LE PRIX NOBEL d’économie a été attribué aux Américains William Nordhaus et Paul Romer. Le comité Nobel a voulu mettre en valeur cette année les recherches sur le changement climatique et l’innovation technologique dans l’analyse économique. L’Académie royale des sciences de Suède estime que leurs travaux ont élargi le champ de l’analyse économique.
William Nordhaus, professeur à l’université de Yale, et Paul Romer, ancien économiste en chef de la Banque mondiale et professeur à l’université de New York, sont en effet récompensés pour leurs travaux sur la compatibilité entre les impératifs d’innovation et de lutte contre le réchauffement climatique et la croissance économique. Les deux lauréats « ont mis au point des méthodes qui répondent à des défis parmi les plus fondamentaux et pressants de notre temps : conjuguer croissance durable à long terme de l’économie mondiale et bien-être de la population de la planète », a indiqué l’Académie royale des sciences.
« Leurs conclusions ont considérablement élargi le champ de l’analyse économique en permettant l’élaboration de modèles qui expliquent comment l’économie de marché interagit avec la nature et le savoir », a-t-elle expliqué par ailleurs dans un communiqué.
Portraits croisés
Paul Romer passe pour un économiste « flamboyant à la carrière mouvementée ». Il est connu pour ses travaux mesurant la part de l’innovation dans la croissance. Âgé bientôt de 62 ans (le 7 novembre), il est actuellement professeur à l’Université de New York où il dirige des recherches sur l’urbanisation et la croissance des villes, plus précisément sur « la manière dont les politiques des pays émergents peuvent utiliser la croissance rapide des villes pour créer des opportunités de croissance économique et s’attaquer aux réformes sociales ».
En octobre 2016, il entre à la Banque mondiale (BM) comme chef économiste. Mais ses critiques à peine voilées de l’institution de Bretton Wood l’ont contraint à démissionner en janvier dernier et il est retourné à ses travaux académiques à New York. En cause, ses prises de position sur un rapport phare de la BM, « Doing business », publié chaque année, qui passe au crible le cadre réglementaire s’appliquant aux PME dans 190 économies pour évaluer quels sont les pays les plus favorables au lancement d’une entreprise.
Paul Romer laisse entendre que ce classement est influencé par des considérations politiques, citant un changement de méthodologie pénalisant par exemple le Chili, qui, depuis 2013, dégringole dans le classement uniquement par un effet mécanique. Avant cela, le bouillant économiste avait déjà suscité la polémique avec un article retentissant, « The trouble with macroeconomics », dans lequel il critiquait ses collègues macro-économistes, leur reprochant de « faire tourner » des modèles mathématiques sans rapport avec le réel.
Né à Denver (Colorado), Paul Romer avait décidé de suivre la voie des sciences économiques pour se distinguer de son père, Roy Romer, « une star montante de la politique dans le Colorado », explique-t-il sur son site. « Comme de nombreux jeunes qui ont grandi dans l’ombre d’un parent célèbre, je me suis efforcé de prendre une direction différente, étudiant les mathématiques, la physique et la cosmologie », écrit-il.
Passé par les universités de Rochester (New York), Chicago et Berkeley (Californie), l’économiste est aussi connu pour avoir théorisé la « croissance endogène ». Il a montré comment « l’accumulation d’idées soutient la croissance économique sur le long terme » et mis en avant le rôle des forces économiques et des régulations dans « l’inclination » des entreprises à innover. Selon lui, considérer la connaissance et l’information comme une ressource crée de la croissance économique. Contrairement aux autres ressources, la connaissance n’est pas seulement abondante, elle est infinie. Entrepreneur, Paul Romer a créé en 2001 une start-up proposant des exercices en ligne aux étudiants américains, baptisée Aplia, qu’il a revendue après un certain succès. En 2002, il avait par ailleurs reçu le prix Horst Claus Recktenwald en économie. On lui a également décerné le prix Distinguished Teaching de la Stanford University’s Graduate School of Business en 1999.
Bien que son nom ait été cité plusieurs fois parmi les potentiels lauréats du Nobel, Paul Romer a expliqué qu’il n’avait pas décroché son téléphone aux premiers coups de fil reçus au petit matin, croyant à des appels commerciaux. C’était l’Académie royale des sciences. « Je ne le voulais pas, mais je l’accepte », a-t-il alors déclaré, dans un sourire.
 de 77 ans, William Nordhaus, lui, a été le tout premier chercheur, dans les années 1990, à modéliser le lien entre l’activité économique et le climat en conjuguant les théories et l’expérience tirées de la physique, de la chimie et de l’économie. Ces travaux font aujourd’hui autorité et servent à prédire ou quantifier les conséquences des politiques climatiques, par exemple la taxe carbone.
Le choix de ces deux nobélisés reflète le tournant pris ces dernières années par la science économique, plus ouverte qu’auparavant aux sciences sociales et humaines, comme la sociologie ou la psychologie. Avec un net recul des modèles mathématiques et d’un « homo economicus » abstrait. Les deux lauréats se partageront le prix de 9 millions de couronnes (environ 860 000 euros).