Quelle posture pour la RDC face au conflit égypto-éthiopien

Kinshasa accuse des arriérés de contribution estimés à 2 millions de dollars depuis 2003 dans les finances de l’Initiative du Bassin du Nil. Mais son poids politique demeure prépondérant pour l’avenir de l’organisation régionale dont les membres sont divisés sur le différend qui oppose l’Ethiopie à l’Egypte à propos du barrage de la Renaissance.

ADDIS-ABEBA maintient sa position. Il va procéder en juillet prochain au remplissage du réservoir du gigantesque barrage hydroélectrique construit sur le Nil Bleu. Le Caire a vite fait de réagir : il accepte de reprendre les négociations avec le Soudan et l’Ethiopie sur l’utilisation des eaux du Nil, afin de parvenir à « un accord juste, équilibré et global ». L’accord devra prendre en compte « les intérêts de l’Egypte en matière d’eau, ainsi que ceux de l’Ethiopie et du Soudan ». Selon des observateurs, l’escalade verbale de ces derniers jours n’est pas de nature à favoriser un consensus.

Un cadre légal controversé

Pour comprendre les tenants et les aboutissants de ce conflit diplomatique, il convient de remonter à l’Accord-Cadre global de l’Initiative du Bassin du Nil (IBN), signé en 2010 et connu sous le nom d’« Accord d’Entebbe ». L’IBN, lancée en 1999, a été conçue, à l’origine, comme « un outil de mise en commun des informations scientifiques » entre les dix États riverains du plus long fleuve du monde, en vue d’« assurer le développement socio-économique par l’utilisation équitable et bénéfique des ressources hydriques communes du Bassin du Nil ». En fait, expliquent des experts de l’organisation, l’IBN aspire à être « un catalyseur de la recherche d’un nouveau cadre légal commun pour la gestion du Nil ». Elle vise aussi à assurer la paix et la sécurité de tous les pays riverains, éviter tout conflit réel ou potentiel sur l’eau dans le bassin du Nil.

Cependant, il y a les Traités de 1929 (Nile Water Agreement entre Le Caire et Londres) et de 1959 (Accord sur l’utilisation des eaux du Nil entre Le Caire et Khartoum, donnant des droits absolus à l’Egypte et au Soudan). En vertu de ces deux accords, l’Egypte doit donner son aval à l’utilisation des eaux du Nil par les autres États. Par exemple, le Traité de 1929 précise clairement que « sans le consentement du gouvernement égyptien, aucune installation d’irrigation ou d’hydroélectricité ne peut être établie sur les affluents du Nil ou de leurs lacs, si de telles installations sont en mesure de provoquer une baisse du niveau des eaux au détriment de l’Egypte ». Le Traité de 1959, signé avec l’accord de l’Egypte, garantit 55,5 milliards de m3 à l’Egypte et 18,5 milliards de m3 au Soudan.

Aujourd’hui, l’Ethiopie qui fournit 80 % des eaux du fleuve, mais aussi le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie s’opposent à ces deux instruments qu’ils considèrent comme « dépassés » car datant de l’époque coloniale. L’Egypte y voit une menace car elle n’a pratiquement pas d’eau en dehors de celle que lui procure le Nil. Et donc, elle n’est pas à l’abri d’une grave crise de l’eau. C’est pourquoi elle revendique son « droit historique » sur le Nil. 

Dans ce contexte de guerre larvée de l’eau et au terme d’un cycle de négociations qui a débuté en mai 2009 à Kinshasa, le 22 mai 2010, cinq pays d’amont (l’Ethiopie, le Kenya, l’Ouganda, le Rwanda et la Tanzanie) signent à Entebbe en Ouganda l’« Accord-Cadre sur la Coopération dans le Bassin du fleuve Nil » qui crée une Commission du Bassin du Nil au sein de laquelle les décisions seront prises à la majorité et non à l’unanimité comme c’est le cas à l’IBN. Cet accord remet en fait en cause les deux traités de 1929 et 1959, auxquels s’accrochent les deux pays d’aval, l’Egypte et le Soudan. 

Aujourd’hui, les pays qui ont déjà signé et ratifié l’Accord-Cadre de Coopération de l’IBN sont l’Ethiopie, le Rwanda et la Tanzanie. Le Kenya et l’Ouganda l’ont aussi signé mais ne l’ont pas encore ratifié. Les autres : Burundi, Egypte, RDC, Soudan et Soudan du Sud, n’ont pas encore signé cet accord. L’Egypte et le Soudan s’opposent particulièrement à l’article 14 (b) de l’Accord d’Entebbe, selon lequel aucun État partie ne peut affecter considérablement la sécurité de l’eau de tout autre État du bassin du Nil sans l’en informer. En 2012, l’Egypte et le Soudan ont gelé leur participation à l’IBN et ont suspendu leur participation aux réunions sur la coopération entre les pays du bassin du Nil. Une rupture motivée par la mésentente avec les autres pays du bassin sur certains articlés clés de l’Accord d’Entebbe. 

L’enjeu est politique

L’Egypte n’a jamais complètement fermé la porte de négociations et répète qu’elle est prête à revoir sa position « à la lumière des nouvelles donnes ». En juin 2017, Yoweri Museveni Kaguta, le président ougandais, a accueilli le premier sommet des chefs d’État et de gouvernement à Kampala, en vue du retour de l’Egypte à l’IBN. Avant le sommet, les experts réunis à Entebbe, siège de l’IBN, avaient souhaité une « implication politique » des États membres pour arrondir les angles. Mais le sommet de Kampala n’a rien donné, sinon il a légitimé les divergences entre États membres. 

L’Egypte qui dénonce l’absence de consensus sur l’accord, le principe de notification préalable pour tout projet d’aménagement des eaux du Nil et la sécurité des eaux, s’est même portée candidate à l’organisation du deuxième sommet en vue d’une solution politique. En novembre 2019, Yoweri Museveni a invité à Kampala son homologue congolais, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, officiellement pour parler coopération bilatérale, mais aussi pour lui demander de signer l’Accord d’Entebbe. 

Le président congolais a promis de le faire au plus tard en mars 2020. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? Tout sait que l’on sait, en mars dernier, le ministre des Affaires étrangères égyptien a été dépêché à Kinshasa pour « solliciter » l’implication du président congolais dans le différend avec l’Ethiopie, en tant que 2è vice-président de l’Union africaine (UA), qui s’apprête à en assumer la présidence tournante. 

À la vue de l’évolution du dossier, il semble que l’Egypte ne s’opposerait plus à l’existence du barrage de la Renaissance en Ethiopie. Le nœud de la mésentente aujourd’hui, c’est le remplissage de ce barrage. Le premier remplissage prévu en juillet permettrait de collecter 18,4 milliards de m3 d’eau dans le réservoir du barrage sur deux ans. Le Soudan et l’Egypte craignent que le barrage de 145 m de haut ne restreigne leur accès à l’eau lorsque le réservoir commencera à être rempli. 

Pour l’Egypte, remplir et exploiter le barrage aura des conséquences fâcheuses sur la sécurité de l’eau, la sécurité alimentaire et l’existence même de plus de 100 millions d’Egyptiens, qui dépendent entièrement du Nil pour leur survie. L’Ethiopie dit qu’elle n’a pas « d’obligation légale de chercher l’assentiment de l’Egypte pour remplir le réservoir ». Comme on le voit, le conflit risque de mettre en péril la stabilité dans la région à cause des conséquences socio-économiques incalculables.

Censé devenir le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique, le grand barrage de la Renaissance construit sur le Nil Bleu (qui rejoint au Soudan le Nil Blanc pour former le Nil) est une source de fortes tensions entre les pays membres de l’IBN depuis 2011. 

Les États-Unis et la Banque mondiale parrainent depuis novembre 2019 des discussions visant à trouver un accord entre l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie. Face à ce conflit, quelle sera l’attitude que la RDC va adopter ? Les experts congolais renseignent que « la solution technique » existe auprès de la structure nationale en charge de l’IBN.