Orakle, briseuse de codes

Diplômée en droit public, cette trentenaire ne jure que par le rap, généralement pratiqué par des hommes à Kinshasa. Dans ses chansons, deux thématiques prédominent : la condition féminine et la vie au quotidien. Portrait.

C’est chez elle, dans la commune de Lingwala que Yollande Yowa  Ngoy, alias Orakle, nous reçoit. Taille imposante, elle porte une robe noire sans manches et chausse des tongs. Très vite, elle s’excuse, un sourire en coin: « Il y a Yollande, d’une part, et Orakle, de l’autre. Un artiste se doit de vendre son image. À la maison, je ne peux pas être Orakle devant mes enfants, ni devant mes frères et sœurs. Je m’efforce d’être, pour eux, Yollande ».

C’est à l’âge de 12 ans que Yollande Yowa Ngoy monte pour la première fois sur un podium. « C’était pour rapper et danser. Toute petite et svelte, j’avais la bénédiction de mon père », précise la jeune femme. Dans le paysage musical congolais, les rappeuses sont une espèce  rare. D’où les critiques, parfois acides, à son égard. « Devenir rappeuse n’est pas un accident de l’histoire pour moi, comme d’aucuns ne cessent de le dire en me dénigrant. Plus qu’une passion, cette musique est une force pour  moi. Quand je regardais les rappeurs à la télévision, j’étais impressionnée par leur liberté d’expression. Je me disais en moi-même qu’il y avait une force qui transcendait ces gens et les poussait à dire certaines choses le plus tranquillement du monde… », souligne la chanteuse. Petit à petit, elle se mit à écrire des textes, « pour dire les choses sans détour ». 

La musique doit être un canal par lequel on doit faire passer un message, et non pas un lieu où l’on se fabrique un univers imaginaire 

Le fait de chanter le quotidien ne lui garantissait pas pour autant une brillante carrière. Elle le savait. C’est pourquoi elle a eu besoin d’une force de caractère afin de faire face aux railleries dues, notamment, à sa voix d’homme lorsqu’elle chante. « Bizarrement, je n’ai pas de voix féminine quand je suis sur scène. Il faut venir me voir chanter pour être convaincu que je suis bel et bien une femme », dit-elle d’un air sérieux. Que sa carrière ait connu des hauts et des bas au début, quoi de plus normal. « Pour survivre dans les milieux du hip hop congolais, dominé quasiment par les hommes, je devais marquer mon territoire sans marcher sur les plates-bandes des autres, ni faire des chichis. Je prenais ce qui était à moi, en gardant ma dignité de femme et en respectant les autres », insiste-t-elle.

S’imposer sans tricher 

Le défi paraissait bien surdimensionné, dans un univers où les personnages sont de plus en plus artistiquement fabriqués. Le métier de chanteuse exige un look et un mode de vie pour dégager quelque chose d’original. Pour marquer sa relation avec le rap, Yollande Yowa Ngoy a choisi un nom, un look… Sur scène, elle est « Orakle, briseuse de codes ». Son look ? Des cheveux multicolores en ordre de bataille et un habillement de garçon. Orakle définit sa relation avec le rap comme un retour à ce qu’elle était avant de venir à la musique : « une rappeuse dans l’âme ». « Pour moi, le rap n’est pas un phénomène nouveau dans ma vie. Je l’avais déjà en moi », indique la jeune femme. Mais, en réalité, l’heure n’était pas encore venue pour  qu’elle fasse ses premiers pas dans la musique comme chanteuse. En 1995, le destin lui arrache son père.

Placée sous la tutelle d’un oncle paternel, elle se retrouve à Kikwit et y poursuit ses études. En 2000, elle obtient son diplôme d’État en pédagogie générale. La voilà de retour dans la capitale. Et elle s’inscrit à la faculté de droit à l’université de Kinshasa. Très vite, elle se fait remarquer. Ce qui lui vaut d’être nommée « ministre des Affaires sociales » dans le « gouvernement des étudiants de l’UNIKIN ». « Je n’étais pas le genre de filles à agir dans l’ombre », confie-t-elle. Deux ans plus tard, son activisme lui coûte cher : à la suite d’une manifestation au cours de laquelle les étudiants saccagent le bâtiment administratif de l’UNIKIN, Yollande Yowa est exclue. Aujourd’hui, elle assume : « J’en faisais partie et certains de nos condisciples ont même été incarcérés  ».

La déprime 

L’exclusion de l’université laisse des séquelles. « Suite à cette exclusion, il y a eu un moment de flottement moral dans ma vie. Deuxième d’une famille de quatorze enfants, j’avais pas mal de soucis pour moi-même et pour ma famille. Après tout, je me disais à moi-même que je n’avais plus d’autre choix que ma voix pour rebondir dans la vie » , avoue -t-elle avec un brin de tristesse. C’est ce blues qui la stimule. Une année de passage à vide plus tard, la jeune femme reprend les études à l’université libre de Kinshasa. C’est là qu’elle obtient sa licence en droit public.

Ses premiers pas dans la musique, elle les fait à l’Institut français de Kinshasa. En 2004, Narcisse Baya et les Bawuta Kin y organisaient un concert, au cours duquel ils ont donné à d’autres rappeurs l’opportunité de s’exprimer. « Non seulement j’étais la seule fille à saisir sa chance, mais j’étais surtout  la dernière à monter sur scène. Cela me manquait énormément », se souvient Orakle.

Le droit et le rap

Pour elle c’était le déclic. En 2005, avec Zadio Kabasele, Orakle crée le Wonderful Music Group. Elle se retrouve à cheval entre le rap et ses études de droit. « Je me rappelle qu’à la fin de mon premier cycle à l’université, j’étais stagiaire au parquet et j’ai obtenu un voyage pour me produire à un festival. Pour convaincre mon encadreur de me laisser partir, je lui ai fait savoir que c’était avec le produit de ma musique que je payais mes études », explique Orakle. « Nul doute que le droit et le rap sont deux passions dans ma vie. C’est une seule et même chose, car, dans les deux cas, je suis dans un rôle de défenseur d’une cause. C’est cela ma motivation ».

D’après Orakle, un rappeur se doit de dire des choses vraies. « Je suis agacée quand je vois mes frères qui évoluent dans le monde du hip hop dire parfois des choses fausses, alors qu’il y a tant à dire sur ce qu’on vit au jour le jour », fustige-t-elle.

Ce qui la révolte le plus, ce sont les clips dans lesquels ses confrères rendent un culte à l’argent qu’ils n’ont pas ; exhibent des belles filles dont ils ne peuvent pas conquérir le cœur… Dans « sa » philosophie de la musique, le hip hop est un point de convergence pour les artistes, même s’ils ne partagent pas les mêmes idées. « La musique doit être un canal par lequel on doit faire passer un message, et non pas un lieu où l’on se fabrique un univers imaginaire », conclut-elle.