Le fait est quasiment universel. Chaque fois que, dans un pays, les députés cherchent à revoir à la hausse leurs salaires dans un environnement économique difficile, les protestations fusent de partout. Ont-ils ou non le droit d’être payés plus ? Et qui sont les mieux rémunérés ? Business et Finances a fait un petit tour du monde de cette question qui soulève de nombreuses passions.
Au Nigeria, on appelle cela #Open NASS. Qu’est-ce donc ? C’est une campagne médiatique qui, depuis avril, a mis les réseaux sociaux du pays en ébullition. Au cœur de cette fièvre, deux problèmes : la dénonciation des salaires, jugés exorbitants, que touchent les députés et sénateurs, et une exigence de transparence dans le budget de l’Assemblée nationale et du Sénat (quelque 540 millions d’euros). #Open NASS (NASS pour dire National Assembly) est une initiative de BudgIT, une structure qui se bat pour que la population nigériane soit informée du contenu des budgets publics, la revue à la baisse des salaires des parlementaires (ils sont 360, Sénat et Assemblée nationale confondus).
Mais que touchent réellement les concernés ? Environ 12 000 euros mensuels, c’est-à-dire, en monnaie locale, quelque 31 millions de nairas par an. Tous comptes faits, il en découle que les parlementaires nigérians sont les mieux payés du continent et se retrouvent parmi les mieux rémunérés au monde, allant jusqu’à devancer beaucoup de leurs homologues de certains pays industrialisés. En outre, ils sont plus de deux fois mieux rétribués que Muhammadu Buhari, le nouveau chef de l’État.
Comme si cela ne suffisait pas, ils reçoivent diverses primes concernant le logement, l’ameublement, l’acquisition d’un véhicule et pour… leur garde-robe. Pour ne prendre que le cas de la prime de garde-robe, chaque sénateur nigérian empoche plus de 2 000 euros par mois et chaque député 1 635 euros. Coût de la prime de garde-robe pendant la durée de leur mandature : 38,4 millions d’euros. Tout cela, dans un pays où les finances ne cessent de s’amenuiser depuis la chute, l’année dernière, des prix du brut (le Nigeria est le premier producteur et exportateur de pétrole africain). Et où le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté équivaut à la moitié de la population (le pays compte plus de 177 millions d’habitants). Sans parler du salaire minimum, obtenu de haute lutte fin 2010, et qui est passé de 34 à 81 euros par mois. Déjà, à cette époque, les salaires des parlementaires avaient déjà scandalisé leurs concitoyens. Ce qui est nouveau, ce sont les bonnes dispositions de Bukola Saraki, récemment élu à la tête du Sénat. Non seulement, il soutient la démarche de #Open NASS, mais il a surtout promis de mettre en place une commission ad hoc « pour réévaluer la structure du budget du Parlement et la rendre publique ».
Si les Nigérians n’ont pas encore battu le pavé pour protester contre les salaires jugés mirobolants de leurs élus, les Kenyans, eux, n’avaient pas hésité à descendre dans la rue pour l’exprimer haut et fort. C’était en 2013. En octobre 2012, Mwai Kibaki était au pouvoir. Les élus, qui touchaient déjà 10 000 dollars chaque mois, sollicitèrent un bonus exceptionnel de 105 000 dollars. Refus net du chef de l’État. En même temps, une commission indépendante avait jugé juste de réduire de 40% leurs salaires, ce qui les ramenait à 7 500 dollars par mois. Mécontents, ils s’organisèrent et parvinrent à faire annuler la baisse projetée, en dépit des manifestations populaires en 2013. Et ils demeurent, à ce jour, parmi les mieux payés en Afrique.
Au Sénégal, la revalorisation des salaires des députés en 2013 a suscité tellement des polémiques qu’un confrère n’a pas hésité d’écrire : « Les faits sont constants : les élus du peuple se sucrent sur le dos du…peuple ». Jusqu’en avril 2013, les membres de l’Assemblée nationale avaient une rémunération d’environ 2 000 000 de FCFA, soit 3 053 euros. Fin avril 2013,on leur accorde 150 000 FCFA de plus, c’est-à-dire 230 euros. Ce qui n’est pas du goût de tout le monde parce que, selon les détracteurs, les intéressés bénéficiaient déjà de 792 000 FCFA, l’équivalent de 1 029 euros, pour leur approvisionnement mensuel en carburant. Pire, ces montants leur étaient attribués dans des enveloppes sans aucune transparence.
Non loin du Sénégal, au Mali, certains ont crié au scandale lorsqu’ils ont appris, en février 2014, que le président de l’Assemblée touchait une indemnité mensuelle de souveraineté de 25 millions de FCFA et chaque député avait 1,4 million de FCFA, en plus d’une prime de 600 000 FCFA remise à l’occasion de chaque session parlementaire. Ce qui a fait jaser plus d’un Malien, car cela était perçu comme une démarche inacceptable dans un pays où le SMIC est à 28 000 FCFA. La moitié de la population malienne vit en dessous du seuil de pauvreté, avec moins de un dollar par jour. En Guinée, depuis 2014, les représentants du peuple ont un salaire mensuel de 15 millions de francs guinéens (2 123 dollars), sans compter les diverses primes. Ce qu’il y a de particulier dans le cas de ce pays c’est le fait que cette somme correspond à la rémunération mensuelle du président Alpha Condé.
En Côte d’Ivoire, selon un confrère ivoirien, les députés issus des législatives de décembre 2011 ne sont pas des enfants gâtés, loin de là. Il semble que la loi sur le statut des parlementaires avait été discutée et adoptée à huis clos en 2007 et qu’elle n’a jamais été publiée au Journal officiel. D’où un certain mystère autour de la question. Leur rémunération se situe entre 1, 5 million et 1,7 de FCFA. Ils bénéficient également d’une indemnité journalière de 50 000 FCFA en cas, par exemple, de session extraordinaire. Le président de l’Assemblée nationale et les membres du bureau ne sont pas non plus parmi les mieux rémunérés : à peine 3 millions de FCFA. Mais le président, son premier vice-président, ainsi que les dix vice-présidents, ont droit à des véhicules de fonction, tandis que les autres députés trouvent eux-mêmes des solutions pour pouvoir se déplacer.
Avec un traitement de 6 000 dollars, les députés ougandais ne sont pas à plaindre. Pourtant, il n’y a pas longtemps, ils ont réclamé une hausse de leurs émoluments. Ils avançaient deux raisons pour justifier leur requête. Premièrement, leurs salaires sont bas par rapport à leurs homologues d’Afrique orientale. Deuxièmement, ils travaillent beaucoup. Réponse du ministre des Finances : « L’Ouganda a d’autres priorités. Nous n’avons pas d’argent à consacrer à cela ». Le vrai problème auxquels les députés ougandais sont confrontés reste leur endettement excessif auprès des banques commerciales du pays. À tel point que certains d’entre eux remboursent des sommes allant jusqu’au-delà de 6 000 dollars.
Mais qu’en est-il des députés en République démocratique du Congo ? Sont-ils très bien ou mal rémunérés par rapport à leurs pairs d’autres pays du continent ? D’après un député appartenant à un parti de l’opposition, les élus congolais « ne sont pas à plaindre », comparés aux magistrats, aux professeurs et autres cadres. Leur salaire de base est de 6 000 dollars par mois. De cette somme, il faut retrancher 200 dollars de cotisations sociales pour ceux qui n’ont pas d’enfants ou jusqu’à environ 800 pour les pères et mères de familles. Les représentants du peuple ont ensuite 3 000 dollars de frais de carburant et de communications. Pour ceux qui font partie des commissions (la commission politique ainsi que la commission économique et financière se réunissent régulièrement), ils peuvent gagner, grâce aux jetons de présence, jusqu’à 1800 dollars de plus pendant neuf semaines, à raison de 70 dollars en moyenne par séance. Les revenus augmentent également lors des voyages à l’étranger durant lesquels les députés arrivent à faire de substantielles économies (les frais de mission se situent entre 300 et 500 dollars par jour pour le commun des députés). Mais, souligne un député, « ce n’est pas tout le monde qui a l’opportunité d’aller en mission ».
Il est difficile de savoir combien est payé le président de l’Assemblée nationale car, affirme un de ses collègues, « le débat sur le budget s’est toujours déroulé à huis clos et on ne sait pas vraiment ce qui est dévolu au président ». Les membres du bureau sont mieux payés que le reste des députés, « entre 15 000 et 20 000 dollars, voire plus, par mois ». Un président de groupe parlementaire a, en plus 3 500 dollars et 3 000 dollars pour le fonctionnement du groupe et pour la communication dans la presse et les médias. Les députés versent, par ailleurs, 10 % de leurs salaires à leurs partis. L’assistant parlementaire est pris en charge par le Trésor public, qui lui paye 500 dollars par mois. Lorsque les élus participent à une session extraordinaire, ils ont l’équivalent du salaire de base, c’est-à-dire 6 000 dollars. Et quand l’Assemblée nationale et le Sénat se réunissent en congrès, une prime de 1000 dollars est octroyée à chacun d’entre eux. Conclusion du député : « Je ne peux pas dire que nous ne gagnons pas assez d’argent. Mais comme le gouvernement ne fait quasiment rien pour nos électeurs, nous sommes obligés de partager nos revenus avec eux en nous transformant en assistantes sociales ou en humanitaires ».
En 2011, un rapport intitulé Indice parlementaire africain avait été publié par le Centre parlementaire canadien, dans le cadre du Programme Afrique de renforcement parlementaire pour la surveillance budgétaire. Il s’agissait d’une enquête menée dans sept pays du continent (Bénin, Sénégal, Ghana, Kenya, Tanzanie, Ouganda, Zambie). Dans leurs conclusions, les enquêteurs ont constaté, dans chacun des pays, ce qui fait la force et la faiblesse des Parlements africains. Pour le Centre parlementaire, « la force et l’efficacité du Parlement peuvent aussi être évaluées par la mesure dans laquelle les activités du Parlement sont déterminées par lui-même plutôt que par l’Exécutif. L’indépendance financière du Parlement est d’une importance capitale. Les résultats de l’évaluation ont montré que tous les parlements partenaires, à l’exception du Kenya, ne sont pas en mesure de déterminer et approuver leurs propres budgets. Le recours à l’Exécutif pour le financement et la détermination des salaires risque de compromettre sérieusement l’autonomie parlementaire ». Plus loin, le rapport souligne qu’ « un parlement dynamique fait partie intégrante, en effet, de la pierre angulaire de la démocratie. Des élections libres et équitables sont un pilier essentiel mais les élections doivent être accompagnées par un parlement ayant des ressources, des capacités et surtout la volonté d’assumer ses responsabilités. Les parlements (…) devraient exercer les pouvoirs constitutionnels dont ils disposent et en finir avec la pratique où les parlements sont, dans certains cas, perçus comme des sous-branches de l’Exécutif ».
La question des salaires des députés ne se pose pas qu’en Afrique, elle touche presque tous les continents. Partout, curieusement, ces salaires sont considérés comme mirobolants. Et il est des pays qui gâtent littéralement les élus. C’est le cas d’Israël. Les nouveaux membres de la Knesset, élus cette année, n’ont rien à redire sur leur condition, tant ils sont choyés. Leur salaire mensuel est de 39 562 Nouveaux shekels israéliens (1000 shekels valent 264, 28 dollars). En plus de cela, ils disposent à la Knesset d’un beau bureau de deux pièces comprenant des toilettes et une douche. Ils bénéficient d’une voiture en location avec option d’achat ; ont droit à deux assistants parlementaires, à diverses primes, à deux journaux quotidiennement. On leur donne également des ordinateurs portables et des tablettes. Leurs bureaux sont équipés de téléviseurs. Et ils peuvent dormir deux ou trois jours par semaine dans des hôtels de Jérusalem.
Ce n’est pas tout. Ils reçoivent 19 000 nouveaux shekels afin de couvrir les frais de location d’un cabinet parlementaire. Quant à ceux qui habitent loin de la capitale, ils perçoivent en plus 19 000 autres nouveaux shekels annuellement. Les députés se voient rembourser 23 637 shekels pour leurs coups de fil, 36 000 pour la location d’un appartement. Ils ont le droit de prendre, sans rien payer, les transports publics. Et quand ils consultent les médecins, les frais des examens médicaux annuels leur sont intégralement remboursés à hauteur de 914 shekels par mois . En fin de compte, avec un salaire de 10 000 dollars chaque mois et l’ensemble des avantages, les députés israéliens coûtent, chacun, 4,5 millions de shekels par an à l’État.
En France, un député touche une indemnité mensuelle brute de 12 870 euros. C’est-à-dire 7 100,15 euros bruts par mois comprenant une indemnité de base de 5 514, 68 euros de base ; une indemnité de résidence de 165, 44 euros ; une indemnité de fonction non imposable de 1 420, 03 euros. Ce qui représente 5 148, 77 euros nets par mois. Il a aussi une indemnité représentative de frais de mandat de 5 770 euros bruts par mois. Cette indemnité lui permet de faire face à toutes les dépenses relatives à la permanence parlementaire comme les frais de transport, de réception. Depuis février dernier, une réforme interdit aux députés français toute nouvelle acquisition de biens immobiliers avec cette enveloppe.
Des retenues sont ensuite déduites du brut mensuel : cotisation à la caisse des pensions au cours des quinze premières années de mandat pour ceux qui étaient élus avant juin 2012 ( 1 389 euros) et pour les députés entrés pour la première fois à l’Assemblée en juin 2012 (1 090, 12 euros) ; cotisation exceptionnelle de solidarité (56,80 euros) ; contribution sociale généralisée et contribution au remboursement de la dette sociale (568,01 euros) ; cotisation au fonds de garantie de ressources (27,57 euros).
En termes d’avantages, les membres de l’Assemblée nationale française ont un crédit de 9 504 euros bruts chaque mois qui leur permet de payer leurs collaborateurs. Ils voyagent gratuitement en première classe sur l’ensemble du réseau de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF). L’Assemblée nationale prend également en charge des vols d’avion (80 passages entre Paris et la circonscription électorale si celle-ci est desservie par une ligne aérienne régulière et 8 passages pour toute destination en France métropolitaine). Sans oublier le remboursement des forfaits sur cinq lignes de téléphonie mobile et d’un abonnement Internet. Il faut signaler quand même le fait que, en 2007, l’ancien président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, avait fait voter en catimini par tous les groupes parlementaires, une loi qui permettait aux députés qui n’allaient pas être réélus aux législatives de juin 2007, de continuer à percevoir leur indemnité pendant… 60 mois, au lieu des 6 mois habituels.
En Grande-Bretagne, une polémique est née avant les dernières législatives de cette année. À la Chambres des communes, les députés avaient réclamé une revalorisation de leurs salaires de l’ordre de 10 %. Tollé général dans un pays en pleine austérité depuis 2010. L’idée était venue de l’autorité de régulation parlementaire, qui proposait, afin d’y arriver, de supprimer certains frais : allocation repas de 17 euros en cas de séance de nuit ; le non-remboursement des frais de taxi, ainsi que l’une des allocations touchées en fin de mandat. Pour justifier cette demande, les députés britanniques s’étaient plaints d’être moins payés que les médecins, les directeurs d’école ou les commissaires de police.
Au Parlement européen, les députés ont un salaire mensuel brut de 7 956, 87 euros, soit un net de 6 200 euros imposé à l’impôt sur le revenu. Il leur est attribué ensuite 4 300 euros pour les frais de bureau, de communication, et d’équipement. Chaque jour de présence est payée 304 euros. Ils perçoivent aussi une fois par an une indemnité de voyage d’un montant de 4 243 euros. L’idée était venue de l’autorité de régulation parlementaire, qui proposait, afin d’y arriver, de supprimer certains frais : allocation repas de 17 euros en cas de séance de nuit ; le non-remboursement des frais de taxi, ainsi que l’une des allocations touchées en fin de mandat. Pour justifier cette demande.
Il arrive aussi que, dans certains pays, les députés estiment que leurs salaires ne leur permettent plus de joindre les deux bouts. Ils décident alors de les augmenter, provoquant ainsi l’indignation de leurs électeurs. C’est arrivé en Allemagne en février 2014, lorsque le Bundestag a ajouté 830 euros de plus aux émoluments de ses membres. Une augmentation qui succédait à une précédente pour la même somme. Finalement, les députés allemands en sont arrivés à 9 082 euros mensuels. Sur les 589 membres du Bundestag, 464 avaient voté pour, 115 contre et 10 s’étaient abstenus. Plus intéressant, certains députés avaient décidé de faire don des 830 euros à des projets dans leurs circonscriptions électorales.
D’autres pays, comme la Belgique, agissent plutôt en sens inverse. Leur Chambre des représentants est sans doute l’une des rares au monde où les députés, face à une situation économique difficile pour l’ensemble de la population, n’hésitent pas à revoir à la baisse leurs émoluments. Ils l’ont fait quatre ans d’affilée. Cette année, la réduction a été de 5%. En temps normal, un député belge a un salaire de 5 700 euros.
Autre cas, celui d’Haïti, l’un des pays les plus pauvres au monde. Là-bas, malgré tout ce qu’on peut imaginer, les députés sont loin d’être des laissés-pour-compte. Leur salaire mensuel est de 97 200 gourdes – la monnaie locale – soit l’équivalent de 1 847, 91 dollars. Cela paraît dérisoire. Sauf que les députés, selon un confrère haïtien, Le Nouvelliste, ont beaucoup d’autres avantages : une subvention de 20 000 dollars pour l’achat d’un véhicule de leur choix ; frais divers de l’ordre de 29 000 gourdes pour les députés qui ne sont pas membres d’une commission et 34 000 gourdes pour les autres : 25 000 gourdes chaque mois pour le carburant ; 10 000 gourdes pour les cartes téléphoniques ; 400 000 gourdes annuels pour l’entretien de la deuxième résidence ; des primes pour le paiement des assistants du député (entre trois et six) ; sans oublier 70 000 gourdes chaque mois pour les fêtes champêtres organisées dans la circonscription du député. Et lorsque le député se rend à l’étranger, il a droit à 600 dollars comme per diem. Un contraste frappant eu égard à la situation réelle de cette île des Antilles. En définitive, à Haïti comme ailleurs, les députés ne sont pas parmi les plus malheureux des citoyens.