Mines: peut-on déjà parler de boum du lithium ?

Le prix de « l’or blanc » ne cesse d’augmenter. En plus d’un an, il est passé de 6 430 dollars à 70 000 dollars la tonne métrique. La Chine qui possède le plus grand marché de voitures électriques au monde et assure 80 % de la production mondiale, est mue par une seule préoccupation : que le métal indispensable à la fabrication des batteries lithium-ion ne vienne pas à manquer.

Le rôle de la Chine est central dans la production du lithium dans le monde.

OÙ TROUVE-t-on du lithium dans le monde ? L’Australie est le premier producteur mondial de lithium. Ce pays concentre plus de la moitié de l’extraction, soit 52 % de la production mondiale en 2021. Après l’Australie, suivent le Chili qui fournit le quart de l’extraction, la Chine qui produit 16 %, et de l’Argentine, 7 % seulement de la production mondiale. On trouve également le lithium au Chili, en Bolivie, en Ukraine, en Inde, au Mexique…

Mais dans la ruée vers ce métal rare, considéré comme l’avenir de la production de véhicules électriques/VE et de la transition vers les énergies vertes, l’Afrique suscite des convoitises internationales car elle en regorge d’importants gisements.

Cependant, le lithium d’Afrique suscite également craintes et inquiétudes. S’il est vrai, comme le souligne le général Stephen Townsend, commandant de l’AFRICOM, les gagnants et les perdants de l’économie mondiale du XXIe siècle peuvent être déterminés par le fait que ces ressources sont disponibles sur un marché ouvert et transparent, des pratiques prédatrices des concurrents peuvent les rendre inaccessibles.

Pratiques prédatrices, l’expression est lâchée. D’après des analystes, l’exploitation de la filière lithium en Afrique ne va pas aller sans risques. Risques liés notamment à la gouvernance et à l’environnement. Des ONG crient déjà au scandale en dénonçant le manque de transparence notamment dans l’octroi des permis de recherche et d’exploration. Ces mêmes ONG pensent que le flou demeure également sur les conséquences de l’extraction sur l’environnement. La société civile dénonce l’influence politique.

Depuis 2021, les prix du« métal vert » sont en hausse de près de 500 % pour la simple raison que tous les constructeurs automobiles se sont pratiquement lancés dans la production de VE, estiment des analystes des métaux chez BloombergNEF. Pas étonnant qu’Elon Musk, le patron de Tesla, envisage de lancer son entreprise directement dans l’extraction et le raffinage à grande échelle de ce métal. Le but, c’est surtout d’exploiter idéalement son propre lithium. 

Le rôle vital du lithium dans les batteries de VE signifie que les constructeurs automobiles, les mineurs et les investisseurs se précipitent pour déterminer la quantité d’approvisionnement dont le monde aura besoin dans les années à venir et aussi combien il va obtenir. Le problème est que les prévisions varient énormément. Le prix du métal reflète donc les inquiétudes croissantes concernant la disponibilité.  

Les sociétés minières et les gouvernements réagissent avec des plans ambitieux pour stimuler la production. Selon une enquête menée auprès de six grands prévisionnistes du lithium, les estimations de l’évolution du marché en 2025 vont d’un déficit de 13 % de la demande à un excédent de 17 %. Les prévisions de demande vont de 502 000 tonnes à 1,3 million de tonnes. Les prévisions sont importantes car les banques les utilisent pour tout, de l’évaluation des ventes futures de voitures à l’évaluation des prêts dans les projets miniers.  

Cartellisation

Souveraineté politique, indépendance énergétique, protectionnisme économique, risque écologique, convoitise des grandes multinationales, rivalité Chine-États-Unis, voilà les thèmes qui ont ponctué le dernier sommet mondial sur le lithium à Buenos Aires, les 28 et 29 novembre 2022. Réunissant tous les acteurs du secteur, le sommet a mis en évidence l’importance de plus en plus croissante du lithium dans la compétition économique internationale au moment où le monde est engagé dans une transition écologique à marche forcée.

L’une des idées mises sur la table des discussions aura été la création pour le lithium et plus globalement pour les métaux rares d’un cartel à l’instar de l’OPEP pour le pétrole. L’Argentine, la Bolivie et le Chili qui détiennent à eux seuls près de 55 % des ressources potentielles, envisagent fermement une cartellisation régionale sur le marché du lithium, appelée « triangle du lithium ». L’idée pourrait paraître attractive mais semble peu probable pour plusieurs raisons, notamment techniques et politiques.

En effet, cette initiative a peu de chance d’aboutir à cause du poids des majors sur le marché du lithium. Depuis plusieurs années, font remarquer des analystes, ce marché est structuré par d’importantes entreprises minières intégrées verticalement qui se diversifient à la fois géographiquement et technologiquement (lithium de salar et lithium de roche dure). 

D’après eux, ce facteur de stabilisation des chaînes de valeur internationales n’exclut toutefois pas un risque de développement d’un important pouvoir de marché de certaines entreprises. En conclusion, soulignent-ils, la grande incertitude ne porte pas tant sur la création d’un cartel de pays que sur le pouvoir de marché des majors qui pourraient brider l’entrée ou la montée en puissance de nouveaux acteurs sur le marché en influençant les processus de formation des prix.

Il ne suffit pas de posséder les ressources dans son sous-sol, encore faut-il pouvoir l’exploiter. Comment ? En créant la chaîne de valeur et de fabrication. Cela a été débattu au sommet de Buenos Aires : attirer des investissements parce que l’exploitation du lithium dans le monde est pour l’instant contrôlée à 80 % par seulement cinq compagnies, dont deux américaines et deux chinoises, présentes sur tous les continents. Ce sont elles qui maîtrisent les chaînes de valeur. 

Méfiances

Au dernier sommet mondial sur le lithium, il a été constaté que les pays producteurs se méfient d’abord de la Chine et de ses entreprises clés dans le secteur, Tianqi et Jiangxi. La Chine produit actuellement les deux tiers des batteries électriques. Récemment, le Canada a prié ces géants chinois de retirer leurs investissements. Les pays d’Amérique du Sud s’interrogent également.

« Il ne suffit pas de posséder les ressources, encore faut-il pouvoir créer la chaîne de valeur et de fabrication. Il faut aussi attirer des investissements parce que l’exploitation du lithium dans le monde est contrôlée à 80 % par seulement 5 compagnies, dont deux américaines et deux chinoises. »

Mais en Bolivie, on se méfie surtout des géants américains. Pays le plus pauvre du continent sud-américain, la Bolivie est comme chat échaudé. Elle ne veut pas revivre l’expérience de l’exploitation de ses mines d’or et d’argent au profit des conquistadors espagnols. Le pays veut tirer, cette fois, bénéfice de la manne de son sous-sol et cherche donc à créer une chaîne de production locale ou régionale avec ses voisins.

Comme on peut le constater, le rôle de la Chine est central dans la production du lithium, même si la cartellisation reflète la volonté de certains pays d’affirmer leur rôle dans la transition énergétique mondiale. Il va sans dire que les caractéristiques spécifiques et les situations particulières de chacun des marchés de métaux nécessaires aux batteries empêcheront de considérer le cartel comme l’option la plus probable.

En tout cas, près de 70 % des métaux des batteries sont aujourd’hui raffinés en Chine. Ce pays produit plus de 65 % des batteries de VE. En définitive, la cartellisation ne pourrait qu’être une manière de montrer le rôle essentiel que les métaux rares sont appelés à jouer dans les relations internationales dans les prochaines années. C’est aussi un moyen de mettre en avant que ces métaux, à l’instar du gaz et du pétrole dans la géopolitique actuelle, estiment des analystes. En conclusion, ils pourraient devenir une arme économique et diplomatique dans la transition énergétique mondiale.