RDC-RSA : dissiper les crises du moment

 Pour la 10è session de la Grande commission mixte, les experts, les ministres et les chefs d’État se sont réunis dans la capitale sud-africaine. L’occasion de dresser le bilan des années passées, de définir les chantiers à venir et d’évoquer, en coulisse, les dossiers chauds et les velléités cachées.

Il nous revient de Pretoria que les Sud-Africains n’auraient pas du tout apprécié que le gros de la troupe d’experts congolais soit arrivé dans la capitale sud-africaine, 48 heures après l’ouverture des travaux (des experts de deux pays, prévus du 21 au 23 juin) du sommet de la Grande commission mixte RDC-RSA (21-25 juin). Un diplomate congolais à la retraite nous explique qu’en diplomatie, « les petits détails comptent ». Parfois, il faut savoir jouer au qui perd gagne et poser des actes dans l’intérêt des générations futures quand celui-ci est menacé. « C’est fondamental, dit-il, surtout en matière de coopération ». Si la majorité des experts congolais, avec à leur tête le secrétaire général à la Coopération, pourtant la cheville ouvrière des travaux de commission mixte, ont pu voyager, finalement, le vendredi 23 juin, au même moment que les ministres qui devaient se réunir le 24 juin, ce diplomate retraité trouve cela regrettable, et n’hésite pas à parler d’« incompétence ».

D’autant que, vu de Pretoria, la 10è session de la Grande commission mixte RDC-RSA devait aborder des questions portant sur des « enjeux majeurs », voire les « crises du moment ». Il semble que cet incident a été ni moins ni plus pour les Sud-Africains une « désinvolture » dans la gestion des affaires de l’État. À Kinshasa, on a semblé pourtant le (incident) minimiser, en évoquant les « difficultés de trésorerie » pour se donner bonne conscience. En effet, les membres de la délégation sont partis pour la plupart sans frais de mission. Imaginez l’embarras des uns et des autres pour se prendre en charge. Mais pour ce diplomate, ayant été en poste pendant longtemps en Europe, il n’y a pas d’« excuse possible », quand il s’agit d’urgence dans les affaires de l’État. Et d’ailleurs, cette réunion était prévue de longue date, et surtout en matière de sommet, tout est réglé au chronomètre. Le moindre retard dans le déroulé peut influer sur la suite, fait remarquer le vieux diplomate retraité.

Les dossiers chauds

Tel que les experts congolais ont préparé les travaux de la 10è session de la Grande commission mixte RDC-RSA, il ressort du communiqué final la nécessité de « la mise en œuvre des protocoles d’accord signés » ainsi que des « engagements et recommandations » de la 9è session de la Commission nationale mixte concernant les projets de coopération dans les domaines de politique et gouvernance, défense et sécurité, économie, finances et infrastructures, affaires sociales et humanitaires.

La 10è session s’est tenue au moment où la République démocratique du Congo et l’Afrique du Sud font face à un triple défi (politique, sécuritaire et économique). Tel que les hauts fonctionnaires congolais ont préparé le sommet, la 10è session devrait aborder des questions majeures de l’heure. Ce sont, par exemple, notamment le déploiement du nouveau contingent sud-africain dans le cadre de la brigade spéciale d’intervention de la SADC placée sous commandement de la Mission de l’ONU pour la stabilisation du Congo (MONUSCO), l’appui au processus électoral en RDC, le Mécanisme tripartite sur le dialogue et la coopération entre l’Angola, la RDC et l’Afrique du Sud. Mais aussi et surtout la relance économique. Sur ce dernier aspect, 7 projets d’envergure ont été mis dans le pipeline, à savoir la relance du projet de construction du barrage hydroélectrique Inga III, la réhabilitation de la section de la voie ferrée Dilolo-Kolwezi (lire encadrés), l’appui au développement du secteur des assurances en RDC, le joint-venture SAA-Congo Airways, l’assistance technique et le financement durable aux PME/PMI, l’appui au développement de l’agriculture et de l’agro-industrie, et la convention sur l’élimination de la double fiscalité.

Sur le volet politique et sécuritaire, on pensait que les derniers événements de Beni, voire l’insécurité dans l’Est du pays, allaient dominer les débats. Par exemple, la délégation congolaise a souhaité obtenir confirmation du déploiement d’un nouveau contingent sud-africain (800 hommes) et le calendrier de son déploiement dans l’Est du pays dans le cadre du nouveau mandat de la MONUSCO. Pour rappel, les gouvernements angolais, congolais et sud-africain ont signé un accord de coopération militaire portant sur la formation des forces de sécurité (armée et police) congolaises, conformément à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba.

Celui-ci prévoit notamment le renforcement de la Mission de l’ONU pour la stabilisation du Congo (MONUSCO) déployée dans l’Est de la RDC, la plus importante au monde avec plus de 10 000 hommes. Signé par onze pays de la région, l’Accord-cadre d’Addis-Abeba prévoit d’adjoindre à la MONUSCO une brigade d’intervention pour combattre les différentes rébellions opérant dans l’Est de la RDC, dont le Mouvement du 23 mars (M23). L’Afrique du Sud a d’abord déployé 1 345 hommes dans le cadre de cette brigade dotée d’un mandat offensif. L’instabilité dans la région remet non seulement en cause la souveraineté et l’intégrité territoriale des pays concernés, mais elle y menace la paix et la sécurité, moteurs du développement économique et social et du processus d’intégration régionale et continentale.

Quant au processus électoral, la délégation congolaise a voulu obtenir un accord de principe pour la mise en place d’un mécanisme de « concertation et de coopération » entre la CENI (RDC) et la CEI (RSA), afin d’explorer les possibilités d’un appui logistique et technique au processus électoral. Selon le communiqué final du sommet, « les organes électoraux des deux pays ont été invités par les chefs d’État à travailler ensemble pour améliorer la qualité et la crédibilité de ces élections ».

Sur la relance économique, outre les enjeux d’intégration économique régionale (Inga III et chemin de fer Dilolo-Lobito), l’appui au développement du secteur des assurances est crucial. La RDC qui vient de libéraliser son marché intérieur, ne peut que compter sur un allié ayant une solide expérience dans ce domaine hautement stratégique. L’assistance de coopération sollicitée porte sur le renforcement des capacités institutionnelles et techniques de l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances (ARCA). Quant au joint-venture envisagé entre les compagnies aériennes SAA et Congo Airways, il s’agit d’explorer un mécanisme de collaboration portant sur l’exploitation et l’expansion des vols domestiques et régionaux par Congo Airways.

À propos de l’assistance technique et du financement des PME/PMI, les experts ont souhaité voir l’accord entre la SEDA et l’OPEC être très rapidement opérationnel. Sur le développement de l’agriculture et de l’agro-industrie, Ils ont souhaité que soit renouvelé le Protocole d’accord dans ce domaine, la mise en place du Comité conjoint de gestion et d’identification des projets agricoles mutuellement bénéfiques, et l’exploration des mécanismes de promotion de l’agro-industrie afin que la RDC devienne réellement le grenier alimentaire pour l’Afrique australe. Par ailleurs, la RDC qui a ratifié la Convention préventive à la double fiscalité, souhaite que les experts des deux administrations se penchent très rapidement sur les instruments de sa mise en œuvre afin de permettre aux opérateurs économiques d’en bénéficier, ainsi que d’améliorer le climat des affaires entre les deux pays.

Le communiqué final précise que « les deux chefs d’État ont réaffirmé leur volonté d’améliorer et de renforcer les relations économiques entre les deux pays en facilitant le commerce et en supprimant toutes les barrières faisant obstacle au commerce bilatéral et aux investissements ». À cet effet, « ils ont ordonné que le Traité sur la prévention contre la double imposition soit mis en œuvre maintenant que toutes les exigences légales ont été remplies ».

On retiendra utilement de cette 10è session que la question de la réalisation du projet Inga III a constitué la trame des discussions au niveau ministériel, avant d’être soumise à l’approbation des deux chefs d’État, compte tenu de son caractère stratégique. Selon le communiqué final, « SEM Jacob Gedleyihlekisa Zuma s’est félicité des progrès réalisés par SEM Joseph Kabila Kabange et par le gouvernement de la RDC par l’identification d’un concessionnaire chargé de la mise en œuvre du projet Grand Inga ».

Par ailleurs, « les deux chefs d’État en ont appelé à la mise en œuvre intégrale du Traité Grand Inga, lequel avait été signé à Kinshasa le 29 octobre 2013 entre la RDC et l’Afrique du Sud ». À cet égard, « ils encouragent les institutions financières africaines à participer à la mise en œuvre du projet Grand Inga ».