Monsieur Xi Jinping, vous avez bien dit « libre-échange » ? 

Malgré le vibrant appel au libre-échange du président chinois à Davos, son pays continue à maltraiter les investisseurs étrangers. Et il vient de lancer un vaste plan de conquête industrielle, qui prévoit notamment de lutter contre les importations. 

La menace protectionniste ne vient pas que des Etats-Unis de Donald Trump. Elle vient aussi de Chine, qui, loin d’avancer vers une libéralisation de ses pratiques de business, s’oriente vers un nationalisme renforcé pour essayer de maintenir sa croissance. Les belles déclarations en faveur du libre-échange du président Xi Jinping à Davos cet hiver ont donné l’impression d’un monde à l’envers, la Chine donnant des leçons d’ouverture à l’Amérique.

La réalité n’est pas celle-là. Depuis son entrée dans l’OMC en 2001, la Chine n’a toujours qu’entrouvert ses marchés et elle continue de mettre des bâtons dans les roues des investisseurs étrangers. Elle tire profit de la faiblesse de ses partenaires, qui restent fascinés par ses débouchés potentiels et nourris de l’espoir d’une normalisation progressive. Pékin, il est vrai, donne le change. Le troisième plénum du Parti communiste en 2013 se concluait par un vibrant appel au libéralisme : le marché doit désormais jouer le rôle décisif. Pékin sait aussi répandre du brouillard. Le débat sur la politique économique fait l’objet d’un intense et brutal débat au sein du Parti, mais il est maintenu hermétiquement opaque pour les observateurs étrangers. Confinés dans l’ignorance, ils doivent pouvoir continuer d’espérer.

Mais force est de constater que, dans les faits, l’ouverture est restée insuffisante et contrôlée. Et rien ne devrait s’arranger dans le sens espéré par les Occidentaux à l’avenir. L’initiative China Manufacturing 2025, un plan stratégique qui est l’aboutissement de deux ans d’une large réflexion interne sur la croissance future de la Chine, indique au contraire comment Pékin entend renforcer sa puissance industrielle d’ici à 2025 puis à 2049, année du centième anniversaire de la prise de pouvoir par Mao. Le document, très finement analysé par la Chambre de commerce européenne en Chine (1), devrait être vu comme un avertissement. Il s’agit d’un plan de conquête musclée de l’indépendance dans les secteurs d’avenir de l’innovation.

La liste est précise : les technologies numériques, les robots, l’aéronautique, les équipements maritimes, la voiture électrique, les machines agricoles, les nouveaux matériaux, la pharmacie, les instruments médicaux de pointe… Les objectifs aussi : passer par exemple d’une part de marché de 40 % pour les composants à 70 % en 2025, des robots de 50 % à 70 %, des gros tracteurs de 30 % à 60 %, et de zéro à 80 % pour les énergies renouvelables. Comment ? Par un renforcement considérable des moyens de R&D, une coopération très serrée entre l’Etat, le privé et les universités, une campagne d’achats ciblés à l’étranger et la constitution de champions de niveau international. Deux par exemple dans le Top 10 des voitures électriques.

Est-ce si neuf ? La Chine a toujours eu une politique industrielle volontariste. Mais, d’une part, les montants d’investissements évoqués se chiffrent en milliards, d’autre part, la Chine n’a pas d’autre voie. Le constat aujourd’hui unanimement fait parmi les économistes, en Chine et ailleurs, est qu’elle est enfermée dans « le piège des revenus moyens ». Son développement dans l’industrie bas de gamme lui a permis d’atteindre un niveau de développement remarquable, mais ses salaires désormais « moyens » la mettent dans l’étau de la concurrence par le bas des pays moins chers et par le haut des pays développés qui gardent le contrôle des secteurs de pointe.

Pour en sortir, il n’y a que deux solutions : ouvrir les institutions, les règles du business et la porte aux étrangers pour passer à une économie de services, ou bien monter rapidement l’industrie en gamme. Comme le PCC n’entend rien céder de son pouvoir, la Chine doit choisir la deuxième voie, défendre sa base industrielle par les robots et conquérir parallèlement une place dans la high-tech à marche forcée.

Ce plan de conquête n’est pas sans dangers. Celui d’échouer, bien entendu : il n’est pas facile de battre les Apple. Celui de ne pas parvenir à s’étendre au monde entier, si Alibaba peut en Chine supplanter Amazon, c’est bien plus difficile ailleurs. Mais le plus grand danger est de provoquer le protectionnisme en Occident. Si la Chine se permet une politique de « substitution aux importations » (ce qu’autorise le CM2025), il lui sera impossible de plaider encore longtemps pour le libre-échange, comme Xi à Davos, et d’éviter des rétorsions.

La ligne de politique économique n’est jamais définitivement claire en Chine. Les débats vont au contraire s’intensifier à l’approche du 19e Congrès en novembre, où doit être décidé du remplacement de 5 des 7 membres du comité permanent du bureau politique, l’organe supérieur du pouvoir. Xi Jinping obtiendra un second mandat de cinq ans, mais la question est de savoir à quelle hauteur il sera consolidé dans sa ligne nationaliste. Ses adversaires plaideront que sa politique, dont le plan CM2025, va provoquer la colère des Occidentaux et, en particulier, celle de Donald Trump. Pékin risque de donner à manger aux loups.

Qui gagnera ? On ne sait pas. Mais le nationalisme industriel chinois a toutes les chances de se renforcer plutôt que l’inverse. La Chine n’entre sûrement pas dans le camp des libéraux. Les industriels européens sont prévenus, conclut la Chambre de commerce. Qu’ils pèsent prudemment leurs investissements en Chine et qu’ils n’en dépendent jamais. Pour les autorités de l’Union et pour les gouvernements des pays membres, il est temps de mesurer que le protectionnisme éventuel de Trump est épaulé par un autre. Si l’Union veut se relancer comme une « Europe puissance », elle doit admettre que les temps du gentil libéralisme sont, qu’elle le déplore ou pas, bien finis.