Etudiants internationaux de l’Ecole normale supérieure (ENS), nous avons appris avec effroi à la suite de l’annonce du Premier ministre que le gouvernement français prévoyait d’imposer dès la prochaine rentrée une augmentation massive des frais d’inscription pour les étudiants étrangers issus des pays hors de l’Union européenne, allant jusqu’à 3 770 euros pour une formation de master et de doctorat par an et par étudiant.
Nous sommes extrêmement préoccupés par cette décision, dont la mise en place impliquera, pour plusieurs étudiants de nos pays d’origine, l’impossibilité de commencer ou de poursuivre leurs études en France. Nous regrettons profondément l’annonce de cette réforme, qui laisse facilement comprendre dans sa logique que la sélection des étudiants étrangers en France ne se fera plus de manière égalitaire, mais sur le fondement de critères strictement économiques, perpétuant et renforçant des inégalités sociales déjà existantes en France et dans le monde.
Réduire l’étranger à la figure du parasite
Au-delà de son caractère injuste, cette décision constitue une insulte et un danger pour nous, étudiants étrangers de toutes catégories et origines sociales. En remettant en cause notre légitimité, en nous forçant à justifier notre utilité, notre valeur et notre rôle en tant qu’étudiants étrangers dans la société française, cette réforme introduit une distinction discriminatoire et xénophobe entre étudiants français et extracommunautaires au niveau de l’enseignement supérieur, et accroît la fragmentation au sein de la société.
A une époque où la rhétorique nationaliste de l’extrême droite forme un danger grandissant en Europe et dans le monde, il est de notre responsabilité de faire barrage à ce type de discours, fondé sur des préjugés démontés par les études scientifiques et n’ayant pour objectif que de stigmatiser l’étranger, le réduisant – une fois encore – à la figure du parasite, qui s’attaquerait en l’occurrence au système éducatif français.
Nous nous refusons à jouer le rôle de boucs émissaires dans un contexte général de précarisation en France. En cette période où, jour après jour, les politiques étatiques d’exclusion et de discrimination deviennent de plus en plus agressives au sein de l’Union européenne, l’existence d’un enseignement supérieur public, peu onéreux et ouvert à tous est d’une importance cruciale. Cela étant dit, il apparaît tout aussi absurde de considérer qu’offrir aux étrangers les mêmes conditions d’accès à l’enseignement supérieur qu’aux Français représenterait une dépense voire un don qui coûterait trop cher à la France.
Apport de 1,62 milliards d’euros par an
En effet, et contrairement à ce que pense le Premier ministre, nous tous, étudiants étrangers, européens et non-européens, ne sommes pas venus en France pour «profiter de la quasi-gratuité du système éducatif», ni pour prendre des places destinées aux étudiants français et les priver de leurs chances d’étudier et de travailler. Les étudiants étrangers sont 41% à rester travailler en France après leurs études. Ceux-ci contribuent à l’économie du pays plus qu’ils ne lui coûtent et ceux qui décident de rentrer contribuent au renforcement des liens économiques et culturels de la France et leur pays d’origine.
Selon l’institut BVA, les étudiants étrangers apportent en moyenne 4,65 milliards d’euros, mais ils ne coûtent «que» 3 milliards par an. Cela signifie que nous, actuels et anciens étudiants étrangers, apportons à l’économie française 1,65 milliard d’euros nets chaque année, via notre contribution aux impôts et aux cotisations de sécurité sociale. Même pendant nos études, nous soutenons la vie étudiante et de campus en payant la Contribution vie étudiante et de campus (CVEC). A cela s’ajoutent des frais de scolarité raisonnables mais substantiels (175-300 euros).
Les étudiants étrangers qui restent après leurs études font partie de la population active du pays : certains deviennent des spécialistes (médecins, avocats, enseignants, chercheurs…) et exercent dans des secteurs où les postulants français et européens manquent. Les étrangers étudient rarement plus de trois ans en France : leur éducation souvent coûteuse reste alors dans sa plus grande partie prise en charge par leur pays d’origine, alors que la France profite de ces apports quand ils y offrent leurs services. Par-delà les raisons financières, l’idée que notre accès au même titre que nos camarades français à l’enseignement supérieur n’est pas un don, se renforce dès lors qu’on interroge les raisons sociales et culturelles.
Nous, étudiants étrangers en France – que ce gouvernement vise à transformer en charge pour la société – sommes des membres actifs et vivants des communautés scientifiques, intellectuelles et culturelles françaises. 41% des étudiants en doctorat en France sont étrangers. Nous participons activement à la recherche française et contribuons au rayonnement des universités du pays, de la culture française et de la francophonie. Nous occupons une place particulière dans l ́enseignement supérieur français, non réductible à un rapport coût-bénéfice.