Marché des capitaux : bouffée d’oxygène pour les entreprises

Une bourse de valeurs financières à Kinshasa ? Il y a quelques années, cela faisait rire tout spécialiste de l’économie congolaise. Aujourd’hui, les fondamentaux qui se remettent en place donnent à penser que les conditions sont désormais réunies pour passer à l’acte. Décryptage.

Monétariste et ancien cadre de la Banque du Zaïre, Jean Ditomene Mbemba suit de près l’évolution de l’économie congolaise. Interrogé sur l’opportunité d’un marché de capitaux au Congo, il pense que les conditions sont, pour le moment, réunies afin que cela devienne une réalité. « En effet, les fondamentaux de l’économie se reprennent, l’état des finances publiques s’améliore, la monnaie nationale retrouve sa stabilité, le système financier coiffé par un secteur bancaire en restructuration s’efforce de constituer le levier solide d’une bourse et le climat des affaires infesté par la corruption est en train d’être assaini… », explique Jean Ditomene Mbemba. « Si certains pays africains se sont déjà dotés d’un marché de capitaux, alors pourquoi pas le Congo ? La balle est dans le camp du gouvernement pour poursuivre, avec ténacité, le train de réformes économiques afin que Kinshasa se dote dans un proche avenir d’une bourse de valeurs financières », poursuit-il.

D’une part, dit-il, les entreprises œuvrant au Congo ont du mal à trouver un financement suffisant pour leur implantation ou leur extension. « Elles demeurent toutes tributaires du secteur bancaire aux ressources souvent limitées et incapable, à lui tout seul, de financer les énormes besoins d’une économie en voie d’expansion. Il en va de même du gouvernement qui bute contre l’insuffisance de liquidités pour assurer le développement du pays », précise Ditomene Mbemba.

Améliorer les conditions

D’autre part, selon des sources bancaires, l’épargne du pays est évaluée à quelque cinq milliards de dollars, mais les trois quarts de celle-ci sont encore thésaurisés faute de pouvoir trouver des valeurs sûres de placement. À ces ressources internes, il convient d’ajouter les dépôts bancaires des ressortissants congolais dans les banques étrangères que le Fonds monétaire international (FMI) évalue à plus d’un milliard de dollars. Ils peuvent rebrousser chemin comme cela a été observé en Amérique latine, si les conditions s’améliorent. D’après le monétariste, la création d’une bourse des valeurs financières peut appuyer l’effort du secteur bancaire à attirer ces fonds et d’autres en provenance de l’extérieur dans un monde où, grâce à la magie des nouvelles technologies de l’information et de la communication, les marchés financiers sont intégrés et interconnectés. L’émergence d’un marché de capitaux est donc à même de résoudre les problèmes et des épargnants et des investisseurs.

Le baromètre

C’est pour répondre à de tels besoins d’ailleurs que des pays africains commencent à mettre en place des marchés de capitaux ou des bourses de valeurs financières. Ils existent déjà en Algérie, au Cameroun, au Maroc, en Égypte, en Tunisie, en Côte d’Ivoire, au Zimbabwe, au Nigeria, en Afrique du Sud, au Kenya… Cinquante-cinq ans après l’indépendance, le Congo n’a pas toujours une telle structure. L’importance de la bourse dépasse le seul cadre de mettre en contact les épargnants – à la recherche d’opportunités de placement à travers l’acquisition de titres de valeurs mobilières d’entreprises, des fonds publics, des devises, des matières premières – et les investisseurs en quête de liquidités. La bourse joue également un rôle de baromètre de l’activité économique dans la mesure où elle distingue les économies nationales performantes de celles qui le sont moins, mais elle indique aussi l’état de santé des entreprises et des secteurs économiques », fait remarquer Jean Ditomene Mbemba.

Sans le marché de capitaux, souligne-t-il, le capitalisme dont il demeure un instrument privilégié, n’aurait pas pu progresser si rapidement et connaître des jours heureux. « En manquer pour un pays est un signe manifeste de sous-développement et de dépendance aux seules ressources de l’aide publique au développement dont on connaît, par ailleurs, l’impact limité », précise-t-il. Conscient qu’il faut une dose de prudence dans la mise en place d’un marché des capitaux au Congo : « L’embryon du secteur financier national qui est constitué de la Banque centrale, des banques commerciales, de la Société nationale d’assurances (SONAS), de l’Institut national de sécurité sociale (INSS), des coopératives d’épargne et de crédit, ainsi que des institutions de microfinance, exige des réformes en profondeur pour pouvoir jouer son rôle de levier à une bourse », déclare-t-il.

L’univers financier national est encore fragile parce qu’il continue à souffrir de plusieurs aléas : le secteur bancaire, cheville ouvrière du marché des capitaux, sort à peine d’une longue période d’agonie; la SONAS est handicapée par un monopole qui ne lui permet pas de faire face à une concurrence que tout le monde appelle de tous ses vœux. Par ailleurs, la seule caisse de retraite, l’INSS, désuet, est incapable de rémunérer ses affiliés, alors que la Société financière pour le développement (SOFIDE), la seule société nationale de développement, est tombée en faillite. Outre la réforme du secteur bancaire, il y a le problème crucial de l’épargne estimée entre 6% et 14% du produit intérieur brut (PIB), tandis que les besoins d’investissement sont de l’ordre de 20% à 30% du PIB. « Qu’à cela ne tienne, si la création d’une bourse tient à des facteurs domestiques pour mobiliser l’épargne nationale, elle constituera, dans un monde devenu village planétaire, un moyen, pour les pays en déficit d’épargne, de capter le surplus dans les autres pays », relève Ditomene Mbemba. C’est le cas de Wall Street qui draine annuellement quelque 600 milliards de dollars des épargnants chinois, aidant ainsi le gouvernement fédéral américain à éponger ses déficits publics.

Un bon climat des affaires

D’où la nécessité d’avoir au pays un bon climat des affaires. Selon le classement de Transparency International, le Congo est toujours parmi les pays les plus risqués au monde. Il en va de même du système judiciaire, dénoncé à cause de ses méthodes de deux poids, deux mesures, alors qu’il est appelé à arbitrer les conflits commerciaux en toute équité. La corruption qui gangrène la société congolaise est un risque pour une activité boursière. On craint notamment les délits d’initié qui faussent la règle d’or de la concurrence, de la transparence et du respect scrupuleux des contrats, c’est-à-dire des ingrédients qui donnent à la bourse ses lettres de noblesse. « Deux expériences avaient été tentées pour ouvrir progressivement le pays au marché des capitaux », rappelle Ditomene Mbemba. D’abord, avec le Plan Mobutu (1986-1990). En lançant, à partir de 1986, les obligations à lot, un grand emprunt destiné à financer ce plan avec des ressources domestiques, le département des Finances et la Banque du Zaïre prévoyaient de préparer les populations zaïroises à la culture de l’épargne de longue durée et à s’habituer aux titres du marché financier.

« Malheureusement, la dépréciation monétaire effrénée a anéanti tout effort tendant vers la culture de l’épargne au point que l’obligation à lot de 1 000 zaïres de 1986, qui arrivait à échéance en 1990, ne valait même pas une miette. Bien des gens ont préféré garder leurs obligations comme un objet de collection plutôt que d’aller les convertir à la Banque du Zaïre, parce qu’elle valait moins qu’un ticket de bus », se souvient le monétariste. Ensuite, l’expérience a été tentée avec la création de la Bourse congolaise des matières précieuses (BCMP) sous le gouvernement de Laurent-Désiré Kabila, pour coter les matières précieuses congolaises. « Elle a également échoué à cause de mandataires nommés qui n’inspiraient pas confiance aux partenaires, et des conditions draconiennes imposées aux creuseurs de vendre en monnaie locale. L’initiative a surtout échoué à cause des atermoiements d’un gouvernement qui, le matin, prônait  l’économie de marché, et, le soir, l’économie dirigiste », poursuit-il.

N’ayant plus de crédit, la BCMP ne pouvait dès lors inspirer confiance. La plupart des gros investisseurs tels que l’hôtel Intercontinental, Hasson et Frères… avaient délocalisé leurs activités pour fuir le climat malsain des affaires créé par le gouvernement de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo-Zaïre (AFDL). Dépité, l’homme d’affaires Damseaux déclarait à « Paris-Match » qu’entre 1997 et 2000, les entreprises avaient perdu 60% de leur production. Le message avait été bien reçu par le gouvernement qui tenta de conclure une entente cordiale avec les patrons. Mais le mal était déjà fait.

Alors, peut-on lancer une bourse à Kinshasa ? « Tout est question de volonté politique, notamment pour les nombreuses réformes qu’attend l’économie congolaise pour qu’elle devienne mature. L’annulation de la dette est un élément important sur la voie, mais elle ne suffit pas à elle  seule pour faire renaître la confiance dans le système bancaire et financier congolais qui continue à souffrir des avatars du  lourd tribut du passé », souligne Jean Ditomene Mbemba. Les préalables sont nombreux. « Il faut du courage politique au regard des effets collatéraux. Il faut recréer essentiellement un climat de confiance hypothéqué depuis la mesure de démonétisation (des grosses coupures de 5 et 10 zaïres) de décembre 1979. Il faut la stabilité du cadre macroéconomique pour que le franc conserve durablement sa valeur. Il faut solidifier les systèmes bancaires pour éviter les faillites qui font fondre des épargnes et éloignent les épargnants. Il faut aussi développer un marché des hypothèques et la sécuriser, promouvoir la culture de l’épargne qui a été tuée par la crise bancaire et la thésaurisation qu’elle a provoquée… »

 

L’analyse selon la Banque mondiale

Faire émerger un marché national des capitaux et développer la banque de détail. L’émission d’obligations d’éléments libellés en monnaie nationale serait une première étape vers l’émergence d’un marché obligataire national liquide. Cependant, le Congo devrait renforcer la gestion de sa dette nationale comme préalable à l’émission d’obligations en monnaie nationale et la création d’un marché obligataire nationale. La dédollarisation peut être encouragée en élargissant le choix des titres libellés en monnaie nationale échangés sur les marchés monétaires et financiers nationaux. L’approfondissement financier permettra d’étendre les services bancaires à des fractions du secteur des entreprises et de la population plus susceptibles d’utiliser la monnaie nationale. Le potentiel accru du marché des services bancaires aux particuliers incitera également davantage les banques à conduire leurs opérations en monnaie nationale. L’expansion du secteur bancaire à laquelle on assiste est positive et doit s’accompagner d’un renforcement de la supervision bancaire.