C’est devenu le phénomène social le plus en vogue par ce temps, à Kinshasa comme dans certaines villes du pays. Les sociétés de pari sportif ont aménagé dans certains quartiers de la ville des locaux, équipés d’écrans de télé, où les parieurs suivent les rencontres de football. Chaque jour ou presque, les parieurs sont nombreux et la majorité sont des jeunes au chômage.
EDOUARD BAJIKA
L
’ARGENT gagné par pur hasard est dépensé à l’emporte-pièce sans en tirer profit. Le lendemain, on parie et on recommence. C’est devenu un quasi rituel pour les jeunes. La capitale de la République démocratique du Congo connaît une ambiance hors-pair les jours de matchs de football, le sport dit « roi ». Une chaude ambiance est perceptible dans les rues de Kinshasa où les jeunes garçons en majorité sont plus heureux que d’autres en cas de victoire de leur équipe qu’ils supportent, tandis que les autres sont inconsolables.
Nombre d’entre ces passionnés du foot s’habillent aux couleurs de leur équipe chérie. Les bars qui poussent comme des champignons installent des écrans de télé pour la projection des matchs, surtout lorsque ce sont les grands clubs européens, tels que Real Madrid, FC Barcelone, Chelsea, PSG…, qui sont au rendez-vous.
Un gagne-pain quotidien
Un fait non anodin attire les plus attentifs en pareille circonstance. Ce sont ces attroupements devant les kiosques qui offrent le jeu « Pari Foot ». Au dernier coup de sifflet des matches de football, difficile de distinguer ceux qui se réjouissent pour la victoire de leur équipe de cœur de ceux qui font des calculs plus intéressés. Ce dernier est un jeu de hasard, en même temps une source de revenus moins sûre, du moins pour ceux qui s’y adonnent à cœur-joie ou qui en ont fait leur activité principale. Cela leur permet de subvenir tant soit peu aux besoins du foyer. Hélas, ils ne gagnent pas à tous les coups.
À Kinshasa, les jeux de hasard attirent du monde, indice d’une pauvreté extrême, selon certains analystes. Le déroulement de ces passetemps est partiellement ou totalement soumis à la chance des candidats qui misent de l’argent dans l’espoir de gagner le double ou le triple du montant mis en jeu. Ils sont légion : loterie, Tombola, Pari Foot, jeu de carte, etc.
Personne ne peut estimer le nombre de parieurs. À la longue, certains développent une dépendance et perdent ainsi leurs maigres économies. « Ils sont nombreux à passer leur journée dans les grandes salles aménagées pour le pari. Quand iront-ils chercher du travail ? N’est-ce pas le pays qui en paye les frais ? », s’est étonné Billy Mpiana, étudiant à l’Institut facultaire des sciences de l’information et de la communication (IFASIC). Avant de poursuivre : « Je ne prêtais pas attention aux cris de joie des supporters lors de différents matchs. Aujourd’hui, en entendant leurs cris, je sais qu’il y a sûrement quelqu’un parmi eux qui a parié et qui, ne serait-ce que pendant un ou plusieurs jours, pourrait oublier sa misère ».
Parieurs de tous âges
Petite feuille de pari entre les doigts, des jeunes, et même les mineurs, regroupés autour des bistrots qui diffusent des matches du foot européen, attendent passionnément la fin pour voir s’ils ont réussi leurs paris. D’autres, smartphone en main, guettent les scores sur les applications des résultats de foot. Pour eux, un but marqué ou un penalty manqué peut décider du repas du lendemain.
Lors des rencontres sportives européennes, la joie pour les supporters est de voir leur équipe passer à la prochaine phase. Cette allégresse est encore plus ample pour de nombreux Kinois qui avaient joué au Pari Foot. Ils ne survivent quasiment que grâce aux gains qu’ils font en pariant. Pour certains Kinois dont le niveau de vie se trouve en deçà du seuil de pauvreté, le Pari Foot se révèle être « une petite bouffée d’oxygène financière ».
Depuis plus de 6 ans déjà, des sociétés dites « Pari Foot » sont implantées à Kinshasa et dans certains centres du pays. Ce jeu diffère du Pari mutuel urbain (PMU), exploité par la Société nationale de loterie (SONAL) et fondé sur la course des chevaux en France. Le Pari Foot consiste à miser sur les équipes de football en compétition en indiquant les gagnantes. « Jouer au Pari Foot ne demande pas de gros moyens, certains paris ne sont pas si coûteux que ça. 100 FC peuvent vous faire gagner 25 000 FC si vous avez de la chance », tranche Marcel Mangituka, parieur permanent au rond-point des Huileries dans la commune de Lingwala.
Cet habitué du pari illustre : « L’un de mes amis recourt très souvent à ce jeu Pari Foot, lorsqu’il se retrouve sans argent pour payer son loyer et cela a plusieurs fois bien marché pour lui ». Crispin Mbudimbani, 28 ans révolus, est parieur à Kintambo Magasin et supporte l’équipe de FC Barcelone. Il a misé 15 000 FC ce jour-là, dans l’espoir que Barça gagnerait le match contre le Réal. Le score du match était une surprise : 5 buts contre 1, cela lui rapporta alors 150 000 FC de bénéfice. À 8 minutes de la fin du match, Mbudimbani sautait déjà de joie.
Pas besoin d’un capital pour démarrer
Les mises importent peu, témoignent des jeunes parieurs. Pour eux, il faut de « la stratégie » pour gagner beaucoup d’argent, même en pariant peu. De petites mises qui témoignent de la faiblesse des revenus de la plupart des parieurs. Pour eux, le pari est devenu un gagne-pain.
« J’adore ce jeu parce qu’avec 300 francs congolais (0,32 USD), je peux gagner 1 million de francs congolais (environ 1000 USD) ou même 25 millions de francs congolais (environ 26 000 USD) », témoigne un mécanicien rencontré à la salle aménagée par une société de pari sportif sur l’avenue Niangwe. « J’avais parié avec 300 FC (0,32 USD) et j’ai gagné 300 000FC (323,37 USD) et j’ai ouvert une boutique. Aujourd’hui je vise gagner des millions de francs congolais », fait savoir un autre parieur.
Les cas des heureux gagnants sont légion à travers les différents points de cette forme de loterie. Mais l’école buissonnière guette à Kinshasa, les enfants sont de plus en plus nombreux à se ruer sur les paris sportifs. Les parents et les éducateurs se font du souci pour ces jeunes gens. Mais il est des parents qui n’apprécient pas ce jeu qui, à leurs yeux, est une forme de perdition scolaire. Les conséquences sont néfastes, ce, sous l’œil impuissant des autorités.
En dépit de ses avantages, certains intellectuels et n’approuvent pas ce jeu. « C’est une sorte de désorientation scolaire, car les élèves commencent à trop s’intéresser à l’argent plus qu’aux cours. Ils peuvent bien débuter la journée mais après la première récréation de 9H, certains sèchent les cours. Destination : Pari Foot… », se plaint un enseignant.
« Mon enfant nous a longtemps floués. Alors que chaque matin nous lui remettions un peu d’argent de poche pour s’acheter des beignets à l’école, il l’utilisait pour les paris sportifs avec ses camarades de classe.
Nous venons de le savoir parce qu’on l’a obligé de se faire accompagner de son père ou de sa mère au shop Paris Foot avant de toucher son gain… », raconte une enseignante du lycée Bœnde, dans la commune de Lingwala.
Mais il y a un son contraire dans le camp adverse. À entendre les vendeurs de tickets cependant, Paris Foot n’encourage pas les mineurs à jouer. Ces derniers profitent de l’inattention des parents pour le faire. « Chaque fois que nous devons payer le gain d’un mineur, nous insistons sur la présence d’un de ses tuteurs… », se défend une vendeuse de Mvuadu, au rond-point Ngaba.
Solution oui, mais éphémère
Désiré Niati, professeur à l’École Parfaite à la Cité Salongo dans la commune de Lemba est plus dubitatif sur le sujet. Pour lui, les paris sportifs peuvent difficilement enrichir une personne qui manque d’emploi. Il estime que le recours au pari sportif peut servir occasionnellement à résoudre des problèmes d’argent.
« Beaucoup se ruent vers les jeux de hasard parce qu’ils ne sont pas sûrs d’avoir le travail et trouver solution à leurs problèmes financiers », affirme Désiré Niati.
Il déduit qu’il est difficile de lancer même une petite entreprise avec des sommes gagnées grâce au pari sportif. « Les statistiques de ceux qui gagnent l’argent par ces jeux prouvent que beaucoup ne savent pas gérer cet argent gagné du coup. Ils sont troublés et sans projets. Ils gaspillent le dilapident espérant en gagner encore demain », analyse-t-il.
Le professeur Niati reconnait néanmoins que très peu ont réussi à faire prospérer leurs activités. En attendant d’investir dans d’autres activités, s’ils y pensent, ces jeunes qui déchirent leurs papiers de pari ou les gardent jalousement selon que les paris ont réussi ou pas répèteront encore ces gestes plusieurs fois. Convaincus qu’ils tiennent là un gagne-pain aussi incertain que les dénouements des matches de foot qu’ils ne se lassent pas de regarder.
Mais en définitive, l’État devrait réglementer ce genre de jeux. L’autorité de régulation en cette matière semble démissionnaire. Et c’est l’avenir de toute une génération qui se trouve sacrifiée. Ceux qui jouent à ce pari n’ont certainement pas de temps pour chercher de l’emploi. Quand un pays est très pauvre à souhait, en voilà les résultats.