Faut-il privatiser ou redresser les entreprises ?

Les avis sont partagés. D’aucuns pensent que le temps où l’État doit tout prendre en charge est révolu. Les syndicats et la société civile estiment que la privatisation paraît dangereuse.

Elles sont une quarantaine, les entreprises publiques muées en sociétés commerciales ou en services publics. Certaines ont changé des nominations, à l’instar de l’Office nationale de transport (ONATRA), devenu Société nationale des transports et des ports (SCPT) et de l’Office congolais des postes et télécommunications (OCPT), désormais Société commerciale des postes et télécommunications (SCPT). Beaucoup ont gardé leurs anciennes nominations Le cas de la Société nationale d’assurance (SONAS), de la Régie des voies aériennes (RVA), de la Société nationale d’électricité (SNEL), de l’Office de gestion du fret multimodal (OGEFREM). Ces entreprises sont réparties selon plusieurs secteurs : mines, énergie, industrie, transports, télécommunications, agriculture, service, communication, finances, construction, commerce, recherche, conservation de la nature et formation. Parmi les solutions qui sont envisagées pour les tirer du marasme figure celle de privatisation. Mais les avis sont partagés. D’aucuns pensent que le temps où l’État doit tout prendre en charge est révolu. Du côté de la société civile, la privatisation paraît dangereuse.

Créances sur l’État

Plusieurs entreprises détiennent des créances sur l’État, qu’elles ont de la peine à recouvrer. C’est le cas de la REGIDESO qui réclame plus de 80 millions de dollars à l’État. On estime à plus de 3 millions de dollars la facture de la consommation en eau des administrations publiques, des casernes militaires et des sites occupés par la police nationale. Chaque année, l’entreprise a besoin de 130 millions de dollars en termes d’investissement. Le besoin global en investissement de la REGIDESO est de l’ordre de 1,3 milliards de dollars sur une période de 10 ans. La COHYDRO Sarl détient à son actif des atouts majeurs susceptibles de garantir le développement de ses activités. En effet, l’entreprise peut compter sur l’existence d’un réseau de distribution comprenant une dizaine de stations et de dépôts dont 2 dépôts-relais et 2 dépôts-terrestres. La COHYDRO possède aussi une flotte fluviale de grande capacité composée de 3 pousseurs d’une puissance de 1 200 CV chacun et de 11 barges-citernes d’une capacité totale de 12 000 m3, 27 wagons-citernes. Elle détient des parts d’intérêt et des participations dans les sociétés pétrolières d’exploration, de production, de distribution et de services dont un droit de passage dans les installations pétrolières de Sep-Congo pour la mise en place des produits à travers le pays. Mais elle a des faiblesses parmi lesquelles les difficultés persistantes de trésorerie, l’insuffisance du fond de roulement, les dettes vis-à-vis des régies financières, l’insuffisance des ressources pour financer les investissements pétroliers importants, la gestion hasardeuse. La Société congolaise des industries de raffinage (SOCIR) accuse des charges excessives. Les finances constituent le point névralgique.

Tentatives de sauvetage

La Société commerciale des transports et des ports (SCTP) a lancé en octobre 2015 un avis d’appel d’offre pour la concession des ports de Matadi et de Boma, ainsi que du chemin de fer Kinshasa-Matadi dans le cadre de la réforme des entreprises publiques en vue d’accroître son efficience. Les Chemins de fer des Uele-Fleuve (CFU-F et les Lignes aériennes congolaises (LAC) avaient cessé toute activité pendant la guerre de l’AFDL. Une firme française avait offert de reprendre les CFU-F. Le dossier a été classé sans suite. Les CFU-F n’ont pas non plus fait l’objet d’un intérêt particulier comme la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC) dans le Projet de transport multimodal (PTM), financé notamment par la Banque mondiale. Pourtant, sans la relance de ce chemin de fer, les provinces du Bas-Uele et du Haut-Uele, et même la Tshuapa et le Nord-Ubangi, ne seront pas économiquement viables. La Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC) est sous perfusion depuis déjà plusieurs années. Cette entreprise, qui aurait dû être déclarée en faillite, subit actuellement une thérapie conduite par la Banque mondiale pour sa relance. Cependant, elle a perdu de sa superbe et en l’espace de 35 ans, sa présence est réduite de 87 % sur le marché de transport congolais.

Respect de la loi

En créant une nouvelle société aérienne nationale, Congo Airways, le gouvernement a sonné le glas pour les LAC. La liquidation de cette société d’État a fait couler beaucoup d’encre et de salive. À la direction technique des LAC, on persiste et signe : la décision de liquider LAC est purement politique. Selon elle, la nouvelle compagnie et l’ancienne peuvent coexister sans que l’une ne gêne l’autre. La dette sociale des LAC est évaluée à quelque 119 millions de dollars d’arriérés de salaires. Les travailleurs avaient accepté de renoncer à 85 % de leurs créances sur la société afin de permettre la relance des activités de l’entreprise. La Minière de Bakwanga (MIBA) possède des ressources reconnues de l’ordre de 120 millions de carats dont environ 80 millions dans des massifs kimberlitiques, 20 millions dans les gisements détritiques (collines et terrasses) et les anciens terrils et encore 20 millions dans les lits de rivières. La société dispose des atouts pour faire face à la profonde crise qu’elle traverse depuis 2007. La MIBA peut dégager un chiffre d’affaires de plus de 2 milliards de dollars au regard de ses ressources reconnues. La dette de la société atteint la somme colossale de 350 millions de dollars, dont 200 millions de dette sociale. La MIBA traverse actuellement une période difficile sur le plan financier avec une dette allant jusqu’à 359 millions de dollars. Elle fait face à de multiples problèmes parmi lesquels la spoliation de son patrimoine foncier. Le gouvernement cherche actuellement des partenaires étrangers pour exploiter en joint-venture diverses sections des concessions de la MIBA. À en entendre les délégués syndicaux, il y a vice de procédure dans la démarche de l’État. D’après eux, la loi portant dispositions générales relatives au désengagement de l’État des entreprises publiques stipule que la réforme de celles-ci se fait à travers les organes statutaires de l’entreprise concernée. Selon les syndicalistes, les entreprises publiques ne sont pas des canards boiteux, comme certains rapports le soulignent. Elles ont les moyens de se redresser. Aux yeux des syndicalistes, il y a des préalables au processus de privatisation, notamment le redressement. En effet, il est prévu dans le cadre de la réforme que les entreprises soient d’abord stabilisées.