C’est le destin habituel d’une de ces très bonnes intentions de l’Union africaine (UA), mais qui finissent par ne jamais aboutir. En 2006, l’organisation panafricaine décide d’ériger la diaspora africaine en sixième région du continent, au même titre que l’Afrique australe, l’Afrique centrale, l’Afrique du Nord, l’Afrique orientale et l’Afrique de l’Ouest. L’idée était si séduisante qu’elle a aussitôt trouvé deux chefs d’Etat pour se faire son avocat auprès de leurs pairs : le Sud-Africain Thabo Mbeki et le Sénégalais Abdoulaye Wade, converti au projet par son compatriote Sidi Tidiane Gaye, président de la Fédération des travailleurs africains en France (FETAF). Mais, comme à l’UA rien ne se passe comme prévu, les années passent sans que la profession de foi n’entre dans sa phase opérationnelle. Entre-temps, le Sud-Africain Mbeki est évincé du pouvoir en septembre 2008 par Jacob Zuma, allié pour l’occasion à Julius Malema, alors président des groupes de jeunes militants de l’African National Congress (ANC).
« Nid d’opposants »
Esseulé, le président Wade n’avait plus de leviers entre les mains pour assurer la montée en puissance du projet de transformation de la diaspora en sixième région. Surtout dans le contexte de la forte réticence de certains chefs d’État qui voient plutôt en la diaspora un « nid d’opposants ». Pour ne rien simplifier à la faisabilité de l’initiative, la Commission de l’UA a donné de la diaspora une définition beaucoup trop large pour qu’elle puisse se fédérer autour d’une idée. « La diaspora africaine, affirme-t-elle, est constituée des personnes d’origine africaine vivant hors du continent désireuses de contribuer au développement et à la construction de l’Union africaine, quelles que soient leur citoyenneté et leur nationalité ».
Des migrants investisseurs
Ainsi définie, la diaspora africaine intègre très clairement les fils et filles d’Africains déportés hors du continent par l’esclavage, soit, d’après les chiffres avancés par la Commission de l’Union africaine : 112,65 millions de personnes en Amérique latine, 39,16 millions en Amérique du Nord, 13,65 millions aux Caraïbes et 3,51 millions en Europe. À part quelques tentatives éphémères et inabouties, cette immense diaspora n’a jamais réussi à s’organiser pour siéger dans son fauteuil de sixième région. Derrière cet échec à se fédérer se cache en réalité l’ambiguïté des rapports entre les diasporas africaines et leur pays d’origine. En effet, tant qu’ils s’en tiennent à envoyer de l’argent aux frères, sœurs et parents, les migrants africains étaient applaudis des deux mains. À regarder de près les sommes envoyées, on mesure mieux les enjeux qui s’y rattachent. L’étude de la Banque africaine de développement (BAD) de 2014 est éclairante : en 2012, les Africains ont transféré vers leur pays d’origine près de 62,43 milliards de dollars (58,21 milliards d’euros), soit bien plus que l’aide publique au développement en faveur du continent, estimée, elle, à près de 56 milliards de dollars, et même mieux que les investissements directs étrangers chiffrés à 50 milliards de dollars.
En tête du palmarès des transferts arrivent le Nigeria avec 20,56 milliards de dollars, l’Egypte avec 20,51 milliards de dollars et, loin derrière, le Maroc avec 6,89 milliards de dollars. Au Sénégal et au Mali, les migrants ne se contentent pas seulement d’envoyer des fonds « au village ». Ils sont également des promoteurs immobiliers, des bailleurs de fonds des projets socio-éducatifs tels que la construction des centres de santé, des écoles, la mise à disposition des fournitures scolaires. Dans d’autres pays du continent, ils participent à l’équipement des écoles et dispensaires en matériel informatique et en appareils médicaux. Ailleurs, les migrants s’organisent pour mettre périodiquement leur expertise à la disposition des pays d’origine en allant sur place assurer des missions médicales, d’enseignement ou de formation. Tout cela est naturellement bien vu.
Méfiance et résistance
En revanche, dès lors que les migrants veulent avoir un engagement politique dans de très nombreux pays d’origine, ils doivent s’attendre à diverses formes de résistance. « Ils se la coulaient douce à l’étranger quand nous faisions la lutte ici, qu’ils restent là-bas ! » C’est sur ce mode que l’on tente çà et là sur le continent de contester aux migrants la légitimité de prétendre à des postes politiques de premier plan. À Niamey, Cotonou et Kinshasa, on désignait au moment des conférences nationales des années 1990 les compatriotes venus de la diaspora par « les hommes aux valises noires prêts à repartir ». Cette méfiance n’a pas fondamentalement changé près de vingt-cinq ans plus tard.
Par exemple, sur le continent, très peu de pays accordent encore à leur diaspora le droit de se faire représenter à l’Assemblée nationale. Dans son excellent film Bayiri (La Patrie, en moré, principale langue du Burkina Faso), le cinéaste burkinabé Pierre Yaméogo raconte avec brio l’accueil peu chaleureux, voire hostile, réservé par les Burkinabés à leurs compatriotes installés en Côte d’Ivoire et contraints au retour par la crise post-électorale de 2010-2011. Prisonniers de leurs calculs personnels, certains hauts fonctionnaires des États africains regardent leurs compatriotes établis à l’étranger comme de potentiels concurrents qui peuvent rentrer « leur piquer les postes ».