza de transporter des boîtes de munitions de Kabaya au camp militaire de Rumangabo. Lorsqu’il a tenté de fuir, l’enseignant a été abattu d’une balle dans le dos.

Utilisation  des écoles à des fins militaires

La destruction des bâtiments scolaires est l’une des graves conséquences de l’utilisation des écoles à des fins militaires. Selon Human Rights Watch, la présence d’hommes en armes dans les écoles a endommagé les bâtiments, les équipements scolaires ainsi que le matériel d’apprentissage. De nombreux groupes armés ont attaqué les écoles, les élèves et les enseignants. Ils ont pillé les établissements scolaires. À ce propos, le directeur d’une école primaire d’Ufamandu dans le territoire de Masisi, au Nord-Kivu, témoigne au sujet de son école entièrement détruite lors d’une attaque perpétrée par les FDLR en novembre 2012. Bilan: des meubles emportés, des livres brûlés, des documents scolaires endommagés. Même situation dans une école de Pinga. Tout cela est l’oeuvre aussi bien de l’armée régulière que des groupes armés.

Les écoles ont été utilisées comme bases militaires et logements provisoires. Lorsque le M23, rapporte Human Rights Watch, a pris le contrôle de Goma en novembre 2012, des soldats de plusieurs unités ayant battu en retraite autour de Minova, à 50 km de Goma, ont occupé au moins 42 écoles, empêchant plus de 1 100 enfants d’accéder aux bâtiments, selon une enquête du Bureau des Nations unies aux droits de l’homme. Une directive du ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants datant de 2013 interdit pourtant les attaques contre des écoles, la réquisition et la destruction d’écoles notamment par des militaires. Parfois, lorsque la volonté politique y est, l’armée régulière, se comporte avec dignité. Pour preuve, HRW révèle l’ordre donné par le commandant des FARDC au Nord-Kivu, en décembre 2013, à ses troupes d’évacuer des écoles occupées par les FARDC. Ce qui fut fait.

Pourquoi donc les hommes armés en République démocratique du Congo ne respectent-ils pas la réglementation internationale sur la protection des écoles contre l’utilisation militaire ? Des bonnes pratiques de protection des infrastructures de base comme les écoles, les hôpitaux et les unités sanitaires sont de mise dans plusieurs pays tels que les Philippines, la Colombie et le Soudan. Human Rights Watch exhorte les hommes armées en République démocratique du Congo à suivre l’exemple de ces pays. En outre, les bâtiments scolaires occupés par des militaires ou des miliciens se transforment en cibles potentielles. Le danger d’être attaqué est réel. Surtout pour une école transformée en lieu d’entraînement militaire ou en dépôt de munitions et d’armes. Les FARDC, indique le rapport, ont fréquemment utilisé les locaux scolaires pour les exercices militaires à Bweremana, dans le Sud-Kivu. Le M23 avait fait de même dans une école primaire à Shengerero dans le Nord-Kivu. Dans ces deux cas, l’école est visiblement transformée en objectif militaire en cas d’attaque. Même une fois les locaux évacués, l‘école peut demeurer dangereuse pour les enfants si les troupes laissent derrière elles armes et munitions. Human Rights Watch recommande aux FARDC et aux groupes armés de ne pas utiliser les infrastructures et biens scolaires comme camps, sites de déploiement ou dépôt de munitions. Ce rapport est fondé sur des entretiens menés avec plus de 120 personnes, notamment des élèves, des enseignants, des parents, des administrateurs d’école, des responsables de villages, des chefs religieux, des représentants du ministère de l’Enseignement primaire et secondaire.