Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite auraient mis la main sur plus de 500 000 hectares de terres agricoles. Des exploitations qui pompent l’eau du Nil.
Un conseil : ne demandez jamais des chiffres au Soudan. L’ambassadeur Yousif El Kordofani, patron des relations publiques au ministère des Affaires étrangères, à Khartoum, commence par évoquer une exploitation agricole de 200 hectares gérés par les Émirats arabes unis du côté d’Atbara, à 250 kilomètres au nord de la capitale. C’est là que le fleuve Atbara rejoint le Nil et entame sa course finale vers la Méditerranée.
En arrivant sur place, le fonctionnaire local n’évoque plus qu’une propriété de 50 hectares. Puis, un peu plus tard, un autre administratif comptabilise, lui, 300 hectares. Enfin, un agronome sud-africain donne une tout autre envergure à ce vaste territoire géré par les Émirats, 12 000 hectares. Un tour du propriétaire dans son 4×4 nous laisse penser que ce solide gaillard au tee-shirt rouge et à la casquette verte est plus proche de la réalité que nos précédents interlocuteurs. 12 000 hectares uniquement dédiés à la culture d’aliments pour le bétail.
500 000 hectares pour les Émirats
Des cultures irriguées en permanence par de l’eau pompée à une centaine de mètres dans le sous-sol, et venant du Nil, coulant majestueusement à quelques kilomètres de l’exploitation agricole. Le milieu est aride et l’évaporation intense. Ensuite, les aliments pour le bétail sont acheminés par la route jusqu’à Port-Soudan au nord du pays. Les terres arables se font de plus en plus rares au Proche-Orient, et les monarchies pétrolières investissent depuis quelques années dans la création d’annexes extraterritoriales au Soudan. Les Émirats arabes unis exploiteraient ainsi près de 500 000 hectares. Et l’Arabie saoudite, venue plus récemment, 20 ou 30 000 hectares. Il nous a également été dit que la Corée du Sud aurait loué 700 000 hectares, mais Le Point Afrique n’a pas pu vérifier cette information sur place. Une fois encore, les ministères soudanais font systématiquement de la rétention d’information. Ou communiquent des données invérifiables.
Les populations locales écartées
Il est tout aussi compliqué de savoir si ces terres louées par les entrepreneurs venus du Golfe étaient exploitées ou non autrefois par des populations locales. L’Institut international de l’environnement et du développement (IIED) confirme l’accroissement des transactions à grande échelle sur le continent africain. En cinq ans, en Éthiopie, au Ghana, au Mali, à Madagascar et au Soudan, “ce sont 2,5 millions d’hectares sur lesquels les investisseurs se sont rués“. Et comme souvent en Afrique, les terres sont propriété des États et les paysans ne détiennent qu’un droit d’usage. Quant aux contrats, ils n’évoquent qu’en termes très vagues “la question de la répartition des récoltes entre exportation et consommation locale“. Enfin, les populations concernées sont “tenues à l’écart des négociations“.
Pas de protestations égyptiennes
Curieusement, les Égyptiens, si prompts à brandir les traités coloniaux signés en 1929 et en 1959 sur leurs “droits historiques“ sur le Nil, qui leur accordaient 87 % du débit du fleuve, n’ennuient guère les Soudanais concernant ces millions de litres pompés quotidiennement pour alimenter ces milliers d’hectares loués par des dignitaires du Golfe. Le Caire s’est beaucoup plus mobilisé pour dénoncer l’édification du barrage le plus grand d’Afrique construit par Addis-Abeba. À Khartoum, il nous a été suggéré que, pour calmer Abdel Fattah Al-Sissi, son homologue soudanais Omar el-Béchir lui aurait promis de n’accueillir aucun membre des Frères musulmans égyptiens au Soudan. Et même de lui livrer ceux qui réussiraient malgré tout à s’y réfugier pour échapper à la traque des services égyptiens.