ENTRE la Russie et la France? D’un côté, plusieurs accords économiques signés entre Moscou et Kinshasa lors du sommet Russie-Afrique qu’a accueilli en octobre dernier la ville de Sotchi, de l’autre des aides promises par l’Occident, notamment celle à hauteur de 65 millions d’euros annoncée en novembre 2019 par Emmanuel Macron. Prié de commenter cette équation, Jean-Jacques Lumumba, petit-neveu du fameux tout premier chef de gouvernement de la République démocratique du Congo, engagé aujourd’hui dans la lutte contre la corruption, rappelle dans son entretien à Sputnik que la RDC est un pays géostratégique et extrêmement riche et qu’il ne faut pas s’étonner de l’intérêt affiché par d’autres pays à son encontre.
« Il ne faut pas oublier qu’à chaque fois, les intérêts internationaux, de la Russie, de la France, des États-Unis, ne sont pas convergents. En ce qui concerne le Congo, je [veux] dire qu’entre pays, il n’y a pas d’amour, il n’y a pas d’amitié, il n’y a que des intérêts. Si la France vient au chevet du Congo, ce n’est pas pour le bonheur des Congolais, ce n’est pas pour l’intérêt des Congolais. C’est d’abord pour l’intérêt de la France. […] De même que la Russie ne viendra au Congo que pour faire ou tirer des dividendes », explique-t-il.
Et d’ajouter que, si le Congo tente de se rapprocher de la Russie et que la France derrière veut intervenir pour pouvoir plus se rapprocher du Congo que de la Russie, « c’est tout à fait normal parce que la France voudrait avoir un œil sur le Congo beaucoup plus important que ce que la Russie voudrait avoir ». Commentant le sommet de Sotchi, il avoue s’être réjoui de cet événement qui ouvre à ses yeux « une nouvelle ère économique ».
Paradoxe congolais
Il estime que la Russie, pays qui s’est illustré dans diverses coopérations militaires, ne s’est pas souvent présentée comme un partenaire économique des États africains. Donc, il y voit aujourd’hui « une opportunité qu’il faudrait saisir ».
Insistant sur le fait que son pays est l’un des plus riches du monde, il rappelle que sa population vit « paradoxalement » dans la plus grande pauvreté. Il souligne que c’est aux autorités du pays et aux citoyens de résoudre ce problème. « Ce n’est pas l’affaire de la France, ce n’est pas l’affaire de la Russie, ce n’est pas l’affaire des États-Unis, c’est notre affaire à nous-mêmes. Aujourd’hui, le problème que nous connaissons, nous l’avons vu à travers les dernières élections qui viennent de se passer, le problème est congolo-congolais. Le problème du Congo, j’insiste, ne vient pas de l’extérieur », souligne l’interlocuteur de l’agence.
Et de poursuivre que si le pays ne change pas, ce ne sera pas de la faute de la France, ni de la faute de la Russie, mais de celle des Congolais. « Ni la France, ni la Russie, ni la Belgique n’écriront l’histoire de ce pays. Patrice Lumumba l’a dit en 1960. Cette phrase reste d’actualité et restera d’actualité jusqu’à ce que nous la compren[i]ons, et c’est [à] ce moment-là, si nous intériorisons cela et si nous commençons à le pratiquer et si le nouveau leadership arrive au Congo, c’est là que nous parviendrons à développer réellement ce pays ».
Du responsable de crédits à l’acteur de la lutte contre la corruption. Parlant de son parcours, le petit-neveu du célèbre homme politique explique avoir par le passé travaillé comme responsable du département de crédit dans une banque. C’est là qu’il a remarqué ce qu’il qualifié de transactions louches et douteuses. « Il se fait que je constate des opérations qui touchent à des millions de dollars qui sont détournés, qui sont blanchis dans l’intérêt de certaines sociétés qui sont très proches de l’ancien Président Joseph Kabila. Et la banque était à l’époque dirigée par son petit frère. Je vais le voir pour lui poser la question, je reçois des menaces de mort, les représailles commencent dans la banque et à un moment donné quand je sens que ma sécurité est menacée, je décide de quitter le pays, et en arrivant en France, les menaces ne faiblissent pas », avoue M. Lumumba.
C’est après cette histoire que lui et ses amis ont décidé de créer un réseau se voulant panafricain pour la lutte contre la corruption. Soulignant que ce problème n’est pas qu’africain, mais général, il revient au cas de son pays et explique que la famille de l’ancien Président Kabila était encore il y a quelques année modeste, pour devenir de nos jours l’une des plus importantes du pays: « Ils se sont accaparé tous les contrats, des principaux contrats miniers, des principaux contrats dans beaucoup de secteurs de l’économie et ils se sont enrichis au détriment de la population ».
Il souligne donc que lutter contre la corruption, c’est « garantir l’avenir d’une population et laisser la corruption sévir et se développer dans un pays, c’est détruire réellement l’avenir d’un peuple ». Il attire notamment l’attention sur le fait qu’un pays aussi grand et riche que l’est le Congo demande de l’aide à la France et aux États-Unis pour financer son système médical. « Combien est-ce que la France promet? 71 millions d’euros, est-ce que le Congo avec ce qui se passe rien que dans le dossier du pétrole, rien que dans la redevances pétrolières, est-ce que le Congo manque de 71 millions qui peuvent réellement servir à financer son système médical? Il faut voir combien est-ce que l’argent est détourné, on voit le flux qui est entretenu », conclut-il.