La troisième Conférence internationale sur le financement du développement s’ouvre, lundi 13 juillet à Addis-Abeba, la capitale de l’Ethiopie, en l’absence d’accord préalable sur le projet de déclaration finale. Les discussions préparatoires ont achoppé sur l’opportunité de créer un organisme fiscal intergouvernemental, sur la responsabilité des pays du Nord dans le réchauffement climatique ou encore sur la part du secteur privé dans le financement du développement.
Les représentants des 193 Etats membres des Nations unies (ONU), dont une vingtaine de chefs d’Etat ou de gouvernement, en majorité africains, devront trancher les questions en suspens d’ici au 16 juillet. « Le texte de la déclaration finale est ouvert. Tout peut à nouveau bouger », observe Lucie Watrinet, de l’organisation non gouvernementale (ONG) CCFD-Terre solidaire. « Cela donne de l’intérêt à Addis, analyse son alter ego d’Oxfam, Christian Reboul. La négociation va devenir plus politique, ce qui ouvre la possibilité d’ultimes marchandages. »
Près d’un milliard de personnes vivent avec moins de 1,10 euro par jour
La conférence va discuter des moyens nécessaires pour éradiquer l’extrême pauvreté – près d’un milliard d’êtres humains vivent avec moins de 1,25 dollar (1,10 euro) par jour –, pour réduire les inégalités et promouvoir un mode de développement compatible avec la lutte contre le réchauffement climatique. Elle sera suivie, début septembre à New York, d’un Sommet spécial de l’ONU sur le développement durable et, du 30 novembre au 11 décembre à Paris, de la COP21 sur le climat.
Pour Grégoire Niaudet (Secours catholique, Caritas France), l’adoption dans la capitale éthiopienne d’une déclaration finale peu contraignante pourrait être dommageable pour la suite des événements : « Il y a un risque que les déçus d’Addis soient tentés de prendre leur revanche dans les négociations suivantes, en particulier celles de la COP21 à Paris. »
Les ONG françaises sont très critiques à l’égard de Paris – l’Hexagone est pourtant le quatrième bailleur international – parce qu’elle ne consacre que 0,36 % de son produit national brut (PNB) à l’aide publique au développement (APD). Elles accusent le gouvernement d’avoir manœuvré pour obtenir, le 26 mai à Bruxelles, un report à 2030 de la date butoir pour le respect du 0,7 %. Elles voient dans l’absence de François Hollande à Addis-Abeba une marque de désintérêt. D’autant que le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, ne doit faire qu’un passage éclair à la conférence, lundi après-midi. La France y sera représentée par la secrétaire d’Etat au développement, Annick Girardin, accompagnée de parlementaires, de représentants des entreprises et de la société civile.
En 2002, la première Conférence sur le financement du développement avait abouti au « Consensus de Monterrey »,qui avait posé des principes, insisté sur l’importance des ressources nationales dans le développement et fixé l’engagement de 0,7 % du PNB pour l’APD, dont 0,15 % à 0,20 % pour les pays les moins avancés (PMA). La Conférence de Doha, en 2008, avait eu une portée plus modeste.
Standard fiscal unique pour éviter l’évasion et la fraude
A Addis, la principale pomme de discorde porte sur la création d’un organisme fiscal sous l’égide de l’ONU. Le groupe des 77, qui rassemble 134 pays en développement et émergents, y est favorable – comme de nombreuses ONG – au motif qu’on ne peut pas prendre de décisions en matière de fiscalité sans les pays en développement. « Sinon, on court le risque de voir se développer de nouveaux centres offshore », estime Lucie Watrinet, qui est aussi coordonnatrice de la Plateforme Paradis fiscaux et judiciaires. Les pays du Nord récusent l’idée d’une énième agence onusienne. Pour eux, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et son Forum mondial, en pointe sur la fiscalité, sont les bonnes instances pour en débattre.
Angel Gurria, le secrétaire général de cette institution regroupant trente-quatre économies avancées, doit rappeler à Addis que quatorze pays en développement sont membres du groupe de travail de l’OCDE sur la fiscalité et que 127 pays participeront, à partir de 2017, à l’échange automatique d’informations fiscales.
« L’essentiel, c’est d’avoir un standard fiscal unique pour éviter l’évasion et la fraude », a-t-il insisté, le 9 juillet à Paris, avant d’annoncer que l’OCDE s’associait au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) pour donner de l’ampleur à son programme « Inspecteurs des impôts sans frontière », bâti sur mesure pour les pays du Sud.
En matière climatique, le groupe des 77, emmené par le Brésil, veut voir écrits noir sur blanc dans la Déclaration finale les mots de « responsabilités communes mais différenciées ». Il s’agit pour Brasilia de rappeler aux pays développés qu’ils ont des responsabilités historiques en matière de dérèglement climatique et qu’ils doivent financer largement la transition énergétique au Sud. Les « 77 » réclament des fonds climat additionnels, qui s’ajoutent aux financements du développement. Les pays du Nord, en particulier les Européens, s’y refusent pour des raisons budgétaires.
Craintes de « privatisation de l’aide publique »
Un autre sujet de friction est le financement en lui-même, sachant que les organisations économiques internationales – Fonds monétaire international (FMI), Banque mondiale, Banque européenne d’investissement (BEI), Banques de développement diverses… – estiment que, pour répondre aux besoins des Objectifs du développement durable (ODD), il faudra passer des milliards de l’APD (140 milliards de dollars) aux milliers de milliards d’investissements de toute nature : public, privé, national et global, en capital et en capacité. Dans une note du 2 avril, ces institutions estiment à près de 1 000 milliards de dollars les flux de capitaux pour le développement, qui regroupent aussi la philanthropie, les transferts des migrants, les capitaux Sud-Sud et les investissements directs étrangers (IDE).
De nombreuses organisations de la société civile, comme Coordination Sud, redoutent une « privatisation de l’aide publique » et estiment que « les flux financiers privés doivent faire l’objet d’une vigilance particulière ». « Il y aura une querelle entre les Anciens et les Modernes », prédisait, le 18 juin à Paris, Tancrède Voituriez, de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Les Anciens défendent l’APD. Les Modernes plaident pour les financements innovants, le “blending” (mélange prêt-don), etc. » Paris défend le point de vue des Modernes « pour ne pas prendre d’engagements sur l’APD », analyse-t-il. Le groupe des 77, pour sa part, réclame le respect des engagements de Monterrey et réclame un accroissement de l’aide aux pays les plus pauvres, qui a diminué ces dernières années.