Pendant une conférence à Abu Dhabi, l’ancien chef de l’État français, Nicolas Sarkozy, a expliqué que le président chinois a eu « raison » de rester au pouvoir. Dans un enregistrement que BuzzFeed et Le Monde ont pu obtenir, Nicolas Sarkozy salue une Chine qui « assume ses responsabilités internationales » jugeant que Xi Jinping a eu raison de rester au pouvoir. « Le président Xi considère que deux mandats de cinq ans, dix ans, c’est pas assez.
Il a raison ! Le mandat du président américain, en vérité, c’est pas quatre ans, c’est deux ans : un an pour apprendre le job, un an pour préparer la réélection. Donc vous comparez le président chinois qui a une vision pour son pays et qui dit dix ans, c’est pas assez face au président américain qui a en vérité deux ans », fait-il remarquer.
Et de poursuivre : « Où est le populisme en Chine ? Où est le populisme ici [aux Émirats arabes unis, ndlr] ? Où est le populisme en Russie ? Où est le populisme en Arabie saoudite ? Si le grand leader quitte la table, les leaders populistes prennent la place. Parce que la polémique ne détruit pas le leader populiste, la polémique détruit le leader démocratique ».
Un peu plus tôt dans cet enregistrement, Nicolas Sarkozy revient plus en détails sur sa position vis-à-vis de la démocratie. Il argumente ainsi : « Les démocraties sont devenues un champ de bataille, où chaque heure est utilisée par tout le monde, réseaux sociaux et autres, pour détruire celui qui est en place. Comment voulez-vous avoir une vision de long terme pour un pays ? C’est ce qui fait que, aujourd’hui, les grands leaders du monde sont issus de pays qui ne sont pas de grandes démocraties. » Récemment, la Chine a aboli la restriction à deux mandats pour la présidence de Xi Jinping, ce qui lui ouvre la possibilité juridique de rester président à vie, même s’il se défend de cette tentation.
Le Parlement abolit la limitation
Le Parlement chinois a aboli la limitation des mandats présidentiels, donnant les mains libres à Xi Jinping pour imposer sa vision à long terme d’une superpuissance toujours plus soumise au Parti communiste. À 64 ans, le président chinois le plus puissant depuis au moins un quart de siècle pourra rester à la tête de l’État au-delà du terme prévu de 2023. Par 2 958 voix pour, deux contre et trois abstentions, les députés de l’Assemblée nationale populaire (ANP) ont sans surprise plébiscité un changement de la constitution, qui limitait les mandats présidentiels à deux fois cinq ans. La majorité des deux tiers était requise.
L’amendement fait aussi entrer « la Pensée Xi Jinping » dans la constitution, ainsi que « le rôle dirigeant » du Parti communiste chinois (PCC) dans son article premier. Cette disposition peut laisser entrevoir une recrudescence de la répression à l’encontre des opposants au régime, qui pourraient se voir accusés d’atteinte à la constitution pour avoir simplement contesté la mainmise du PCC sur le pouvoir. Depuis son arrivée à la tête du PCC fin 2012, puis de l’État début 2013, Xi Jinping a encore accru l’autorité du régime, à grands renforts de propagande et d’une omniprésence dans les médias d’État.
Ce projet de loi a stupéfié une partie de l’opinion publique, mais les critiques qui ont circulé un temps sur les réseaux sociaux ont été promptement effacées par les censeurs. La limite de deux mandats avait été imposée dans la constitution de 1982 par l’homme fort de l’époque, Deng Xiaoping, afin d’éviter un retour au régime dictatorial de l’ère Mao Tsé-toung (1949-1976). « Quarante-deux ans plus tard, à l’ère de l’internet et de la mondialisation, un nouveau Grand leader, un nouveau tyran à la Mao se lève à nouveau sur la Chine », a dénoncé le dissident Hu Jia, interrogé au téléphone par l’AFP dans le sud du pays, où les autorités l’ont emmené à l’écart de Pékin en « vacances forcées » à l’occasion de la session plénière annuelle de l’ANP.
S’ils n’ont pas osé contrecarrer le changement constitutionnel, certains députés pourraient laisser échapper leur mauvaise humeur d’ici à la fin de la session le 20 mars, prévoit le spécialiste de la politique chinoise, Willy Lam, de l’Université chinoise de Hong Kong. Selon lui, aucun député ne pouvait oser voter contre Xi Jinping lors de son élection à un deuxième mandat.
Lutte anticorruption
La campagne anti-corruption est considérée par beaucoup d’observateurs comme un moyen pour Xi d’écarter des opposants internes. Mais elle lui a aliéné de nombreux cadres, ce qui pourrait expliquer pourquoi il cherche à se maintenir au pouvoir le plus longtemps possible, selon le spécialiste de la Chine Lam. « Xi Jinping ne se sent pas en sécurité parce qu’il s’est fait trop d’ennemis au cours des cinq dernières années », observe-t-il. La présidence « à vie » qui s’ouvre désormais pour Xi Jinping est presque passée sous silence en Chine même, révélant un embarras face aux réticences de l’opinion.
Les médias chinois sont restés paradoxalement discrets sur le vote des députés, qui ont aboli, à l’unanimité moins deux voix et trois abstentions, la limite constitutionnelle de deux mandats présidentiels de cinq ans, laquelle visait à empêcher le retour au pouvoir d’un autocrate. Les médias, étroitement contrôlés par le régime communiste « ont reçu l’ordre de ne pas parler de la conséquence évidente » de cette réforme, estime le sinologue Willy Lam. « Le vote unanime ne veut pas dire que la plupart des Chinois soutiennent ce retour à l’ancien régime impérial.
Cela montre simplement qu’ils se rendent compte que le risque de s’opposer à Xi Jinping est trop élevé », assure-t-il. « Malgré tous les efforts faits pour détourner l’attention du fait que Xi Jinping est en train de se transformer en une sorte de Mao Tsé-toung, en privé les gens en parlent beaucoup », observe Lam, en référence au fondateur du régime communiste (1949-1976).
Culte de la personnalité
« L’astuce de Xi Jinping a été d’incorporer l’abolition de la limitation des mandats dans une réforme plus large en 21 articles », observe le politologue Jean-Pierre Cabestan, de l’Université baptiste de Hong Kong. La discrétion des médias est délibérée, explique le politologue Hu Xingdou. « C’est pour empêcher les gens d’en parler trop. Beaucoup de gens ne sont pas au courant. Il convient d’éviter la discussion et que cela devienne un sujet brûlant ». Des voix ont critiqué la disparition d’une règle qui avait garanti des transitions du pouvoir sans heurts depuis près de 30 ans.
Un ancien vice-ministre et secrétaire de Mao, Li Rui, a dénoncé début mars dans la presse hongkongaise le « culte de la personnalité » qui entoure désormais Xi Jinping. « Il veut devenir président à vie », a accusé l’ancien dirigeant centenaire dans le quotidien Ming Pao. Lors d’une conférence de presse, un représentant du régime, Shen Chunyao, a assuré que l’abolition de la limite des mandats faisait l’objet d’un vaste soutien puisque les députés – triés sur le volet – ont applaudi deux fois lorsque l’amendement leur a été présenté. Il a jugé « sans fondement » la question d’un journaliste étranger s’inquiétant d’un retour possible des luttes de factions en période de succession.
Dans un éditorial à destination des lecteurs occidentaux, le quotidien de langue anglaise China Daily assure que la modification constitutionnelle « ne signifie pas la fin du système de départ à la retraite pour les dirigeants (…) ni un mandat à vie pour quelque responsable que ce soit ». On saura dans cinq ans si le système de retraite s’applique aussi à Xi.