RDC-Rwanda : fin du régime commercial simplifié

Au Sud-Kivu, les responsables des agences de voyage sur l’axe Bukavu-Uvira se plaignent des agissements des services frontaliers rwandais. Ils sont allés dire leur ras-le-bol au vice-gouverneur qui a conseillé d’emprunter les escarpements de Ngomo au lieu de subir l’humiliation. 

 

Pas de bagage à main, pas de produits laitiers ni champêtres au risque de se les voir saisis et jetés par-dessus la rivière Ruzizi par les services rwandais. La fouille dérive parfois jusqu’aux attouchements sur les parties intimes. Un contrôle qui rappelle des pratiques d’une autre époque. Révoltées, les agences de voyage Bukavu-Uvira ont dû suspendre le trafic, début avril… pendant 72 heures faute d’une « solution de rechange » adéquate. Les autorités provinciales n’ont pas les moyens d’empêcher des actes qu’elles qualifient elles-mêmes d’« humiliation », de l’autre côté de la frontière. 

Des analystes espèrent que le prochain sommet de la Communauté économique des pays des Grands lacs (CEPGL) serait l’occasion pour la République démocratique du Congo d’exiger plus de « considération » pour ses ressortissants en transit ou vivant dans les deux États de la communauté, le Burundi et le Rwanda particulièrement. 

À la limite de la xénophobie 

Les activités mercantiles inter-lacustres ont, en effet, subi un certain déséquilibre depuis le début de l’année, au détriment des Congolais. Conséquence des actes qui frisent la xénophobie au Rwanda et en Ouganda par des services étatiques. Le ministre d’État au Commerce extérieur, Jean-Lucien Bussa Tongba, a pu tout de même obtenir, mi-avril 2018, une certaine facilité douanière pour les commerçants congolais avec le gouvernement ougandais. Reste la faisabilité. Avec le Rwanda, la RDC a pourtant conclu des accords économiques formels sous la houlette du COMESA, le Marché commun de l’Afrique australe et orientale, et de la Conférence internationale pour la région de Grands lacs (CIRGL).  

En octobre 2016, les deux pays qui se partagent plus de 200 km, ont signé un régime commercial de facilitation du petit commerce à Rubavu. Cet accord qui se fonde sur des considérations et des directives du COMESA, permet en effet aux petits commerçants de bénéficier d’une exemption de droits de douane pour toute marchandise d’une valeur inférieure à 2 000 dollars. Les services douaniers congolais et rwandais ont, pour ce faire, dressé conjointement une liste des produits éligibles à l’accord commercial. 

Des procédures relatives aux certificats d’origine ont été officiellement instituées pour se prémunir de toute fraude. La liste des produits éligibles ainsi que les procédures d’exemption ont fait l’objet de traduction en swahili et kinyarwanda et relayées par les médias locaux tant du côté congolais que du côté rwandais. L’accord officiellement appelé « Régime commercial simplifié » (RECOS) devrait, en effet, être mis en application au niveau des postes frontaliers de Rubavu-Goma et Ruzizi-Bukavu. La mise en œuvre du RECOS est une étape historique pour l’amélioration des conditions économiques des commerçants transfrontaliers et le renforcement des liens entre eux, s’était même félicité International Alert. 

L’ONG soutient en effet les petits commerçants transfrontaliers dans la région depuis 2009. International Alert a appelé les décideurs politiques des gouvernements et des institutions régionales à s’engager pour l’amélioration des conditions d’exercice du petit commerce transfrontalier dans le cadre de son projet Tushiriki Wote, financé par le gouvernement suédois et mis en œuvre en partenariat avec des organisations de la société civile congolaise, rwandaise et burundaise depuis 2014. Le RECOS, estime International Alert, présente non seulement des avantages socioéconomiques mais surtout politiques. Naguère informel, le commerce transfrontalier sous l’impulsion du RECOS constitue désormais au moins 50 % du flux commercial entre les pays voisins de la région et peut améliorer les conditions économiques des femmes petites commerçantes transfrontalières qui représentent 80 % du petit commerce transfrontalier. Janvier 2017, le Rwanda et la RDC ont signé derechef un accord d’entente visant à faciliter le commerce transfrontalier de produits agricoles.

Accord agricole

L’accord est la conséquence logique des négociations entre la Chambre des agriculteurs du Rwanda qui relève de la Fédération du secteur privé et l’Association des fermiers-concessionnaires pour le développement de la RDC. En vertu de l’accord, les parties se sont également engagées à coopérer dans le cadre de la promotion du commerce transfrontalier par le biais du partage d’informations sur le marché des produits agricoles. Les deux pays ont aussi convenu de partager leur expertise et faciliter des investissements conjoints dans le secteur agroalimentaire. 

Mais la mise en pratique de ces accords s’avère laborieuse. Des femmes commerçantes de la RDC déplorent, en effet, des actes d’intimidation à la frontière rwandaise. Excès de rigueur, d’orgueil des Rwandais sont rapportés à la presse. Des défis comme les taux d’impôts élevés, des infrastructures insuffisantes et des lourdeurs administratives constituent, confient des experts, des points d’achoppement pour le développement du commerce entre la RDC et le Rwanda.  

Et selon diverses sources dont des commerçants, les autorités congolaises continueraient à percevoir des taxes en violation des dispositions du RECOS. Fin avril 2017, l’alors ministre du Commerce extérieur, Aimé Boji Sangara, et son homologue rwandais, François Kanimba, conviennent à Bukavu que les services sous leurs tutelles ne devraient plus créer des barrières tarifaires et non tarifaires sans se consulter mutuellement en vue de faciliter le développement du commerce transfrontalier entre le Rwanda et la RDC. Hélas, une année après, il semble bien que Kigali ne veut plus du régime commercial simplifié ou encore de l’accord sur les produits agricoles. Et les Rwandais le font savoir aux Congolais par des actes d’inimitié. Pourtant, des statistiques recoupées indiquent que les exportations et les importations entre le Rwanda et la RDC s’élèvent respectivement à environ 47 millions de dollars et 21 millions.