SELON des bruits qui circulent dans la ville de Goma, c’est à la suite d’une lettre de Julien Paluku Kahongya, le Gouv’ de la province du Nord-Kivu. On rapporte que c’est lui qui a donné l’ordre, sans autre forme de procès, de détruire la clôture et d’occuper la concession. On raconte aussi sans vraiment en apporter des preuves irréfragables que des hommes politiques seraient derrière cette affaire.
Dans certains milieux d’affaires et de la société civile, on s’en inquiète. Surtout, on rappelle que le contexte électoral actuel ne s’y prête pas en tout cas. Ici et là, on rappelle encore que la propriété privée est sacrée. Or, ce qui se passe actuellement à Goma n’est pas donc de nature à améliorer l’image que cette ville renvoie d’elle depuis quelques années sur le plan international, et, par ricochet, celle de la République démocratique du Congo dans le classement de Doing Business de la Banque mondiale.
En effet, vu du ciel, Goma ne ressemble actuellement à aucune ville de la RDC. L’impression devient réalité, une fois au sol. La ville se construit, la ville se modernise, et Goma n’a rien à envier aux métropoles que sont Kinshasa et Lubumbashi. Bien au contraire, le boum immobilier y est une réalité vivante, avec des constructions modernes qui rappellent des villes d’Afrique du Sud, d’Europe ou des Émirats arabes.
La hantise du bord du lac
Le prix du mètre carré ne cesse de grimper. Tenez, les parcelles d’habitation qui étaient vendues à 1000 dollars, il y a 10 ans, coûtent actuellement autour de 50 000 dollars. Naturellement, avoir une parcelle ou une résidence au bord du lac Kivu, il faut avoir une poche longue. Malheureusement, l’aménagement du chef-lieu du Nord-Kivu, comme d’ailleurs à Kinshasa, la capitale, ne se passe pas, toujours, dans la limite du droit. L’affaire de l’hôtel Karibu chargé de symboles suscite des interrogations, notamment sur les « excès » et le non-respect des normes et des décisions de justice.
Qui n’a pas entendu parler de cet hôtel, propriété de l’homme d’affaires Albert Ngezayo Prigogine assassiné le 13 mars2008 ? La destruction de la clôture de cet hôtel et l’occupation d’une de ses concessions dépassent tout entendement. Karibu, Bienvenue en langue swahili, est un bel ensemble hôtelier construit à l’extrémité ouest de Goma au bord du lac Kivu. C’est un vaste parc avec piscine et courts de tennis, qui, jadis, organisait la visite aux gorilles au Parc des Virunga et d’autres programmes sur demande.
Dans les années 1970-1980, cet hôtel était la plaque tournante du tourisme congolais, selon des tours operators. Il servait de modèle au reste du continent africain. « Le Karibu reste l’un des plus charmants sites hôteliers de la ville de Goma même ça demande à être remis aux normes », se rappelle un habitant de Goma. Dans la ville, on pense que ce sont de vieilles rivalités foncières qui resurgissent.
Rappel des faits
Le 26 octobre 2018, Lumeya Dhu-Maleghi, le ministre des Affaires foncières, adresse une correspondance au conservateur des titres immobiliers de la circonscription foncière de Goma. La lettre, avec copies réservées à plusieurs autorités du pays, concerne le recours de la société TOURHOTEL S.A contre la décision N°01/876/CAB/GP-NK/2018 du 9 octobre 2018. En effet, le ministre des Affaires foncières réagit après avoir reçu en ampliation la lettre n°690/CAB MUL/10/018 du 20 octobre 2018 adressée à Julien Paluku Kahongya, le gouverneur du Nord-Kivu, par laquelle Me Marius Mulaji Tshipama dénonce des violations dont sa cliente, la société TOURHOTEL S.A, est victime du fait de cette décision.
Lumeya Dhu-Maleghi écrit : « Il ressort que la décision que vous avez exécutée a été prise en violation de l’article 151 de la Constitution, l’Arrêt de la Cour d’Appel sous RPA 1628 auquel il est fait référence étant frappé de pourvoi en cassation, la décision judiciaire en cause n’est donc pas revêtue de l’autorité de la chose jugée ». En conséquence, il intime l’ordre au conservateur des titres immobiliers de Goma de ne pas poser des actes et l’invite à ramener à Kinshasa) « en mains propres le dossier reconstitué de tous ses éléments avant le début de la semaine du 29 octobre 2018.
Albert Ngezayo, surnommé « l’homme au large chapeau de cow boy » avait consacré sa vie à la défense de l’environnement et en particulier du parc de la Virunga, où vivent les derniers gorilles de montagne.
Patriarche d’une famille installée au Kivu depuis longtemps, il était aussi un grand propriétaire de la place. On rapporte que sa fortune, ses biens immobiliers suscitaient jalousies et convoitises.
Outre le Karibu, il était également le patron de l’hôtel des Masques au centre de Goma, et d’une vaste propriété plus de 13 hectares au bord du lac Kivu. Cette concession avait fait l’objet d’un procès que Ngezayo avait finalement remporté. Le verdict de la justice aurait logiquement entraîné le déguerpissement de ceux qui l’avaient occupée et des autres promoteurs qui souhaitaient y construire hôtels et résidences de luxe.
Albert Ngezayo, parfois surnommé « le sherif », assurait qu’il ne faisait pas de politique, et que sa passion était la défense de la nature. Il dénonçait les ravages dans le Parc de la Virunga par les groupes armés. Pour bien des habitants de Goma, ce personnage de légende aura été victime de « l’affairisme dans le Nord-Kivu, où rivalisent de véritables bandes mafieuses, désireuses de contrôler les ressources minières et de s’approprier les riches terres volcaniques ».
Il s’agit d’une violence d’ordre économique qui ravage la province, symbolisée par des rivalités entre les anciennes élites, d’origine belge ou tutsies, et les nouveaux riches qui se recrutent majoritairement dans la tribu nande.
Il ne faut pas un dessin pour comprendre que les Nande étendent leur empire commercial de Goma jusqu’à Kinshasa, en passant par Goma et Ksangani.
Victor Ngezayo, le frérot d’Albert, est aujourd’hui à la tête du groupe hôtelier.
Tout commence en 1974, quand il crée Tour Hôtel, une chaîne d’ampleur nationale, avec des partenaires étrangers et congolais. De cette aventure naîtront quelques hôtels célèbres implantés dans l’Est du pays, d’où la mère de Ngezayo est originaire, et à Kinshasa. En 1981, il rachète le Park Hôtel, l’ex-Léo-II, fondé en 1929, une institution du centre-ville de Lubumbashi.
Manipulation ?
Pour sa part, le Gouv du Nord-Kivu dénonce la manipulation. Il rappelle que c’est lui qui a institué une commission pour faire toute la lumière sur l’assassinat d’Albert Prigogine en 2008. Cette commission, selon lui, avait pour tâche de chercher tous les éléments nécessaires pour donner la lumière à ce sujet. Affaire à suivre.