L’AFFAIRE détonne. Elle éclabousse la réputation de Carlos Ghosn, cet homme considéré comme le meilleur dirigeant dans le secteur de l’industrie au monde. Rien à faire, le patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors est au cœur de la tempête, arrêté le lundi 19 novembre à Tokyo. L’homme d’affaires est notamment soupçonné par la très sérieuse justice japonaise d’avoir minoré depuis plusieurs années ses revenus.
On se rappelle que le montant des revenus du grand patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors avait notamment entraîné un bras de fer avec l’État actionnaire. D’ailleurs, ce n’est pas la première fois que les émoluments du grand patron font la Une de la presse. Mais jusqu’ici, seul le montant de sa rémunération suscitait la polémique.
Carlos Ghosn est en effet l’un des patrons le mieux payés de France depuis qu’il a repris les rênes de Renault en 2005 après avoir redressé Nissan. En 2017, il était ainsi le 3è patron le mieux payé de l’Hexagone derrière Bernard Charlès de Dassault Systèmes (24,6 millions d’euros) et Gilles Gobin de Rubis (21,1 millions d’euros). Carlos Ghosn a gagné l’an dernier 13 millions d’euros au total, selon le cabinet d’analyse Proxinvest.
À titre de comparaison, la rémunération totale moyenne des dirigeants des 40 plus grands groupes cotés français était de 5,135 millions d’euros en 2017. Ici, l’intégralité des revenus du chef d’entreprise sont pris en compte: salaire fixe et variable, options et actions gratuites ou de performance, indemnités de départ, plan de retraite et autres éléments éventuels.
Des revenus très élevés
Sur ces 13 millions d’euros de revenus, 5,6 millions étaient liés à ses fonctions chez Nissan. D’ailleurs sa rémunération chez le constructeur japonais, celle en cause aujourd’hui, n’avait baissé sur un an « que de 38% malgré l’abandon de ses fonctions exécutives, et reste 3,2 fois plus élevée que ses pairs nippons », soulignaient les analystes de Proxinvest. En effet, Carlos Ghosn a abandonné la direction opérationnelle du groupe japonais en avril 2017, son bras droit HirotoSaikawa prenant sa place de directeur général.
Carlos Ghosn n’en était pas moins resté président de Nissan, tout en conservant également son rôle de PDG chez Renault.Proxinvest, qui n’avait pas publié d’étude portant sur l’exercice 2016, évaluait le salaire global de Carlos Ghosn à 15,6 millions d’euros en 2015. Au seul titre de ses fonctions chez Renault, Carlos Ghosn avait empoché 7,2 millions d’euros en 2015, 7,058 millions en 2016 et 7,38 millions en 2017.
Une baisse de rémunération sous la pression de l’État. Selon les calculs réalisés en 2017 par le magazine « Capital », Carlos Ghosn aurait gagné (rémunération de Nissan comprise) plus de 100 millions d’euros de 2009 à 2016.En France, la rémunération de Carlos Ghosn agaçait jusqu’au plus haut niveau de l’État. En 2016, elle avait même été rejetée en assemblée générale.
L’État actionnaire, qui détient actuellement 15,01% du capital du constructeur automobile français, avait alors voté contre ses émoluments. Si à l’époque le vote était simplement consultatif (alors qu’il est aujourd’hui contraignant), il s’agissait de la première fois dans l’histoire du CAC 40 que la majorité des actionnaires s’opposaient à une résolution sur la rémunération d’un dirigeant.
En 2017, nouveau camouflet. L’État continue de voter contre et sa rémunération chez Renault atteint de justesse la majorité nécessaire, avec un taux d’approbation de 56,5% seulement en assemblée générale. Sous la pression du gouvernement, Carlos Ghosn avait fini par accepter de baisser de près de 30% ses revenus chez Renault en 2018, tout en obtenant de rempiler pour un nouveau mandat de quatre ans courant jusqu’en 2022.
L’action Renault s’effondre
L’arrestation de Carlos Ghosn au Japon est une mauvaise nouvelle pour Renault. PDG de Nissan – filiale contrôlée à 43% par la firme au losange -, Carlos Ghosn est soupçonné de violation présumée de la réglementation japonaise sur les instruments financiers et les changes, rapporte de son côté le site internet du journal nippon « Asahi ». Selon le journal, Carlos Ghosn, qui est également le PDG de Renault, est suspecté d’avoir sous-évalué sa propre rémunération dans des rapports financiers. Il a accepté de collaborer avec la justice. Un porte-parole de Nissan a dit que le constructeur automobile vérifiait ces informations. Selon la chaîne de télévision NHK, une perquisition avait lieu au siège de Nissan.
Le groupe automobile a révoqué Carlos Ghosn. Nissan a déclaré qu’il avait utilisé de l’argent du groupe automobile à des fins personnelles, qu’il avait « pendant de nombreuses années déclaré (au fisc) des revenus inférieurs au montant réel » et que son conseil d’administration proposerait qu’il soit rapidement démis de ses fonctions de président.
La sanction des investisseurs ne s’est pas fait attendre. L’action Renault plongeait de 10%, à près de 58 euros. À 17 milliards d’euros, la capitalisation boursière du groupe est désormais inférieure celle de son concurrent Peugeot-Citroën. Carlos Ghosn, l’un des rares dirigeants étrangers à la tête d’une entreprise japonaise, est considéré comme l’homme qui a sauvé Nissan de la faillite.
L’État français sera extrêmement vigilant quant à la stabilité de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi et à celle du groupe Renault, a déclaré lundi même Emmanuel Macron, refusant de se prononcer sur les accusations portées contre Carlos Ghosn au Japon. « Il est trop tôt pour se prononcer sur la réalité et la matérialité des faits sur lesquels je ne dispose pas d’éléments supplémentaires », a dit le président français lors d’une conférence de presse à Bruxelles.
« Par contre, l’État en tant qu’actionnaire sera extrêmement vigilant à la stabilité de l’alliance et au groupe », a-t-il ajouté, et « à la stabilité nécessaire pour l’ensemble des salariés du groupe, auxquels je veux ici dire que l’État actionnaire assurera tout son soutien. » Le constructeur, allié du groupe Renault dont Carlos Ghosn est PDG et l’État français est actionnaire, a précisé avoir mené une enquête interne à la suite d’une information dénonçant des pratiques inappropriées de la part de Carlos Ghosn et de l’administrateur Greg Kelly pendant plusieurs mois.