Quel scénario pour le cacao?

LES PLANTEURS de cacao de Côte d’Ivoire, premier producteur mondial, poursuivent leur offensive médiatique contre les multinationales du chocolat qu’ils accusent de les réduire à la misère en sous-payant « l’or brun », les menaçant de « boycott », rapporte l’AFP. Cette nouvelle offensive médiatique survient après les accusations publiquement lancées lundi 30 novembre par la Côte d’Ivoire et le Ghana contre deux géants chocolatiers américains, Hershey et Mars, de ne pas payer le DRD. Ces pays sont les deux premiers producteurs de cacao mondiaux avec respectivement plus de 40 % et 20 % du marché.

Des accusations publiques qui pourraient coûter cher en termes d’image et de ventes et aux grands groupes chocolatiers, déjà sur la sellette depuis plusieurs années sur les questions d’éthique. « Nous boycotterons les activités de tous les industriels qui s’opposeront à la DRD », le différentiel de revenu décent, une prime de 400 dollars par tonne de cacao (en sus du prix du marché) censée être payée par les multinationales pour les planteurs, ont déclaré dans un communiqué commun quatre importantes organisations de cacaoculteurs (FOPCC, ANACACI, APROPAM et FNFPCC). Elles avaient réuni quelque 500 délégués à Yamoussoukro, lors d’une rencontre avec le Conseil Café Cacao (CCC), l’organe public de gestion de la filière.

Les dirigeants des quatre organisations ont cité la suspension de leur « collaboration sur les programmes de durabilité et de certification » et même menacé d’arrêter de produire du cacao. « C’est une question de survie. Nous sommes prêts à aller jusqu’au bout. Nous pouvons suspendre notre production de cacao pendant un an ou deux et nous tourner vers d’autres cultures », a déclaré Soro Penatirgué, le président de l’Association nationale des coopératives agricoles de Côte d’Ivoire (ANACACI).

Rappel des faits

Hershey et Mars ont protesté de leur bonne foi, assurant payer le DRD et soutenir les petits planteurs. Le DRD a été imposée l’an dernier par les deux pays ouest-africains aux multinationales du négoce et de transformation du cacao et aux grands groupes chocolatiers, afin de mieux rémunérer les planteurs tropicaux. Ceux-ci sont les parents pauvres du marché mondial du cacao et du chocolat, dont ils ne touchent que 6 % des 100 milliards de dollars de revenus annuels. La moitié des planteurs ivoiriens vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale. Les programmes de certification des chocolatiers visent à garantir qu’ils achètent du cacao « durable » respectant des critères de production éthiques (n’entraînant pas de déforestation ou ne recourant pas au travail des enfants notamment). 

Les prix à terme du cacao ICE négocié à New York ont augmenté de près de 25 % entre le 12 et le 19 novembre dernier. Une telle hausse paraît étrange dans la mesure où la demande s’est ralentie depuis le début de la pandémie de Covid-19. Les chiffres de broyage des fèves confirment d’ailleurs cette faiblesse, tant aux États-Unis qu’en Europe. Alors, comment expliquer ce rebond du prix à terme ?

Depuis le 1er octobre de cette année, la Côte d’Ivoire et le Ghana ont ajouté une taxe de 400 dollars par tonne de cacao au prix franco à bord. 

Ce mécanisme de vente aux importateurs qui ont conclu des contrats bilatéraux avec ces pays est appelé « DRD ». Il vise à mieux rémunérer les cultivateurs afin qu’ils ne changent pas d’activité. La prime actuelle s’appliquera durant toute la campagne 2020/2021 qui a débuté en octobre et sera révisée l’année prochaine. Sur le marché, le cours du cacao reste néanmoins déprimé. Un certain nombre d’acheteurs sont revenus sur le marché à terme de New York pour acquérir leurs fèves.

Le lundi 16 novembre était le premier jour où les négociants devaient notifier à leurs contreparties leur intention de prendre livraison de la matière première physique pour les contrats arrivant à échéance le 15 décembre. 

Ce jour-là, le prix des contrats a bondi, indiquant qu’il était sous-évalué la semaine précédente. Aussi, la courbe des prix des contrats à terme qui était en report (différence positive entre le cours à terme d’un actif et son cours au comptant) le jeudi 12 novembre, est passée en déport (différence négative entre le cours à terme d’un actif et son cours au comptant) et ce, de manière très importante. Le timing de ce mouvement montre qu’il résulte davantage des décisions des négociants plutôt que de celles des spéculateurs.

Dans un scénario baissier, la demande de cacao resterait faible et un certain temps serait nécessaire pour qu’elle revienne à son niveau antérieur. On relève par ailleurs que les prix des contrats portant sur la première échéance de décembre ont passablement bougé, alors que le contrat « actif », celui qui entre dans la composition du sous-indice Bloomberg pour le cacao, est le contrat à échéance mars 2021. Or, même si le prix de ce dernier a augmenté, sa hausse n’a pas été aussi importante que celle observée sur le contrat à échéance décembre 2020. 

Deux scénarios envisageables

Partant de là, deux scénarios sont envisageables, l’un haussier et l’autre baissier. Dans le premier cas de figure, le contrat à terme ICE à échéance mars 2021 pourrait suivre une tendance similaire à celle qui est alimentée par les achats de négociants et qui est haussière du fait de l’approche de la date de la livraison physique. Dès le moment où les livraisons physiques pour le contrat décembre 2020 commencent à intervenir, les stocks diminuent, ce qui a pour effet de pousser le cours du cacao à la hausse, en direction des prix pratiqués par le Ghana et la Côte d’Ivoire. Par ailleurs, l’arrivée de vaccins contre le coronavirus pourrait faire augmenter la demande de cacao durant l’année à venir.

En revanche, dans un scénario baissier, la demande de cacao resterait faible et un certain temps serait nécessaire pour qu’elle revienne à son niveau antérieur. En outre, les consommateurs devenant de plus en plus conscients de leur responsabilité sociétale, on peut se demander si une réaction brutale de leur part serait en mesure de dissuader les importateurs de se fournir à New York plutôt que, directement, en Afrique de l’Ouest.

Selon des observateurs, le prix du cacao s’envole à cause du conflit entre producteurs et industriels. Sur le marché de New-York, la tonne de cacao pour livraison en décembre a grimpé de plus de 25 %, pour culminer à 2 915 dollars, à un niveau plus vu depuis le début de la pandémie de Covid-19. Pas pour autant de quoi se réjouir pour les pays producteurs de cacao, préviennent des observateurs du marché. Ce bond des prix est au contraire la conséquence du conflit qui les oppose à leurs acheteurs, l’industrie chocolatière. La dispute sur les prix a poussé les acheteurs à se tourner vers d’autres sources, moins chères, ils se sont donc rabattus sur le marché new-yorkais.

Le Ghana et la Côte d’Ivoire se sont associés depuis 2019 pour tenter d’obtenir plus de l’industrie chocolatière, sur le modèle par exemple de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP). Abidjan et Accra avaient obtenu de leurs acheteurs, comme Nestlé, une prime de 400 dollars par tonne de cacao, appliquée à partir de la campagne 2020-21. 

Mais entre l’accord et la récolte, la pandémie de Covid-19 a ravagé la demande mondiale, et les industriels rechignent à voir les prix grimper alors que l’offre abonde.