Réduire de 40% ses émissions en 2030 par rapport à 1990: c’est l’engagement qu’a pris l’État français dans le cadre de l’Accord de Paris. La justice vient de lui donner trois mois pour prouver qu’il sera en mesure de le respecter. Or dans le domaine de la mobilité, la dynamique de transition mise en place par l’État est très loin d’être à la hauteur de ses ambitions. Entre 2015 et 2018, les émissions de gaz à effet de serre des transports dépassaient de près de 10% les objectifs fixés par la SNBC (Stratégie nationale bas carbone) en 2015. Au lieu de rectifier le tir rapidement et de repenser la politique de transition, les pouvoirs publics ont repoussé le problème en relevant de 15% le plafond des émissions du secteur à court et moyen terme dans la version de la SNBC actualisée en 2020, reportant l’essentiel des efforts à mener.
Cet écart entre les objectifs et les résultats aurait pourtant dû être l’occasion de réfléchir aux raisons de l’échec de la politique de transition menée. Celui-ci s’explique de deux manières au moins.
D’abord, par une mauvaise hiérarchisation des politiques. Les pouvoirs publics s’accordent sur la nécessité de limiter l’empreinte carbone des mobilités, mais ils continuent à chercher avant tout à développer l’offre de transports pour faciliter les déplacements et accompagner leur augmentation, reléguant l’objectif de limitation de leur empreinte carbone au second plan. Cela les amène à privilégier les solutions technologiques (voiture électrique, autonome, etc.) pour concilier augmentation des déplacements et réduction de leur impact carbone. Et certains ont beau continuer à espérer que les deux ne sont pas incompatibles, les dernières recherches sur le sujet montrent que les solutions technologiques ne sont a minima pas suffisamment efficaces pour le moment, voire sont illusoires.
L’approche en silo
Cet échec s’explique aussi par une approche en silo au sein des ministères en charge de ces questions. En effet, les pouvoirs publics n’ont pas compris que le sujet n’est pas le transport mais la place que les déplacements doivent prendre dans les modes de vie en période de changement climatique. Si nous nous déplaçons tant, c’est bien pour aller quelque part (travail, loisir, logement, …) et si cela nous prend tant de temps, c’est que ces activités sont dispersées sur le territoire. Et si nous le faisons, c’est que cela nous paraît normal ou acceptable. Autant de domaines de l’action publique qui doivent être pensés en même temps que les politiques de transport.
Pourtant, les politiques se focalisent sur les transports et oublient toutes les autres dimensions liées à la mobilité qui structurent les modes de vie: travail, santé, éducation, aménagement du territoire, etc. À l’échelle nationale comme à l’échelle locale, il n’y a pas de politique transversale qui englobe mobilité, environnement, questions sociales et économiques. Et pour cause, les ministères en charge de ces questions poursuivent leurs objectifs propres. Cette situation est la même au sein même du ministère de la Transition où l’énergie, les transports, l’aménagement du territoire et de manière plus radicale, l’aviation, travaillent parallèlement sans mettre en cohérence leurs stratégies.
En outre, cette organisation participe à reléguer la question de l’évitement des déplacements, qui reste le point aveugle alors même que l’analyse des émissions de carbone liées au transport depuis 1960 montre clairement que la courbe des émissions de CO² suit de très près celle de l’augmentation des déplacements.
Planification écologique interministérielle
Une politique de transition réaliste doit donc s’appuyer sur une planification écologique interministérielle, qui permettrait une approche transversale des mobilités. Cette politique, qui peut bouleverser les modes de vie dans les années à venir, doit être élaborée main dans la main avec un parlement citoyen, afin de tenir compte de leurs aspirations et de la place qu’ils souhaitent donner à la mobilité dans leurs modes de vie.
Ce plan définirait démocratiquement des politiques d’aménagement du territoire, de relocalisation des entreprises, d’évolution de l’organisation du travail ou encore d’éducation afin de permettre des modes de vie plus en proximité et de faciliter ainsi l’usage du vélo, de la marche et des transports en commun lorsque le territoire le permet.
Pour le reste, une nouvelle politique industrielle de l’automobile devra être établie pour favoriser sans attendre des véhicules vraiment moins polluants, notamment des véhicules plus légers. Les travaux de la Convention citoyenne pour le climat montrent bien que les citoyens sont prêts à se passer des véhicules les plus lourds de type SUV mais que c’est l’industrie qui refuse d’opérer sa mue.