Révision des contrats miniers : une affaire d’État

La volonté de China Molybdenum de doubler ses volumes de production à Tenke Fungurume fait couler beaucoup d’encre. Une commission ad hoc a été instituée au sein du cabinet du chef de l’État le 2 août 2021, officiellement pour « clarifier les données relatives aux ressources minérales, réserves minières et évaluer l’actionnariat de la GECAMINES dans le projet minier TFM. Ça sent le soufre en l’air.

Tenke Fungurume Mining SA est liée à l’État congolais via la Générale des carrières et des mines (GECAMINES) par la convention minière du 30 novembre 1996, renforcée par deux avenants et une convention des actionnaires signés le 11 décembre 2010. Récemment, China Molybdenum a annoncé sa volonté d’investir 2,51 milliards de dollars pour améliorer les capacités de production de cuivre-cobalt à sa mine Tenke Fungurume. La compagnie chinoise veut précisément doubler d’ici 2023 la production annuelle de cobalt de son actif à 34 000 tonnes.

Sans tarder, dans le cadre de la préservation des droits et intérêts stratégiques de l’État dans le secteur minier et compte tenu des préoccupations dont Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, le président de la République, a été saisi, le gouvernement veut voir clair à propos des ressources minérales globales, des réserves minières totales, du contexte hydrogéologique, du cadre typographique, ainsi qu’à propos de divers aspects techniques.

Les termes de référence

En fait, l’État est mû par l’idée de valorisation du secteur minier, notamment par la tenue à jour des statistiques des données minières fiables, particulièrement dans le projet Tenke Fungurume Mining (TFM). Ainsi, le groupe de travail mis en place sous la supervision de Guylain Nyembo Mbuizya, le directeur de cabinet du Chef de l’État, a pour mission de « clarifier dans les détails toutes les questions » relatives à son objet, surtout « déterminer et évaluer la valeur des ressources minérales, des réserves minières prouvées et probables définies à ce jour par les travaux d’exploitation réalisés par TFM SA, afin de permettre à la GECAMINES SA et par ricochet à l’État, son unique actionnaire, de rentrer équitablement dans ses droits ».

Il s’agit, entre autres, de « dégager et reconstituer les droits de la GECAMINES, recueillir sans restriction auprès de TFM toutes les certifications des modèles géologiques les plus récents couvrant la totalité des zones cibles explorées à ce jour sur l’ensemble du périmètre minier de TFM ». Il s’agit aussi de « recourir, en cas de besoin, notamment à une expertise internationale et aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) afin de rétablir la comptabilité géologique associée aux ressources minérales inférées, indiquées et mesurées ainsi qu’aux réserves minières prouvées et probables connues sur l’ensemble du périmètre minier impliqué dans le projet TFM ».

Il s’agit également de « s’assurer par une personne compétente indépendante que les ressources minérales indiquées et mesurées sont correctement et de manière optimale converties en réserves probables et prouvées ». Enfin, il s’agit de « proposer, explorer et mettre en œuvre dans la mesure du possible, et à la lumière des conventions entre la GECAMINES et TFM, les pistes de solutions visant à éliminer toutes formes de disparités ou éviter toute situation de nature à compromettre la continuation normale du projet minier ».

« Alors que le gouvernement par le biais de son ministre de l’Économie, à l’époque Modeste Bahati Lukwebo, estimait que la transaction passée entre Américains et Chinois sur TFM ne posait aucun problème, surtout que les intérêts de la GECAMINES étaient garantis, Albert Yuma, lui, avait une tout autre lecture des enjeux. » 

Pour rappel, China Molybdenum a acquis les parts (56 %) de Freeport McMoran dans Tenke Fungurume. La société chinoise a ainsi finalisé l’acquisition indirecte d’une participation majoritaire dans le projet dont la transaction a fait couler beaucoup d’argent mais aussi beaucoup d’encre. La convention des actionnaires de décembre 2010 a fait de China Molybdenum le grand gagnant de l’opération. L’accord lui permettait de garantir l’entrée au capital de TF Holding par Bohai Harvest RST (Shanghai) Equity Investment Fund Management Co., Ltd. (BHR). En contrepartie, le capital investisseur acceptait l’option pour CMOC d’acquérir sa participation indirecte dans TFM à un prix prédéterminé. BHR est une société de capital-investissement spécialisée dans les fusions transfrontalières et le capital d’acquisition et de croissance. Elle opère en tant que filiale de Bohai Industrial Investment Fund Management Co., Ltd.

L’opposition de Yuma

Lésée dans cette transaction, la GECAMINES par l’entremise d’Albert Yuma Mulimbi, le président de son conseil d’administration, avait porté l’affaire devant la Cour internationale d’arbitrage. Finalement, l’américaine Freeport McMoran a versé 33 millions de dollars à la GECAMINES comme règlement définitif à l’amiable au litige lié à la cession à China Molybdenum de sa participation de 56 % dans le projet de cuivre Tenke Fungurume, selon des sources proches du dossier. Qui soulignaient à l’époque que les autres entreprises impliquées dans la transaction dont China Molybdenum, Lundin Mining et BHR devaient, elles aussi, mettre la main à la poche pour rémunérer la GECAMINES. 

En effet, Albert Yuma Mulimbi s’opposait farouchement à la cession des parts de Freeport Mc Moran à China Molybdenum pour le fait de ne pas avoir été consulté au préalable. La société chinoise avait racheté pour 2, 65 milliards de dollars (prix de base) les 56 % des 80 % des parts de Freeport Mc Moran. Alors que le gouvernement par le biais de son ministre de l’Économie, à l’époque Modeste Bahati Lukwebo, estimait que la transaction passée entre Américains et Chinois sur TFM ne posait aucun problème, surtout que les intérêts de la GECAMINES étaient garantis, Albert Yuma, lui, avait une tout autre lecture des enjeux. 

La République démocratique du Congo renferme plus de la moitié des réserves mondiales de cobalt dont elle est le premier producteur. Environ 80 % des sulfates et oxydes de cobalt utilisés entrant dans la production des batteries de lithium-ion sont raffinés en Chine. Les 20 % autres sont raffinés en Finlande. Vu sous cet angle, le cobalt extrait de la mine de TFM, appartenant en grande partie à China Molybdenum est un enjeu stratégique pour la Chine sur le marché mondial du minerai. Et ce n’est pas rien quand le fabricant chinois de batteries GEM annonçait sa volonté de racheter entre 2018 et 2020 toute la production de cobalt de Glencore. Cela illustre à suffisance la place qu’occupe désormais la Chine sur ce marché.

« Les ressources minières de RDC sont objet de toutes les convoitises. Il appartient donc à l’État de les mettre en valeur pour lui permettre de réaliser le projet de développement et d’émergence dont rêvent tous les Congolais. De ce point de vue, la stratégie de la Chine visant à investir en Afrique dans les différents secteurs économiques représente une multitude d’opportunités de partenariats », explique un expert du gouvernement. Et de poursuivre : « Il appartient donc au gouvernement d’organiser les partenariats miniers de manière à s’assurer des retombées certaines sur l’économie nationale, notamment la création d’emplois et de richesses. L’État devrait donc être vigilant pour capitaliser sur le cobalt déclaré minerai stratégique. »

Nombre d’observateurs sont à peu près d’accord pour souligner que le cobalt, à lui seul, peut générer plus d’un milliard de dollars, qui représente le total des recettes minières nationales. Les mêmes observateurs poussent la réflexion plus loin sur le cobalt et la politique publique des enjeux stratégiques : comment gagner avec nos minerais stratégiques ? Quels seront les règlements stratégiques de nos minerais ? S’engager pour la production des métaux est la principale recommandation. Il faut aussi penser à la création d’une école des mines artisanales afin d’encadrer les Congolais dans ce secteur…

En ce qui concerne la politique minière, il faut identifier les minerais stratégiques, promouvoir une industrie chimique pour attirer les investisseurs, sécuriser les frontières pour mettre fin à la fraude et à l’exportation des bruts, encourager l’entreprenariat et apporter des capitaux frais.