Depuis le début de l’année 2017, la diplomatie allemande multiplie les initiatives économiques en faveur du continent africain. Profitant de sa posture de président en exercice du G20, dont le sommet vient de se tenir à Hambourg les 7 et 8 juillet, Angela Merkel, en recevant neuf chefs d’État du continent à Berlin, a confirmé son attachement à un partenariat fécond avec l’Afrique, avec comme premier socle la mise en œuvre d’un plan que d’aucuns ont qualifié de « Plan Marshall pour l’Afrique ». La question est de savoir si ce ne sont pas encore des vœux pieux. L’Allemagne pourra-t-elle réussir, là où d’autres pays ont échoué dans leurs tentatives de booster le développement du continent africain ? Une chose semble certaine, le contenu que l’Allemagne souhaite donner à sa nouvelle initiative est peu innovant : une révision du modèle de coopération Nord-Sud, une meilleure présence des entreprises germaniques en Afrique, un rehaussement de l’aide publique allemande au développement (+20 %), sans donner la moindre indication sur le montant de l’enveloppe consacrée au Plan Marshall; à ce jour du reste, seuls 300 millions d’euros d’aides bilatérales supplémentaires sont annoncés par le ministère allemand du Développement.
Par ailleurs, aucune indication n’est fournie à ce stade sur les critères de choix des bénéficiaires, les secteurs économiques à privilégier, les contributeurs financiers, la question de savoir si l’Allemagne y va seule ou avec l’Union européenne, voire le G20.
Développement contre contrôle migratoire
En affirmant dans le plan que l’aide sera conditionnée au retour des migrants dans leurs pays d’origine, on sent de la part de la première puissance économique européenne une volonté de régler un problème de politique intérieure induit par la crise des migrants. Même si, au demeurant, la question des réfugiés semble avoir eu un impact assez favorable sur l’économie allemande, avec une croissante plus forte en 2016 (1,9 % comparé aux 1,4 % de moyenne atteint dans la dernière décade) possible grâce à la relance de la consommation et des dépenses publiques. À cette cause migratoire semble s’ajouter une autre, liée à une volonté de l’Allemagne de profiter de la perte de leadership des États-Unis sous l’ère Trump, pour mieux asseoir son rayonnement diplomatique.
Par les espoirs qu’elle suscite, l’Allemagne ne commet-elle pas une triple erreur stratégique ? En lançant de manière unilatérale une initiative d’une aussi grande portée, par les espoirs qu’elle suscite, l’Allemagne ne commet-elle pas une triple erreur stratégique ? Premièrement, elle semble sous-estimer les effets des réactions négatives qui pourraient provenir de pays membres de l’Union européenne, comme la France, soucieux de gérer à leur manière les pays africains relevant de leurs pré-carrés. Deuxièmement, il faudrait en priorité améliorer les dispositifs d’aides existant, en développant un plaidoyer convaincant auprès des pays du G20 qui ne respectent pas les engagements de contribution : l’objectif d’allocation de 0,7 % du PIB à l’aide au développement pris dans les années 1970 n’a été atteint que par quatre pays de l’OCDE. Troisièmement, le projet de plan que l’Allemagne entend mettre en œuvre semble fondamentalement motivé par des considérations de compétition économique avec les BRICS sur un continent en devenir.
Objectif ultime
Le terme Plan Marshall utilisé semble être à priori un emballage commercial attrayant destiné à mieux vendre le projet, séduire l’opinion publique mondiale, redorer le blason terni du G20. L’objectif ultime étant d’ouvrir des parts de marché aux entreprises allemandes et à une économie germanique qui pourrait souffrir des difficultés rencontrées par l’Europe dans la finalisation des Accords de partenariat économique avec l’Afrique, mais aussi des tensions en Ukraine et avec la Russie. Un plan Marshall sérieux pour le développement de l’Afrique doit à notre avis tenir compte de plusieurs paramètres de fond : recentrer les actions autour d’un noyau restreint de pays qui serviraient de locomotives. Ces derniers pourraient être choisis en fonction de critères comme la stabilité politique, l’ancrage démocratique, la qualité de la gouvernance, le poids démographique, l’influence diplomatique, le potentiel économique ; en s’efforçant d’avoir au moins une locomotive par zone géographique ; ce choix permettrait d’éviter l’effet dispersion et de miser sur plus d’efficacité. Enrayer les retours de capitaux illicites du continent africain vers l’Europe, estimés par l’Union africaine entre 50 et 60 millions de dollars, recyclés souvent à partir de l’aide publique au développement ; mieux coopérer entre nations en vue de l’éradication des paradis fiscaux et faire prendre au FMI ses responsabilités en sa qualité de garant du bon fonctionnement du système financier international. Amener les pays africains bénéficiaires du Plan Marshall à changer de paradigme en matière de politique économique en observant plus de rigueur dans la qualité de la dépense publique et en matière de choix d’investissements porteurs de croissance saine à long terme.
Un bon plan Marshall pour l’Afrique devrait à notre avis mettre d’avantage l’accent sur le renforcement de la base productive locale, grâce à l’innovation, le transfert de technologie et les délocalisations. Il devrait aussi favoriser la transformation sur place des matières premières avec l’appui de joint-venture solides Nord/Sud avant de songer à réaliser des infrastructures gigantesques qui pourraient s’apparenter dans certains pays à des « éléphants blancs ». Changer d’état d’esprit du côté des pays de l’OCDE et des institutions de Breton Woods en prenant l’Afrique plus pour un partenaire qu’une « vache à lait ». Lorsqu’à cet effet le Fonds monétaire international et la Banque mondiale saluent des niveaux de croissance élevés, félicitent certains pays africains pour leurs « bonnes performances macroéconomiques » tout en sachant pertinemment que les investissements à l’origine de tels résultats sont peu productifs, et que les vraies politiques créatrices de richesse ne sont pas menées, il existe des soupçons de complaisance et d’encouragement à moins bien faire pour sans doute accentuer la dépendance économique. Organiser de manière plus juste et équitable les marchés des matières premières et mieux ouvrir les marchés européens aux produits africains. Les barrières non tarifaires, en tant que véritable obstacle au commerce devraient être abolies.